Comme leurs voisins, les scribes ougaritains mettaient par écrit de longs poèmes mythologiques relatant les aventures de leurs grands dieux. D’après les quelques indices dont nous disposons, il semblerait que ces poèmes auraient été chantés pendant des banquets royaux.

Mais contrairement aux Hittites ou aux Hourrites, ces grands mythes ougaritiques n’étaient pas écrit au moyen du syllabaire mésopotamien (l’écriture la plus répandue à l’époque), mais avec un alphabet : il s’agissait donc là d’une innovation audacieuse (car sans précédent connu), qui allait par la suite être reprise par la presque totalité des civilisations méditerranéennes lettrées à partir du début du I er millénaire av. J.-C.

Ces mythes ougaritiques constituent un véritable patrimoine littéraire et religieux et représentent le plus ancien corpus connu de ce genre de texte rédigé dans une langue ouest-sémitique. Les mythes ougaritiques préfigurent ainsi en quelque sorte les littératures religieuses « ouest-sémitiques » mieux connues qui allaient apparaître pendant les millénaires suivants, dans la Bible hébraïque, dans les écrits chrétiens et juifs, et dans le Coran, par exemple.

Le passage ci-dessus vient du plus célèbre des mythes ougaritiques, appelé le Cycle de Ba‘lu d’après son personnage principal, le dieux de l’orage, dieu protecteur d’Ougarit.

Comme on le voit dans le texte, cet épisode relate comment notre protagoniste émerge victorieux après avoir mené un combat cosmique contre la Mer (personnification des forces du chaos) ; d’autres tablettes du même cycle (les copistes anciens ajoutaient en marge la notation « appartenant au [Cycle de] Ba‘lu ») racontent d’autres aventures, telles la construction d’un palais majestueux digne du nouveau statut de Ba‘lu (en tant que roi des dieux), et enfin l’invitation proférée au dieu de l’orage (et - hélas ! - acceptée) par le dieu de la Mort de descendre au Enfers…

un extrait du Cycle de Ba‘lu

(RS 3.367 iv = CTA 2 iv = KTU 1.2 iv )

(traduction de P. Bordreuil & D. Pardee, Manuel d’Ougaritique 2004)

 

Et d'intervenir Kôṯaru-wa-Ḫasīsu :

Voici que je te dis, ô Altesse Baʿlu,

que je (t')annonce, ô Chevaucheur des Nuées :

Voici, ton ennemi, ô Baʿlu,

voici, ton ennemi, tu (le) frapperas,

voici, tu détruiras ton adversaire.

Tu (re)prendras ta royauté perpétuelle,

ta souveraineté de siècle en siècle.

 (Alors) Kôṯaru fabrique deux massues,

et il proclame leurs noms :

Ton nom, toi, c'est Yagrušu :

Ô Yagrušu, chasse Yammu ;

chasse Yammu de son trône,

Naharu du siège de sa souveraineté.

Tu tournoieras dans la main de Baʿlu,

comme un épervier entre ses doigts.

Frappe l'épaule de l'Altesse Yammu,

la poitrine de Chef Naharu.

La massue se met à tournoyer dans la main de Baʿlu,

comme un épervier entre ses doigts.

Elle frappe l'épaule de l'Altesse Yammu,

la poitrine de Chef Naharu.

Yammu est fort, il ne s'affaisse pas,

ses articulations ne vacillent pas,

son corps ne se défait pas.

Oui, Kôṯaru fabrique deux massues,

et il proclame leurs noms :

Ton nom, toi, c'est ʾAyamiri :

Ô  ʾAyamiri, expulse Yammu ;

expulse Yammu de son trône,

Naharu du siège de sa souveraineté.

Tu tournoieras dans la main de Baʿlu,

comme un épervier entre ses doigts.

Frappe la tête de l'Altesse Yammu,

le front de Chef Naharu :

Yammu s'écroulera,

il tombera à terre.

Alors la massue se met à tournoyer dans la main de Baʿlu,

comme un épervier entre ses doigts.

Elle frappe la tête de l'Altesse Yammu,

le front de Chef Naharu.

Yammu s'écroule,

il tombe à terre ;

ses articulations vacillent,

son corps se défait.

Baʿlu se met à traîner Yammu, commence à le dépecer,

à achever Chef Naharu.

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