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Ni vivants, ni défunts, ils étaient des marins !
Abrités sous les gaillards ou hissés dans la mâture, penchés sur les canons ou agrippés aux vergues, les marins de la Natière ont appris l’océan en subissant sa loi. Lorsque le vent refuse, sur la coque encalminée, ils ont meublé leur patience en sculptant, polissant et créant, dans l’os ou dans le bois, quelques objets uniques. Parfois même ils ont prié Dieu afin qu’il dépêche une brise favorable. La vie du bord était rythmée de rituels qui trompent l’ennui : les quarts, les travaux, les repas. Elle était aussi ponctuée de chants, de danses et de jeux. Serrés dans l’entrepont, des hommes ont ainsi vécu, mangé et dormi, leurs branles accrochés sous les barrots, leurs hardes rangées dans des coffres. Tombant du haut des mâts ou tués par les fièvres, emportés par la lame ou frappés d’un boulet, des marins ont également péri. Sur les épaves de la Natière, des siècles après le drame, ces hommes ressurgissent aujourd’hui du chaos. C’est ainsi que les fragiles vestiges de repas, une chaussure, quelques dés, une pipe et son étui ou le couteau d'un chirurgien reviennent pour témoigner du quotidien des hommes. Négligés par l’écrit, oubliés par l’histoire, ils étaient là, nombreux, qui travaillaient, chantaient, priaient, rêvaient … Ni vivants, ni défunts, ils étaient des marins !
L'équipage
Les archives ne font état d’aucun décès lors du naufrage des deux frégates sur les roches de la Natière. On est donc fondé à penser que tous les membres des deux équipages ont survécu. Les marques de leur existence à bord sont omniprésentes sur les épaves. Elles s’expriment, notamment par les dizaines de chaussures découvertes pendant la fouille. Façonnés en cuir et munis, pour l’essentiel, de talons en lamelles de cuir chevillées, les souliers de La Dauphine étaient pourvus d’une petite boucle latérale, à la différence de ceux de L’Aimable Grenot qui se singularisent, le plus souvent, par une large boucle sur le devant.
La fouille a mis en évidence l’extrême utilisation de ces souliers, parfois usés jusqu’à la corde. On remplaçait la boucle par des lacets lorsque l’extrémité des pattes de fixation de la boucle venait à lâcher, ou l’on transformait la chaussure en mule ou en sabot lorsque ces pattes étaient inutilisables... L’étude des souliers apporte également des informations précieuses sur l’équipage lui-même : l’âge et la stature des marins sont ainsi révélés par les pointures cependant que les traces d’usure et les réparations localisées de la chaussure trahissent leurs pathologies physiques.
Les traces archéologiques des vêtements eux-mêmes sont plus ténues. Elles se résument à de trop rares fragments textiles. Pour autant, les découvertes de boutons, tournés en bois, en étain ou en cuivre, permettent d’entrapercevoir un peu ces vêtements disparus. L’un d’entre eux signale même, par sa double attache, la nature du pantalon ample et bouffant qu’il était destiné à fermer.