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Une "royauté" au pouvoir héréditaire ?
L'approche de la structuration sociale des peuples du Sud-Est méditerranéen doit reposer sur l'analyse critique de l'information des textes antiques et des données de l'archéologie. Dès les premières sources textuelles, les allusions aux peuples entourant Marseille mettent en avant l'existence d'une "royauté" au pouvoir héréditaire.
Nanos, père de Gyptis, est le chef des Ségobriges, le "great man" de la région sur laquelle s'implante la première agglomération des Phocéens ; son fils, Comanos, lui succédera. Le récit mythique de la fondation de Massalia, tout conventionnel qu'il soit, renvoie pourtant la même image que celle qui se dégage aujourd'hui de l'analyse des milieux funéraires : l'existence, dès le premier âge du Fer, de familles possédant des surcroîts de biens, et peut-être déjà les bénéficiaires d'une part des terres, du moins de leurs revenus.
Certainement, ce sont les mêmes qui ont géré d'emblée l'organisation des échanges avec les Phocéens. Ainsi, le témoignage des feuilles de plomb du Languedoc occidental aux Ve et IVe s. avant notre ère ne laisse guère de doute sur l'implication des autochtones dans le commerce maritime régional.
Les statues de personnages accroupis héroïsés du site de Roquepertuse à Velaux (Bouches-du-Rhône), désormais attribuées par leur style au Ve s. av. J.-C., attestent clairement de l'émergence de puissantes familles à la fin du premier âge du Fer et d'un sanctuaire établi apparemment pour leur gloire sur un domaine de proximité.
Un pouvoir morcelé et foncièrement rural
Aux IIIe et IIe s. av. J.-C., dans l'arrière-pays de Marseille, cette élite demeure rurale. Elle réside sur ses domaines, dans des fermes fortifiées dont l'ampleur est sans aucun doute très variable selon l'importance politique et les possessions de la famille. Les habitats groupés, planifiés et concentrés, fortifiés et généralement de plus grandes superficies, paraissent, quant à eux, constitués pour l'essentiel d'une population d'ouvriers agricoles et d'artisans. Le site de Roquepertuse offre, au IIIe s. av. J.-C., l'exemple très probable d'une telle ferme fortifiée accolée à un hameau, sans doute les logements des dépendants indispensables, guerriers, artisans et paysans travaillant sur les terres voisines.
Une aristocratie équestre et guerrière…
Les textes relatant la chute du dernier bastion de résistance des Salyens en -123 et la fuite des dirigeants survivants chez leurs alliés Allobroges, sont riches d'informations. Outre la puissance des liens d'interdépendance, il est mentionné que la fédération des Salyens était dirigée par un basileus, entouré de dunastai.
Dans cette région du Midi, comme ailleurs en Gaule aux dires de César, le pouvoir est concentré à la fin de l'indépendance, dans les mains de grandes familles aristocratiques (equites), elles-mêmes sans doute servies par d'autres plus modestes constituant leur clientèle (ou ambacti).
…d'où émergent de nouvelles valeurs culturelles
Au sein de cette classe équestre, empreinte de valeurs traditionnelles, émergent clairement au IIe s. av. J.-C., de nouvelles conceptions de la vie sociale et de l'affirmation de leur rang.
Le texte de Diodore de Sicile (Bibliothèque historique, XXXIV, 23) sur la prise du dernier retranchement des Salyens est instructif sur les divergences culturelles et politiques qui fragilisent l'image de l'apparente unité de cette couche sociale. En effet, parmi les prisonniers gaulois, un certain Craton (en grec, le "puissant") avait eu à subir les avanies de ses pairs car il était opposé à l'ouverture des conflits armés avec Marseille. Reconnu, il est délivré "avec neuf cents des siens".
Au-delà du témoignage édifiant de la magnanimité du vainqueur ou de l'ampleur suggérée de la "maisonnée" de cet aristocrate, le récit offre un exceptionnel témoignage de la violence possible que peuvent engendrer les oppositions au sein de cette classe. Craton, à l'opposé de la majorité locale au pouvoir, avait sans doute opté pour une ouverture à des valeurs plus méditerranéennes et certainement à des activités commerciales, repoussant de ce fait celles plus traditionnelles fondées sur la bravoure guerrière, ses pratiques héroïques, et les rapports contraignants de dépendance à la terre.