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Un véritable dilemme
Dans les dépôts organiques constitués de litières végétales, de brindilles et d'éléments d'architecture en bois, l'approche prudente des outillages en bois ou en écorce est particulièrement délicate. En effet, il faut momentanément privilégier l'objet à dégager au détriment des autres témoins végétaux qui ne peuvent être qu'échantillonnés.
Ici l'abondance des matières organiques contraint à des choix toujours remis en cause et à des pratiques d'échantillonnage sélectif. En quelque sorte, cela signifie que dans ces habitats, où les conditions de conservation sont extraordinaires, on ne peut que faire une sélection parmi ces millions de témoins habituellement disparus et que l'archéologue de "terre ferme" recherche désespérément.
Décapage d'une boîte en écorce de tilleul.
Clairvaux, La Motte-aux-Magnins, 30e siècle av. J.-C.
Lests de filet avec écorce de bouleau enroulée autour de fragments de calcaire.
Clairvaux, La Motte-aux-Magnins, 36e siècle av. J.-C.
Le dégagement des objets
Le dégagement des objets très fragiles, lorsqu'ils ont été repérés, ne pose pas vraiment de problèmes particuliers. Il n'en demeure pas moins que ces objets, ainsi que tous les bois archéologiques eux-mêmes, risquent d'être détruits par la truelle si l'archéologue cherche à réaliser des décapages visuellement satisfaisants, mais sans privilégier les clivages naturels du sédiment.
À Clairvaux, où a été réalisé notre premier apprentissage de l'archéologie en milieu humide, il a fallu à peu près quatre saisons de fouille avant que nous arrivions à trouver les premiers artefacts en bois sans les détériorer. C'est le temps qu'il a fallu pour comprendre qu'il est souvent plus sûr, au premier indice de contact avec un objet très fragile, d'abandonner la truelle et de fouiller simplement à la main ou au doigt, ce qui n'empêche pas une fouille minutieuse.
Une fois à l'air libre, l'objet va se détériorer très vite : se pose alors le problème de son prélèvement et de sa conservation à long terme. Cette dégradation imminente est également problématique lorsque l'on cherche à dégager de grands ensembles pour pouvoir observer leurs relations in situ.
Le dégagement des grands ensembles
Le site de Chalain 3 représente un cas rare où les maisons à plancher rehaussé se sont effondrées sur la couche d'habitat. Les pièces d'architecture y sont conservées en nombre incroyable. Pour tenter de comprendre les relations entre les bois travaillés et le sol d'habitat, il a fallu faire le choix de fouiller la couche d'occupation en laissant tous les bois en place. Avec un peu plus d'un millier de pièces d'architecture préservées en place pendant deux mois sur 160 m² à peine, la nécessité s'est rapidement fait sentir d'humidifier régulièrement les vestiges et de les recouvrir d'un film plastique mince, pour éviter leur dessiccation rapide à l'air et au soleil.
C'était un exercice lassant que d'avoir à déballer ces bois avant chaque relevé photographique et de passer à nouveau une heure ou deux pour les réemballer. C'était pourtant la condition pour comprendre visuellement l'articulation des pièces d'architecture entre elles et distinguer les sols de perches parallèles dans les ruelles et les longues planches de maisons mitoyennes. Mais la répartition des témoins archéologiques classiques en a pâti, avec une précision de prélèvement de l'ordre du mètre-carré.
Protection de pièces d'architecture.
Chalain 3, 32e siècle av. J.-C.
Les bois sont recouverts d'un film plastique pour les conserver en ambiance humide.
L'échantillonnage des restes organiques
En raison de toutes les difficultés inhérentes aux modalités de fouille en milieu humide, le tamisage des sédiments s'avère souvent indispensable pour échantillonner parmi le sédiment lui-même et la matière organique, qui contiennent aussi bien les graines que les rejets de travail du bois. Il s'agit là d'une technique longue et un subtil équilibre doit être trouvé entre la vitesse de fouille et l'échantillonnage par tamisage.
Il est toujours difficile de se dire qu'on aura à jeter aux déblais certains témoins archéologiques (les graines, les mousses, les écorces, les brindilles ...), dont la conservation attire l'œil et l'intérêt lors des premiers contacts avec l'archéologie de milieu humide. Mais une problématique solide et un bon échantillonnage raisonné valent parfois mieux qu'un tamisage systématique dans le but utopique d'accumuler des données rarement exploitables.
Tamisage et collecte des éclisses et des copeaux de bois.
Clairvaux, La Motte-aux-Magnins.
Tamisage et collecte des éclisses et des copeaux de bois.
Clairvaux, La Motte-aux-Magnins.
L'intérêt des bois architecturaux
La plus grande attention a toujours été portée aux poteaux des maisons, qui, dans le cas du chêne et du frêne, peuvent souvent être datés par la dendrochronologie.
Mais le problème n'est pas simple, parce qu'il n'y a pratiquement jamais de corrélation directe entre les poteaux verticaux (qui apparaissent sous le niveau d'étiage de la nappe d'eau) et les couches archéologiques horizontales. La datation des habitats eux-mêmes est donc entièrement liée à l'attention portée aux bois horizontaux et aux copeaux, dont les cernes de croissance pourront, peut-être, être corrélés avec les moyennes dendrochronologiques construites à partir des poteaux. C'est la condition sine qua non de l'établissement de véritables référentiels de dates absolues en rapport avec les données archéologiques.
La conservation des vestiges en matériaux périssables
Il ne faut pas sous-estimer les problèmes très réels que posent le prélèvement et la conservation à long terme du mobilier archéologique dès qu'il est sorti des milieux gorgés d'eau et exposé à l'air.
La conservation est exceptionnelle, il est vrai, parce que l'ambiance aquatique stable a ralenti la dégradation des objets les plus fragiles. Brutalement, la fouille va rompre cette stabilité plurimillénaire et la dégradation ira s'accélérant. La technique est alors de conserver les artefacts dans l'eau, puis de les stabiliser en laboratoire, en remplaçant l'eau à l'intérieur de l'objet par un produit qui va durcir et éviter les déformations lors du séchage. D'énormes progrès restent à faire dans ce domaine, ainsi que pour consolider des prélèvements coffrés de grandes dimensions ou traiter durablement les milliers d'outils en bois de cerf qui pâtissent également de ce passage brutal de l'eau à l'air.
Coffrage et protection d'un clayonnage en noisetier par un film plastique.
Chalain 3, 30e siècle avant notre ère.
Gaines de hache après restauration.
Clairvaux, La Motte-aux-Magnins, 30e siècle av. J.-C.