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Une villa gallo-romaine type
La villa d'Estrées-sur-Noye (Somme) peut être considérée comme caractéristique de ces vastes établissements ruraux.
Si on l'examine, on est frappé par l'importance et la monumentalité de l'habitation principale. Placée sur le rebord du plateau, orientée au soleil levant, elle domine toute la vallée de la Noye.
Suivant les saisons, ce bâtiment principal prend d'avion des aspects fort différents.
Il est fréquent qu'il soit totalement invisible. A l'aide de vues aériennes faites plusieurs années de suite, et grâce à un labourage profond qui rendait les lignes de fondations discernables, le plan sommaire en a été dressé au sol. Quoique moins étendu, il évoque de très près le vaste ensemble d'Anthée en Belgique.
Déclinaisons du plan type
Dans les plaines fertiles de l'Artois ou de l'Oise, on retrouve des établissements conçus exactement comme celui d'Estrées-sur-Noye et parfois nettement plus vastes. C'est le cas de Francières-Hémévillers (Oise) où la pars urbana s'étoffe de constructions latérales importantes. La villa d'Athies (Somme) est plus étendue encore mais, pour l'instant, seule l'habitation principale a été fouillée.
Parmi les grandes villas dont l'habitation principale est imposante, certaines ont, comme à Warfusée-Abancourt nord (Somme), une pars agraria moins longue, mais plus large et de plan très élaboré. De plus, quelques constructions désordonnées sont établies nettement à l'extérieur comme le recommandaient les agronomes latins pour les ateliers nauséabonds ou dangereux.
Il existe aussi de grandes villas très allongées, parfaitement rectilignes, mais dont la résidence principale paraît plus modeste, comme à Cappy, à Warfusée-Abancourt, etc.
La similitude des plans de ces villas a permis l'élaboration d'une maquette qui est une tentative de reconstitution type de ces grandes exploitations rurales du début du IIIe siècle, compte tenu des fouilles faites à Estrées-sur-Noye (Somme). La présence des murs de clôture et d'enclos rectilignes accolés est parfois visible sur les clichés.
Vue d'ensemble de la villa gallo-romaine d'Estrées-sur-Noye (Somme).
Même site : vue de détail de la résidence principale, l'été, dans les céréales. Les emplacements des lignes de fondations apparaissent en vert et sont un peu plus nettes.
Même site : vue de détail de la résidence principale, l'hiver.
Estrées-sur-Noye (Somme).
Francières-Hémévillers (Oise).
A : Première cour (pars urbana).
B : Habitation principale.
C : Deuxième cour (pars rustica).
D : Mur de clôture.
E : Petit édifice carré : portail de
communication entre les deux cours.
F : Seconde habitation (probablement
la demeure du régisseur).
G : Nombreuses dépendances s'ordonnant de part
et d'autre de la cour.
X : Quelques constructions désordonnées
repoussées à l'extérieur, probablement pour les
ateliers nauséabonds et dangereux.
Maquette d'une grande villa gallo-romaine caractéristique des grosses exploitations du Nord de la Gaule. H. Bernard (Musée d'Abbeville).
A : Première cour (pars urbana).
B : Habitation principale.
C : Deuxième cour (pars rustica).
D : Mur de clôture.
E : Petit édifice carré : portail de
communication entre les deux cours.
F : Seconde habitation (probablement
la demeure du régisseur).
G : Nombreuses dépendances s'ordonnant de part
et d'autre de la cour.
X : Quelques constructions désordonnées
repoussées à l'extérieur, probablement pour les
ateliers nauséabonds et dangereux.
La villa gallo-romaine d'Estrée-sur-Noye (Somme) a servi de base à l'élaboration de la maquette, d'après les fouilles effectuées par R. Agache.
A : Première cour (pars urbana).
B : Habitation principale.
C : Deuxième cour (pars rustica).
D : Mur de clôture.
E : Petit édifice carré : portail de
communication entre les deux cours.
F : Seconde habitation (probablement
la demeure du régisseur).
G : Nombreuses dépendances s'ordonnant de part
et d'autre de la cour.
X : Quelques constructions désordonnées
repoussées à l'extérieur, probablement pour les
ateliers nauséabonds et dangereux.
Quelques variantes du plan type
Cependant, il existe quelques légères variantes à ce plan type. Au lieu d'être bien rectangulaires, les deux cours s'évasent parfois et deviennent ainsi un peu trapézoïdales, tout en demeurant parfaitement géométriques et de très grandes dimensions (Agache 1978 et Agache, Bréart 1975). Les plus vastes sont celles de Le Mesge (Somme), d'Ecoust-Saint-Mein (Pas-de-Calais)... et surtout de Lahoussoye (Somme), la seule qui possède trois cours successives.
Quelques villas importantes disposent d'un plan de masse un peu moins régulier, bien que d'une ordonnance très proche, comme à Malpart (Somme), Daours-Vecquemont (Somme), Vaux-sur-Somme. Dans la plupart des cas, cette irrégularité apparente résulte de remaniements, destructions et réédifications successives.
Si le plan de la villa de Belleuse (Somme) apparaît irrégulier, c'est que cette villa a été remaniée ou reconstruite au moins trois fois. Ainsi, le portail qui met en communication les deux cours a manifestement été déplacé trois fois.
On a trouvé de multiples exemples de tels remaniements (Agache 1970 et 1978).
Les petites et moyennes villas
Il existe des villas aux dimensions plus petites. Presque toutes ont un plan de masse à peu près identique. La majorité est comprise entre 200 et 300 m. Cette longueur est déjà énorme. D'autres ne font que 100 à 200 m de longueur, ce qui est encore notable. Dans ces villas moyennes et petites, on retrouve les deux cours et presque toujours les deux habitations principales.
Les dépendances sont disposées de la même façon quand elles sont discernables. Dans 4 à 5 % des cas seulement, elles sont disséminées sans ordre apparent, mais s'agit-il alors réellement de villas ?
Enfin, il y a ce que les géographes appellent la "ferme élémentaire", c'est-à-dire la maison et la grange situées face à face, mais 75 % des villas implantées dans les terres à blé ont plus de 200 m. Il est vrai que ce sont celles qui risquent le moins d'échapper au prospecteur aérien.
Ce sont les plus vastes villas qui dominent, même si elles se sont agrandies progressivement pour atteindre leur taille au début du IIIe siècle, comme en témoignent les fouilles.
C'est la base même de la romanisation. C'est la réussite fondamentale de Rome par opposition aux villes dont les plans trop ambitieux avortent partiellement. Systématiquement implantées sur les terres les plus riches, selon les prescriptions des agronomes latins quant à l'organisation, l'orientation, l'implantation topographique et aussi au plan à deux cours, elles constituent le mode normal de mise en valeur des terres dans toute cette pars Galliarum planior.
C'est l'apogée et l'apothéose de la grande exploitation rurale où, fait rare, celle-ci et l'imposante habitation principale (véritable "château") forment un tout cohérent, conçu selon des principes architecturaux et qui est autant un monument de prestige qu'une source de revenus.
Par contre, dans les châteaux ruraux du XVIIe et XVIIIe siècle, la ferme seigneuriale est rejetée sur le côté avec des constructions généralement hétéroclites et désordonnées, alors que dans l'Antiquité, l'exploitation rurale est magnifiée : elle fait partie du même concept architectonique global, parfaitement géométrique. Le maître en tire gloire. Dans cette conception monumentale de la villa, on reconnaît une tendance latine à l'ostentation, à la mise en scène théâtrale, à la recherche de l'effet. La campagne est ainsi embellie car, pour Rome, la beauté est d'ordre mathématique. Là, comme ailleurs, la ligne droite va se substituer aux tracés curvilignes et aux entrelacs celtiques.
Le rôle des villas
La densité extrême de ces villas, même si toutes ne sont évidemment pas contemporaines, témoigne d'une implantation généralisée dans toutes les plaines fertiles de la France du Nord et aussi d'une romanisation profonde. Cette densité et cette standardisation des exploitations rurales attestent bien de l'extraordinaire prospérité et de l'étonnant succès de cette romanisation, succès obtenu moins par la contrainte que par l'émulation.
On sait par Tacite, à propos de la Bretagne insulaire, comment les Romains cherchaient à pacifier les indigènes en leur donnant le goût du confort et du luxe, afin qu'ils en viennent "à priser notre costume et souvent à porter la toge… à se laisser séduire par nos vices, par le goût des portiques, des bains et des festins raffinés…".
Et Tacite de conclure "dans leur inexpérience, les indigènes appelaient "civilisation" ce qui contribuait à les asservir" !
C'est sans doute ainsi que Rome parvint à obtenir une mise en valeur de la région et à fournir à l'armée et aux populations des villes les principales denrées dont elles avaient besoin. Bien des indices laissent à penser que ces grandes villas avaient un caractère mi-agricole, mi-artisanal et qu'on y produisait essentiellement du blé et de la laine, très probablement tissée dans de vastes caves que les fouilles révèlent parfois comme à Athies (Somme).
Le Mesge (Somme).
Ecoust-Saint-Mein (Pas-de-Calais).
Lahoussoye (Somme).
Malpart (Somme).
Flers (Somme).
Belleuse (Somme). |
Une ferme élémentaire à Pont-Remy (Somme).
Petite villa avec galerie façade. L'habitation principale n'est guère plus grande que la petite maison moderne visible au premier plan à droite. Mercatel (Pas-de-Calais).
Église (XIVe s.) et château (XVIIe s.) dans la Somme.
Fouille d'ensemble du bâtiment principal. Les fondations crayeuses apparaissent dans les terres récemment labourées. Athies (Somme).
Même site. Remarquable cave sous-sol avec des absides ornées et de grands soupiraux monoblocs. Elle semble avoir servi d'atelier de tissage dont le scellement des machines est visible dans la maçonnerie.
Grande villa gallo-romaine de plan inhabituel à Roye-sur-Matz (Oise).