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Villa gallo-romaine dite "ville de Marca", à Cambron (Somme). Le givre fait apparaître ses lignes de fondations et à droite, l'emplacement de la carrière
qui a servi à sa construction.
L'infrarouge " fausses couleurs " fait apparaître le plan d'une villa gallo-romaine bien caractéristique à longues cours rectangulaires. Warfusée-Abancourt (Somme).
L'apport spectaculaire de l'archéologie aérienne
Pendant longtemps, les meilleurs spécialistes estimaient qu'en Gaule, surtout du Nord, la civilisation gallo-romaine était essentiellement, voire exclusivement urbaine. Même l'illustre Guizot écrivait en parlant des campagnes de cette époque qu'elles "étaient cultivées […] mais pas peuplées" ! Les quelques traces de fondations antiques étaient presque toujours interprétées comme les restes d'une "ville" disparue, même pour une petite villa comme à Marca, près de Cambron (Somme).
Antérieurement aux prospections aériennes, on ne connaissait pas en Gaule du Nord de plan d'ensemble de villa. Les survols en ont révélé des centaines, souvent avec leurs dépendances et parfois avec une netteté comparable à celle d'une épure d'architecte !. Certes pour le conquérant romain, la ville - tout au moins la capitale des civitates - est le dispositif central de l'administration, de la politique, des affaires et des loisirs. On a même dit que c'était une civilisation des loisirs !
Il est évident qu'elle ne pouvait exister sans une campagne bien mise en valeur. On devait ainsi s'attendre à repérer d'avion des exploitations rurales, c'est-à-dire des villas. La première surprise a été d'en trouver autant, la seconde de constater la présence d'ensembles architecturaux grandioses, étonnamment stéréotypés, et cela dans toutes les riches terres à blé de la Gaule Belgique (Gallia Belgica).
Mais qu'est-ce qu'une villa ?
Une villa gallo-romaine n'est pas ce que nous appelons une "villa" à notre époque. Curieusement déjà dans l'Antiquité, le terme pouvait prêter à confusion, comme en témoigne la discussion sur le sens du mot dans le livre III du De re rustica de Varron. Il en ressort qu'une habitation, somptueuse ou non, ne peut être considérée comme "villa" que dans la mesure où "elle est le centre d'un domaine rural important et bien cultivé" (fundus). Une villa est, en principe, isolée dans la campagne.
Elle n'est qu'une grosse exploitation agricole au milieu de ses terres, ce que nous appelons aujourd'hui, une "grande ferme". Varron précise même, en plaisantant, qu'il doit "y avoir des ânes, des bœufs, du foin à sécher, des greniers pour les moissons, etc".
Toutefois, il semble que ce terme désignait surtout les plus riches de ces établissements, particulièrement autour de Rome (S. Agache 1999).
A ce sujet, Pline l'Ancien ironise sur ces "luxueuses villas… où il y a plus à balayer qu'à labourer". Le terme de "villa" n'apparaît, à propos de la Gaule, que dans le récit des guerres de l'an 21 et de 70 après J.-C. chez Tacite.
César n'emploie jamais ce mot. Il parle, lui, d'aedificia. Pour le conquérant, le mot "villa" ne peut désigner une construction "barbare", mais uniquement une habitation élaborée, "civilisée", c'est-à-dire un établissement rural répondant aux normes romaines dans sa conception et son ordonnance parfaitement géométrique, pour son plan de masse comme pour la résidence du maître.
La grande villa gallo-romaine de Clairy-Saulchoix (Somme). Elle apparaît ici à la suite des labourages qui font resurgir ses lignes de fondations.
La même villa, vue dans des conditions atmosphériques différentes et à contre jour. Seules les aires sombres, résultant de l'effondrement des murs en pisé, trahissent l'emplacement des diverses constructions.
La villa obéit déjà à des règles architecturales de symétrie et surtout introduit la maçonnerie, tout au moins pour les fondations ; ce qui est tout à fait nouveau en Gaule. Bref, dès que les aedificia sont construits à la mode romaine (more romanorum), ils deviennent des villas, qui marquent ainsi l'empreinte et l'emprise de Rome dans les provinces conquises.
Elles sont, ici, le fondement même de la civilisation gallo-romaine et de la mise en valeur systématique des terres. Le terme "villa" est employé de manière abusive par certains archéologues, qui ont tendance à considérer comme "villa", tout emplacement circonscrit où l'on trouve, dans les champs, des débris de tuiles à rebord, des tessons de céramique et des monnaies.
Les découvertes de fondations géométriques et de moellons sont plus intéressantes même si, là encore, elles ne marquent pas nécessairement l'emplacement d'une villa. Elles peuvent révéler un simple locus, une grange, un sanctuaire ou encore un vicus.
Les photographies aériennes fournissent souvent un plan d'ensemble homogène et cohérent de substructions s'ordonnant géométriquement par rapport à une résidence élaborée, ce qui est caractéristique d'une villa. Toutefois, seules les fouilles apportent les précisions indispensables sur sa datation et les différentes étapes de ses remaniements.
Le plan masse des grandes villas
Les prospections aériennes ont révélé que la quasi totalité des grandes villas de Picardie, d'Artois et d'une grande partie de la Gaule septentrionale répondent à un même plan architectural très élaboré, parfaitement orthogonal et aux dimensions impressionnantes.
Cette découverte est essentielle puisqu'elle a mis au grand jour des faits méconnus jusqu'alors. Certes, les archéologues belges avaient, à Anthée (près de Namur), pu établir le plan complet d'une immense villa, parfaitement rectangulaire, avec une foule de bâtiments régulièrement alignés le long de la cour. On pensait que cet édifice n'avait pas d'équivalent et on parlait d'une villa mi-agricole, mi-industrielle, avec sa "cité ouvrière" disposée autour d'une cour de 500 m de longueur.
Nous savons maintenant que c'est le type même d'établissement que l'avion a révélé être, au contraire, de règle dans la France du Nord.
Grande villa gallo-romaine en infrarouge à Martainneville (Somme).
Grande villa gallo-romaine dont le plan est presque identique à celui de Warfusée-Abancourt Sud. Cappy (Somme).
Grande villa gallo-romaine type de la France du Nord à Estrées-sur-Noye (Somme).