Dans le sillage de ses recherches sur les origines de l'Égypte, J. de Morgan a fait des outils en silex un matériau de choix pour rendre compte des "civilisations primitives" de l'Iran.

Des matériaux récalcitrants

À la suite de sa première campagne de fouille à Suse, l'archéologue consacre dès 1901 une notice aux objets taillés mis au jour sur le tell de la Citadelle. Il a collecté, à la faveur de puissants travaux de terrassement au sommet de l'Acropole et sur le flanc sud-ouest, une abondante industrie lithique qu'il espère pour sérier efficacement afin de compléter le tableau stratigraphique du site. Pour ce faire, il souhaite tirer profit des assemblages constitués lors du percement des cinq galeries de mines - notées de B à F - dont la mise en oeuvre était nécessaire, selon lui, par l'exploration rapide des 35 m d'accumulation formant la séquence.

Dès l'origine cependant, la tâche se révèle extrêmement délicate : "les silex se trouvent dans tous les niveaux du tell [...]. on en rencontre à la surface, au sommet de la colline comme sur les pentes, dans les diverses tranchées et à toutes les profondeurs. ce fait ne peut être dû qu'à deux causes : ou bien les silex ont continué d'être employés pendant toute la durée des temps historiques, ou les terres du tell, fréquemment remaniées, ont été transportées de la base au sommet à diverses époques." À ces premières difficultés, qui ont trait à la conservation des niveaux archéologiques et à la nature des phénomènes qui ont pu les affecter, s'ajoutent des considérations d'ordre typo-chronologique : ne constatant aucune variation dans la forme et l'usage de ces instruments, il n'en dresse qu'un inventaire général, sans poser la question sensible de leur évolution. Finalement, il conclut son étude en refusant de se prononcer de manière définitive sur l'âge de ces silex : "ce n'est que plus tard, quand les tranchées seront parvenues à une profondeur suffisante, quand nous aurons dépassé la limite inférieure des textes, qu'il sera permis de se prononcer".

Une longue réflexion

De fait, Morgan attend plus de dix ans pour publier les "instruments épars découverts dans les ruines de Suse", et plus particulièrement dans les couches profondes de l'Acropole. Entre-temps, les "travaux souterrains" de 1897-1898, combinés aux résultats des fouilles placées sous la direction de G. Jéquier dans la partie centrale du tell (1900-1901), avaient pourtant permis d'établir un premier séquençage des mobiliers préhistoriques, sur le fondement il est vrai de l'étude des seuls vestiges céramiques. Deux grandes périodes sont alors distinguées, à travers la reconnaissance d'un "premier" et d'un "second style" de poteries à décor peint, puis par l'identification de quatre grandes étapes culturelles correspondant aux phases classiques de Suse I, II, III et IV. Si la chronologie des phases anciennes de l'occupation du site est donc solidement établie dès 1905, il apparaît toutefois insoluble pour Morgan de croiser les résultats de son étude des outillages en pierre avec le classement opéré au sein des assemblages en terre cuite.

En 1912, il consent toutefois à les attribuer, si ce n'est à la même époque, tout du moins à la même "civilisation [...] que les vases peints archaïques". Pourtant, l'industrie décrite doit être considérée comme contemporaine "de la connaissance des métaux". Si l'association entre les niveaux d'occupation les plus anciens et le mobilier en silex et en obsidienne ne fait désormais aucun doute, le problème de la sériation interne de cet ensemble n'est toujours pas résolu. Cette difficulté tient, pour une large part, aux profonds remaniements dont les différentes strates ont fait l'objet : "à Suse, dans toutes les parties des ruines et dans tous les niveaux, nous rencontrons des instruments de pierre taillée ou polie. Il ne faudrait pas conclure de la présence de ces objets dans les divers lits que leur usage s'est perpétué depuis les temps les plus anciens jusqu'aux époques modernes, ce serait là une grave erreur semblable à celle jadis commise pour l'Égypte. On en doit seulement déduire que, les couches profondes ayant été fréquemment remaniées, les objets se sont trouvés transportés à côté d'autres objets ou de monuments n'ayant avec eux rien de commun".

Fort de ce constat, il n'établit qu'un catalogue général des outillages et des pièces techniques qui fait fi de leur évolution au fil de l'histoire plurimillénaire de la ville. Dans sa publication posthume consacrée à la Préhistoire orientale (1927), la description des silex taillés de Suse ne reprend pas in extenso le contenu de la publication de synthèse de 1912 mais en livre une version actualisée et enrichie. Cette dernière ne se détache toutefois qu'à la marge des conclusions avancées initialement ; il l'assortit toutefois d'un premier classement typologique des pointes de flèches auxquelles il n'accorde néanmoins aucune valeur chronologique ou culturelle.

Une histoire mouvementée

Dès lors, comment expliquer que J. de Morgan, si attaché à l'établissement d'une classification industrielle en Égypte, n'ait jamais élaboré pareille nomenclature en Susiane ? Une lettre, en date du 13 mars 1909 et sans doute adressée à Henri Hubert, nous livre quelques éléments de réponse : à cette période, les séries provenant de Suse sont encore conservées au domicile parisien de Morgan où celui-ci travaille à leur illustration en vue de leur publication.

la poursuite laborieuse de son étude explique pour une part le retard concédé en vue du dépôt définitif de ses collections au Louvre ou plutôt, selon ses voeux, au musée des Antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye. Pour justifier ce "crime administratif", l'archéologue avance des explications de circonstance : les difficultés rencontrées pour travailler au calme, mais aussi, en filigrane, son embarras pour achever cette étude.

En écho aux complications qu'il rapporte, les artefacts ne sont finalement restitués au Louvre qu'en 1913, à l'issue de leur publication, puis déposés par l'institution parisienne au château de Saint-Germain-en-Laye, dans un souci de cohérence dans la répartition et la présentation des matériaux archéologiques. Lors de ce transfert, les lots sont toutefois considérablement bouleversés, ne conservant qu'une mémoire partielle de leur classement originel.

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