Aussi curieux que cela nous paraisse, la prise de conscience d'une "anomalie" dans le paysage carnacois n'émerge que dans le second quart du XVIIIe siècle, à partir semble-t-il d'une observation quasi-anecdotique de A.F. Boureau-Deslandes (1721). En 1475 pourtant, une enquête fiscale avait amené les contrôleurs ducaux jusqu'au village de Maenec où ils n'avaient rien noté de spécial (mais il est vrai que leurs préoccupations étaient d'un autre ordre). Plus étonnant, en 1636, un érudit, Dubuisson-Aubenay, s'était fait guider jusqu'à Locmariaquer pour y admirer les vestiges romains mais on négligea de l'emmener à Carnac (pourtant sur sa route en direction de Lorient).

Saint Cornely, protecteur et imprécateur

A défaut de sources écrites anciennes, force est de solliciter la tradition qui se réfère à l'hagiographie du saint patron local, Cornely ; pourchassé par une légion romaine et acculé à la mer, il aurait pétrifié cette troupe hostile. Il est bien difficile de démêler dans une telle légende les éventuelles réminiscences d'un mythe ancien et des références mal assimilées à la biographie du pape Cornelius.

Le pape Cornely en protecteur du bétail sur la façade de l'église de Carnac.

"Antiquaires" et "celtomanes"

A partir des années 1750, les descriptions se multiplient et les hypothèses se bousculent (la plupart faisant la part belle aux romains ou aux gaulois). Parmi les contributions marquantes, on retiendra notamment :

  • Le comte de Caylus (1764) qui a, le premier, l'intuition d'une grande ancienneté des mégalithes : "Je suis bien éloigné de donner ces monuments aux anciens Gaulois... (De) la singularité du silence absolu que la tradition même a gardé... on peut en inférer une antiquité d'autant plus reculée que du temps des romains la trace en était [déjà] perdue".
  • F. de Pommereul (1790), qui en revient à voir dans les mégalithes "un monument religieux dû à la grossière industrie des Celtes nos aïeux". C'est là un des premiers symptômes de la vague "celtomane" dans le domaine de l'archéologie. A partir de La Tour d'Auvergne (1792) et surtout de Cambry (1805), cette vision des choses va littéralement "plomber" toute la réflexion archéologique sur le mégalithisme pendant deux tiers de siècle.

Chez les premiers "antiquaires", l'amalgame entre l'égyptologie, l'antiquité classique et le mégalithisme était courante en l'absence de données chronologiques précises.

Les recherches sur le terrain

Tandis que ces spéculations vont bon train, certains parcourent la campagne et observent (ce qui, parfois, n'empêche pas leur imagination de travailler). Parmi ces visiteurs, quelques noms émergent notamment grâce à leurs publications ; 

  • Le chevalier de Fréminville et ses Antiquités du Morbihan (1829),
  • Prosper Mérimée et ses Notes de voyage de jeune inspecteur des Monuments historiques (1835),
  • Gustave Flaubert et Maxime du Camp avec leur inoubliable "ce sont de grosses pierres" (1847),
  • Les lithographies de Jorand (1823, éditées par Bottin en 1831),
  • Le premier "plan-masse" des monuments de la région levée par Murray Vicars en 1832...

Entre-temps, la Société polymathique du Morbihan est créée en 1826 sous la présidence du chanoine Mahé. Elle va piloter une série de grandes fouilles dans les années 1850-1860 (à Carnac, ce seront notamment celles des tumulus Saint-Michel et du Moustoir, ainsi que celle du dolmen de Kercado).

Dans le dernier tiers du siècle, deux personnalités britanniques vont venir marquer la recherche carnacoise.

  • William Lukis, assisté par Henry Dryden, lève de nombreux plans de monuments, encore vierges de toute restauration à cette époque ; il fouille également plusieurs monuments dont les dolmens du Mané-Kerioned.
  • James Miln fouille la villa romaine des Bosseno, mais aussi la tête des alignements de Kermario, zone il est vrai largement remaniée par des occupations ultérieures, ainsi qu'un certain nombre de dolmens et de tertres funéraires.

Léguées à la Commune après sa mort en 1881, les collections de J. Miln seront à l'origine de l'actuel musée de Carnac. La gestion en fut bientôt confiée à un jeune carnacois, formé "sur le tas" par Miln et qui, jusqu'à sa mort en 1939, allait marquer de son empreinte plus d'un demi-siècle de mégalithisme : Zacharie Le Rouzic. De nombreux menhirs étant renversés ou pris dans des clôtures, des travaux de restauration furent lancés à la suite des acquisitions effectuées par l'Etat dans les années 1880. Le responsable en fut d'abord Félix Gaillard qui travailla avec méthode et prudence puis, à partir de 1884, Daniel Beaupré aux techniques plus expéditives, avant que cette tâche ne soit confiée à Le Rouzic (qui aura notamment le mérite de "marquer" à l'aide d'une pastille de ciment rouge les pierres redressées).

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En voiture parmi les mégalithes

Portrait de James Miln devant les alignements de Carnac

Portrait de Zacharie Le Rouzic dans son musée