Une image de rapports conflictuels

Peu d'informations nous sont parvenues par les textes de l'Antiquité sur les sociétés indigènes qui entouraient Marseille grecque vers la fin du second âge du fer. Par-delà les allusions convenues aux mœurs "barbares" de ces populations de Celtes et de Ligures, un leitmotiv ressort des écrits tardo-hellénistiques et des compilations plus récentes : celui du danger et de la pression militaire que ce milieu indigène a toujours fait peser sur la colonie phocéenne, ses territoires de proximité et ses intérêts commerciaux. En effet, dès le lendemain de l'idylle mythique de Gyptis, fille de Nanos, roi des Ségobriges, et du phocéen Prôtis, les conflits se sont multipliés avec l'environnement autochtone, milieu indispensable à l'économie et au commerce des Marseillais, mais peu fiable dans ses alliances.

Textes antiques et données répétitives de l'archéologie (villages incendiés, par exemple) laissent entrevoir la réalité de ces rivalités violentes, du VIe au IIe siècle av. J.-C.. Ainsi, l'historien gaulois Trogue-Pompée fustige, au Ier siècle av. J.-C., ces "Ligures jaloux des progrès de la ville […] et qui harcelaient les Grecs de guerres continuelles" (ap. Justin, XLIII, 3).

La légende de fondation de Marseille : Gyptis, la fille du roi des Ségobriges, choisit son époux au cours d'un festin. Elle délaisse les Gaulois et choisit Prôtis, un grec récemment arrivé, auquel le roi offre un lieu pour fonder une ville, Massalia. Gravure du XIXe siècle, extraite de L'Histoire populaire de la France, vers 1875.

Sur la côte, la piraterie ligure oblige la cité grecque à renforcer la protection de ses lignes commerciales maritimes au IVe s., puis au IIIe s. et début du IIe s., par la création de places coloniales de défense (épiteichismata). L'archéologie montre les traces des interventions militaires terrestres autour de l'Étang de Berre dès les alentours de -200. Ce sentiment d'insécurité est provoqué par "les Gaulois salluviens qui pillent le territoire" (Tite-Live, Epit. 60) et qui "exercent leur brigandage sur terre et sur mer…" (Strabon, Géographie, IV, 6, 3); il contraint la ville phocéenne à se fortifier, à se méfier des étrangers et à se doter d'un puissant arsenal. Danger permanent très bien souligné par l'historien et poète latin Silius Italicus qui dépeint les Marseillais de la fin du IIIe s. av. J.-C. "entourés de tribus arrogantes et terrifiés par les rituels sauvages de leurs voisins barbares" (Punica, XV, 169-172).

L'affirmation d'une classe aristocratique

Les IIIe et IIe siècles avant notre ère sont caractérisés dans le Midi, comme ailleurs en Gaule, par un rapide développement des formes de l'économie et par l'affirmation politique de la classe aristocratique. Longtemps maintenue sous la domination commerciale marseillaise, la Provence occidentale connaît alors, contrairement aux autres régions méditerranéennes, une mutation difficile émaillée de tensions et de profondes divergences culturelles. Elles engendreront une succession d'affrontements dans l'arrière-pays de la ville grecque et le long du littoral.

L'agglomération d'Entremont, près d'Aix-en-Provence, est au cœur du territoire des Salyens ; elle est associée par les historiens aux témoignages antiques sur la prise de la "dernière citadelle" de la fédération. Les vestiges exhumés renvoient une image très explicite des transformations intervenues à cette époque dans la vie économique et sociale des populations. De plus, l'exceptionnel lot de sculptures découvert dans l'habitat nous offre une précieuse galerie de portraits des familles aristocratiques qui exerçaient leur autorité et leurs prérogatives sur les territoires de proximité dès le IIIe s. av. J.-C.