Une vue oblique des alignements de Carnac : les différentes files se combinent en un jeu complexe dans l'espace visuel de l'observateur qui s'y déplace.

Interpréter une simple pierre dressée est difficile ; les propositions ne manquent pas mais l'argumentaire reste fragile.

Pour les pierres isolées (ou apparemment telles), on peut retenir comme hypothèses plausibles :

  • la borne, marquant (et sacralisant) soit une limite de territoire soit, au contraire, l'espace que la pierre contrôle visuellement,
  • la stèle commémorative d'un événement passé ou d'un personnage important et contribuant à en entretenir le souvenir plus ou moins mythifié,
  • le bétyle sacralisant un lieu particulier ; ce peut être un sommet ou, bien plus souvent, une source ou un cours d'eau,
  • l'axis mundi, mettant en relation les puissances chtoniennes et célestes, de part et d'autre du monde palpable représenté par la surface du sol.

Pour les systèmes associant plusieurs menhirs de manière plus ou moins complexe, diverses interprétations peuvent également être avancées.

En ce qui concerne les files, le principal problème est de savoir comment les aborder. Prises en long, elles marquent une direction et peuvent inciter à un cheminement initiatique. Vues en travers, elles forment au contraire une limite (au moins visuelle) ou un "fond de décor".

Quant aux enceintes, elles peuvent être considérées comme une manière de séparer clairement un "espace sacré" de l'espace profane environnant, ce qui est un souci constant des religions archaïques. Il est remarquable que les enceintes armoricaines comportent presque toujours une large ouverture (permettant "d'entrer dans le cercle" ?). Les grands "champs de menhirs" du pays carnacois, qui associent files et enceintes, regrouperaient ainsi l'"espace sacré", la "voie sacrée" permettant d'y accéder dans les règles et un "arrière-plan" mouvant au gré des déplacements des fidèles ou des initiés.

Next slide
Previous slide

Le menhir de Pedernec (Côtes-d'Armor), un exemple de grand monolithe isolé en position ostentatoire.

Restitution "idéale" des alignements de Carnac, première moitié du XIXe siècle.

Choix et limites

Groupe ou entité ? C'est là un dilemme (auquel les Néolithiques avaient sans doute déjà répondu) entre considérer un rassemblement de blocs comme étant individuellement significatifs et y voir une entité globale (à cet égard, la perception traditionnelle des Alignements de Carnac comme une armée pétrifiée, globalement cohérente mais constituée d'individus identifiables s'avère particulièrement intéressante).

"Esprit de géométrie" ou "esprit de finesse" ? Les recherches d'astronomie et de métrologie mégalithiques n'ont en général donné, quoi qu'on ait pu en dire, que des résultats assez ambigus. Cela ne signifie pas qu'il n'y ait rien à trouver dans cette voie, mais sans négliger les impressions empiriques d'une astrologie cherchant à maîtriser telles ou telles influences néfastes, à la manière par exemple des pratiques attestées chez différents peuples européens de l'antiquité à la veille de leur entrée dans l'histoire.

Les pierres sans leurs racines ? La grande inconnue, face à un menhir, c'est ce qu'on ne voit plus (les structures qui l'accompagnaient et qui ont disparu, à commencer par d'autres possibles menhirs) et ce qu'on ne voit pas encore (les structures "en creux" éventuellement conservées dans le sol alentour). Ne raisonner que sur les "grosses pierres" aujourd'hui visibles hors du sol revient à faire fi d'un véritable "iceberg archéologique" dont les fouilles de Locmariaquer ont récemment fourni un remarquable exemple.