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Il n'est pas de menhirs que de Carnac
Un peu partout en Bretagne, des milliers de pierres dressées ont survécu aux multiples causes - naturelles ou humaines - de destruction. Ce qui fait l'"exception carnacoise", c'est l'ampleur inégalée que prend ici le phénomène avec les grands "champs de menhirs" dont on trouvera des répliques encore spectaculaires sur les communes voisines d'Erdeven, Saint-Pierre-Quiberon ou la Trinité-sur-mer.
Vue panoramique ancienne des files du Menec depuis l'enceinte. On ressent bien le mouvement du terrain mis à profit par les bâtisseurs.
L'enceinte du Menec au début du siècle avec ses menhirs quasi-jointifs en situation culminante.
Vue cavalière idéalisée du même ensemble : les espacements entre pierres ont été régularisés et leur aspect anthropomorphe exagéré.
Le "champ de menhirs" idéal
Un problème de base dans la compréhension d'un tel complexe est d'évaluer la valeur "individuelle" de chaque pierre par rapport à la valeur "collective" de l'ensemble. La comparaison des différents ensembles conservés (mais tous plus ou moins dégradés) permet de dégager quelques constantes ;
- Une série de "files" plus ou moins parallèles au sein desquelles les monolithes sont assez régulièrement espacés (l'espace à l'intérieur de chacune étant étant nettement moindres que celles séparant les files). Leur longueur est variable (d'une centaine de mètres à un kilomètre),
- Une "enceinte" de dimensions et de forme variables (ovoïde à quadrangulaire), délimitée par des pierres dressées quasi-jointives, forme "butée" pour les files, en général à leur extrémité occidentale.
Les blocs utilisés sont restés bruts, même s'ils sont parfois très irréguliers. Ils proviennent en général d'affleurements naturels et non d'une exploitation en carrière. Les plus volumineux se regroupent en tête des files, au voisinage de l'enceinte où certains peuvent dépasser 3 m de haut. La taille diminue ensuite mais de façon assez irrégulière jusqu'à moins d'un mètre. L'installation sur le terrain n'est pas aléatoire. Typiquement, l'enceinte couronne un petit mamelon dont les files dévalent un versant (quitte éventuellement à escalader plus loin une autre pente).
Dans l'hypothèse d'un terrain dégagé, un observateur placé entre les files à une certaine distance de l'enceinte peut ainsi voir celle-ci se découper sur l'horizon avec une impression de perspective faussement raccourcie.
Les deux éléments fondamentaux du sanctuaire archaïque, communs à la plupart des religions primitives se retrouvent dans ce dispositif :
- L'espace sacré, clairement délimité de l'espace profane environnant (mais pas nécessairement bâti),
- La voie sacrée, itinéraire privilégié et généralement initiatique permettant d'accéder au premier.
Cependant, rien n'indique que la perception transversale, avec les pierres s'occultant mutuellement d'une file à l'autre, n'ait pas été elle aussi hautement significative. Enfin, une certaine concentration de monuments funéraires s'observe au voisinage des champs de menhirs, comme si ces sanctuaires avaient attiré leurs constructeurs (à moins que ce ne soit l'inverse).
Dater les champs de menhirs carnacois n'est pas facile en l'état actuel des connaissances. La seule chronologie relative claire est fournie par le tertre du Manio, monument précoce (Ve millénaire avant J.-C.), recouvert par l'extrémité des alignements de Kermario qui seraient donc significativement plus récents. Il est d'ailleurs probable que de tels ensembles ne se sont pas faits en un jour et que les recherches à venir y mettront en évidence plusieurs "tranches" de construction. Des menhirs discordants par rapport à leurs voisins (orientés à contresens, non alignés ou de taille anormale) se rencontrent ici et là ; ils pourraient correspondre à des reliques d'états antérieurs.