Symboles peints ou gravés énigmatiques présents sur les parois de Font-de-Gaume et celles des trois autres grottes magdaléniennes de la région, les tectiformes intriguent autant qu'ils fascinent. Nul n'est encore sûr aujourd'hui de leur usage qui semble cependant lié à une signification symbolique et identitaire.

Représentation ou signe ?

Le tectiforme a ainsi été baptisé par l’abbé Breuil au début du 20e siècle en référence à sa forme évoquant un toit. À cette époque, il était fréquent de chercher dans ce que l’on désigne aujourd’hui comme des signes, des représentations d’objets du quotidien. Le tectiforme devenait donc une référence aux huttes ou aux cabanes, ou encore parfois à de supposés systèmes de piégeage des chasseurs paléolithiques.

Depuis les travaux d’André Leroi-Gourhan notamment, on reconnaît la valeur essentiellement symbolique et abstraite de ces motifs. Certains ont tenté d’y voir un système d’écriture, presque un alphabet, qui aurait accompagné les figures animales dans les profondeurs des grottes. Personne n’est toutefois parvenu à décrypter ces motifs, dont la valeur est sans doute portée aussi bien par la forme elle-même que par son environnement graphique et peut-être sa localisation au sein du site.

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Tectiformes rouges, galerie principale, paroi gauche, première partie. (© Olivier Huard / Centre des monuments nationaux.)

Tectiformes rouges, galerie principale, paroi gauche, première partie. (© Olivier Huard / Centre des monuments nationaux.)

Tectiforme gravé. (© Olivier Huard / Centre des monuments nationaux)

Un marqueur identitaire : les "grottes à tectiformes"

Certains des signes connus dans l’art préhistorique montrent une répartition géographique et culturelle restreinte. C’est le cas pour certains motifs rectangulaires très élaborés, connus uniquement dans le Nord de l’Espagne, ou encore les signes claviformes, en forme de massue, présents dans les grottes ornées de part et d’autre des Pyrénées. Les tectiformes, quant à eux, sont figurés uniquement dans la région des Eyzies, autour de Font-de-Gaume, et associés à la culture du Magdalénien moyen.

Seules quatre grottes abritent ce type de signe. Outre Font-de-Gaume, on les rencontre à Rouffignac, aux Combarelles et à Bernifal. Ils n’existent dans aucun autre site magdalénien de la région. C’est pour cela qu’ils sont parfois considérés comme des marqueurs identitaires ou ethniques, des sortes de « blasons », propres à un même groupe humain qui auraient laissé sa marque symbolique personnelle. On s’étonne cependant de ne retrouver aucun de ces signes sur des objets d’art mobilier qui auraient pu être réalisés au sein des mêmes groupes humains. Cela ne fait qu’ajouter un peu plus de mystère à ces signes dont on ignore encore le sens profond.

Grotte de Rouffignac, tectiforme gravé dans la galerie du grand Plafond (tracés digitaux), largeur 40 cm. (© J. Plassard.)

Des expressions multiples : variété formelle et technique

D’un site à l’autre, le signe tectiforme est toujours bâti selon un schéma identique. L’élément principal est le pilier central. Il offre un axe de symétrie parfait et supporte la « construction ». Il est souvent appuyé sur une base horizontale, et toujours surmonté d’un toit. Ce dernier est composé de deux pans obliques. Parfois, d’autres tracés verticaux ou obliques complètent de part et d’autre la structure en pentagone. Ce schéma de base est parfois rendu plus complexe par un remplissage linéaire ou ponctué de la partie interne du signe. En réalité, malgré une très grande similarité d’un motif à l’autre, il n’y a pas deux signes tectiformes qui soient exactement identiques. Cela est vrai aussi bien d’une grotte à l’autre mais aussi au sein d’un même site. Cette variabilité formelle témoigne donc d’une certaine liberté expressive, qui peut aussi revêtir des nuances symboliques.

Les techniques d’expression graphiques utilisées pour représenter ces signes sont également très variées. Les tectiformes sont souvent gravés au silex. Parfois, ils sont esquissés du bout des doigts ou avec un simple bâton sur les supports les plus tendres. Ailleurs, ils sont finement dessinés ou peints au pigment rouge. Dans cette catégorie, l’un des signes les plus remarquables est sans doute celui du fond de la grotte de Bernifal, réalisé par la juxtaposition de plusieurs centaines de ponctuations rouges de moins d’un centimètre de diamètre. Le catalogue des techniques mises en œuvre par les artistes est vaste mais il ne faut pas oublier que le support joue un rôle contraignant. Telle paroi molle se prêtera à la gravure grossière au doigt ou au bâton mais sera inadaptée à la peinture. Telle autre suscitera plutôt la peinture que la gravure. L’insertion des signes tectiformes dans les grottes et sur leur support spécifique est révélatrice, au même titre que les autres thèmes de l’art paléolithique, de l’extrême complexité des comportements symboliques sous-tendus.