Quatre énormes blocs gisant à terre marquent le souvenir de ce qui a peut-être été l'une des plus grandes prouesses techniques de l'humanité : l'extraction, le façonnage, le transport sur une dizaine de kilomètres et l'érection d'un monolithe de plus de 20 m de long pour une masse de près de 280 tonnes quelque 45 siècles avant J.-C.

"Dans toutes les carrières du pays on n'en trouve point de pareilles"

Déjà en 1778, le géographe Ogée s'interrogeait en ces termes sur la roche constituant la plupart des grands blocs mégalithiques de Locmariaquer. Depuis, les géologues ont montré qu'il s'agissait d'un orthogneiss dont les seuls gîtes repérés (près d'Auray, du Bono, d'Arradon ou de Sarzeau) sont distants d'une dizaine de kilomètres au moins. Aussi fou qu'il paraisse au premier abord, force est donc d'envisager un tel transport (l'entreprise a en outre été reproduite à une moindre échelle pour les autres blocs géants en orthogneiss retrouvés dans divers monuments de Locmariaquer). Avec les moyens de l'époque, deux hypothèses peuvent être imaginées.

  • Le trajet terrestre intégral, récemment étudié par F. Bougis, n'est possible que depuis le gisement situé au nord d'Auray. Il peut s'envisager par soit par roulage (avec des rouleaux en rondins sur des "rails" en bois, la pierre reposant sur un "berceau"), soit en faisant avancer le bloc "en crabe", par mouvements pivotants successifs autour de son centre de gravité. En extrapolant à partir des essais menés notamment à Bougon dans les Deux-Sèvres par J.-P. Mohen puis par B. Poissonnier, on arriverait à un effectif nécessaire de plus de 4000 personnes avec les techniques les plus simples, mais d'une centaine seulement avec des systèmes plus sophistiqués, pour un temps de parcours d'une quinzaine de jours.
  • Le recours au flottage doit également être envisagé puisque les gîtes d'Auray et d'Arradon se trouvent en bordure de chenaux déjà en eau au Néolithique moyen. D'après C.-T. Le Roux, un énorme radeau soulagé par des pirogues pourrait être compatible avec les tirants d'eau et les marnages présumés de l'époque ; sur une bonne partie du trajet, le transport se serait alors fait tout seul en quelques heures grâce aux courants de marée... dans la mesure où l'équipage aurait su guider une aussi monstrueuse embarcation !.

L'examen du Grand-Menhir montre que le bloc a été régularisé par piquetage, sans doute à l'aide de lourds percuteurs de pierre, sur la quasi-totalité de sa surface.

Ce travail a en outre permis d'y sculpter un grand signe en "hache-charrue" à mi-hauteur, toujours visible sur le fragment médian. Seule la base du bloc est restée brute sur environ 2,5 m de long (soit la profondeur de la fosse de calage). A l'extrémité inférieure toutefois, une petite surface arrondie est soigneusement piquetée ; cette véritable "rotule" a dû permettre d'ajuster la pierre en position de parfait équilibre.

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Le Grand-Menhir dans la campagne de Locmariaquer au début du XIXe siècle.

Une vue plongeante montre bien la différence de nature entre la cassure très nette qui a séparé la partie inférieure (en haut) du reste du monolithe et les autres.

Une proposition pour transporter le Grand-Menhir en immersion sous un radeau soulagé par des pirogues

La base du fragment inférieur, restée brute à l'exception d'une petite "rotule" basale.

Un géant abattu, un alignement disparu

Le bris de ce monolithe a toujours excité les imaginations. Les cassures des trois fragments alignés au sol comportent de larges esquilles (résultant d'une chute brutale en porte-à-faux ?).

La cassure principale est au contraire remarquablement franche et semble même avoir été provoquée à partir de légères crénelures visibles sur ses lèvres. Quoiqu'on en ait dit, aucun témoignage historique fiable n'évoque le Grand-Menhir encore debout alors que, par exemple, le manuel de pilotage du 15e siècle qui détaille l'entrée du Morbihan n'aurait sans doute pas manqué d'évoquer un tel amer aussi remarquable.

La disposition des fragments laissant entendre que le monolithe a bien été dressé avant de s'abattre, plusieurs hypothèses ont été récemment rediscutées par F. Bougis, comme la foudre (qui lui parait à exclure) ou un séisme (qui lui semble plausible).

Un abattage par l'homme a également été envisagé. On a bien entendu pensé aux Gallo-romains (le monolithe se trouve aux portes d'une importante agglomération antique), mais J. L'Helgouac'h a émis l'idée que les responsables auraient été les Néolithiques eux-mêmes, quelques siècles à peine après son érection.

Les fouilles ont en effet dégagé 18 fosses empierrées, de taille décroissante et alignées sur plus de 55 m en direction du nord à partir de la base du Grand-Menhir. Elles correspondent à autant de calages de menhirs arrachés anciennement. Les observations statigraphiques permettent de situer ce dépeçage à la fin du Vmillénaire avant J.-C. Ces nouvelles données remettent évidemment en cause les supputations anciennes qui voyaient dans le Grand-Menhir un "guidon de mire" pour des observations astronomiques à grande distance ; elles amènent aussi à repenser les rapports entre ce monolithe géant, les menhirs qui lui étaient associés et les autres monuments du voisinage.

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Le fragment inférieur en lumière rasante : noter sa surface piquetée et le bord finement crénelé de la cassure.

La file de calages partant du Grand-Menhir vers le nord témoigne d'un alignement mégalithique disparu, sans doute démonté dès le Néolithique.