Une grande partie des destructions opérées sur les épaves du Débarquement résulte d’actions de ferraillage. Après-guerre et jusqu’au début des années 1990, l’État a octroyé à des sociétés le droit d’exploiter les épaves métalliques gisant en baie de Seine.

L’immédiat après-guerre

Un enjeu sécuritaire et économique


Le ferraillage débute dès novembre 1944. Il répond d’abord à un enjeu sécuritaire : il s’agit de débarrasser les plages et la baie de Seine des épaves qui constituent un danger pour la navigation et pénalisent la reprise des activités en mer. L’enjeu économique est également de taille : dans la période de restriction et de reconstruction de l’après-guerre, les épaves et objets métalliques représentent un gisement de métaux souvent rares et chers (notamment le bronze, le laiton et le cuivre).

La Commission Locale des Renflouements de Cherbourg


Créée le 8 novembre 1944, cette commission doit dresser un inventaire détaillé des épaves de la rade de Cherbourg, de Saint-Malo, des îles anglo-normandes et au large des plages du Débarquement. Elle doit aussi prévenir les pillages et fait par exemple gardienner, le 28 février 1945, l’épave de l’ancien cuirassé Courbet, peu profonde et proche des côtes, qui suscite les convoitises. Sa remise à flot étant finalement écartée, un appel d’offres est lancé le 21 juin 1946 afin de la ferrailler. Ce chantier est confié à La Sirène, société créée par Mario Serra, ferrailleur d’origine italienne arrivé en France en 1935. Ce dernier œuvrera en Normandie jusqu’en 1956, suivi par son fils Gabriel Serra.

La multiplicité des régimes de propriété des navires perdus dans la zone complique la tâche. Dans un premier temps, la commission n’est compétente que pour les épaves battant pavillon français. Elle ne peut s’opposer aux décisions de l’Amirauté britannique, qui confie en avril 1945 la récupération des blockships de Gold, Juno et Sword, à l’entreprise British Iron Steel Corporation. Cette société renfloue dix cargos, ensuite ferraillés en Écosse ou en Irlande du Nord, et en démantèle dix autres, plus détériorés, sur place. L’entreprise cesse son activité en septembre 1949, vraisemblablement parce qu’elle agit sans contrat, laissant quelques navires en cours de ferraillage dans le secteur de Gold Beach.

 

Une activité progressivement réglementée

La Société Nationale des Ventes de Surplus


En août 1946, l’État français décide de réglementer le ferraillage en créant la SNVS. Celle-ci est notamment chargée de la vente des épaves relevant du droit français ou abandonnées par leurs propriétaires étrangers dans les eaux territoriales françaises. Des contrats et des actes de vente sont dès lors signés avec plusieurs entreprises, le plus souvent étrangères : société belge Van Loo à Omaha Beach, frères Grignani à Utah Beach, etc. La convention signée le 24 décembre 1948 entre l’État français et l’entreprise Van Loo, acte la cession à cette dernière des épaves américaines et anglaises d’Omaha Beach, en échange de blindés, d’armes et de pièces détachées diverses.

À partir de 1949, de gigantesques chantiers de démolition s’installent sur le littoral et des millions de tonnes de ferraille sont extraites de la mer durant les 20 années qui suivent. Ces chantiers emploient plusieurs centaines de travailleurs locaux, ruraux pour la plupart. Certaines des épaves se trouvant dans la rade du Mulberry B sont vendues aux enchères en mai 1950. Après la disparition de l’entreprise Lepage, l’un de ses salariés, Jean Demota, crée sa propre entreprise à Courseulles-sur-Mer, et se voit attribuer en 1955 par la SNVS plusieurs épaves situées entre la pointe de Tracy et Ouistreham. Dès 1960, l’entreprise, qui emploie jusqu’à sept scaphandriers, étend son périmètre d’activité aux secteurs d’Utah et d’Omaha, où elle termine les chantiers inachevés des frères Grignani et de l’entreprise Van Loo. Dans les années 1970, le jeune plongeur professionnel Jacques Lemonchois prend le relais. Il est chargé par l’État français d’araser les dernières épaves gênantes. Il fonde le musée des épaves sous-marines de Commes, où sa collection est présentée.

Impact du ferraillage sur les épaves


L’état actuel des épaves du Débarquement les plus proches des côtes normandes témoigne bien des activités de ferraillage. Des blockships constitutifs des cinq Gooseberries, ne subsistent généralement que les fonds de carène. L’épave interprétée comme le Liberty ship Charles Morgan présente elle aussi une découpe nette à quelques centimètres au-dessus du fond. À l’inverse, les structures en béton armé tels les caissons Phoenix des ports artificiels ou les blockships Vitruvius et David O’Saylor demeurent en bon état, de même que les épaves les plus éloignées des côtes.