Les moteurs de l’évolution

Dans le détail, il reste difficile de décrypter les mécanismes à l’œuvre derrière cette profonde mutation des systèmes techniques. Une chose est sûre cependant : après une probable période d’abandon, le site de Mari semble réoccupé, dans le deuxième tiers du IIIe millénaire, par des populations porteuses de nouvelles traditions dont les objectifs s’ordonnent désormais autour de la production de nouveaux outils de récolte.

Ce constat soulève avec acuité le problème des conditions historiques des changements perçus entre les deux villes. Leur interprétation suppose de maîtriser efficacement les facteurs économiques et sociaux diversement impliqués dans l’affirmation de la puissance de Mari et –  pour le domaine qui nous préoccupe – dans la recherche constante d’amélioration des rendements au cours des deux premières phases urbaines.

En d’autres termes, elle requiert d’apprécier, en filigrane de la diversité des outillages, l’ampleur des bouleversements qui ont entraîné dans leur sillage l’ensemble du système agricole entre 2900 et 2300 av. J.C.

Fragments d’une histoire des techniques

De ce point de vue, les lames graciles denticulées que l’on retrouve dans les industries de la Ville II sont présentes depuis le début du IIIe millénaire au moins en Mésopotamie du sud où elles paraissent en adéquation avec les stratégies de mise en valeur et d’exploitation des terres dévolues à l’irrigation.

Ces espaces mobilisent des pratiques sociales nettement distinctes de celles de l’agriculture sèche pratiquée plus à l’ouest, au contact de la grande steppe syrienne et au Levant, ou plus au nord, sur les franges méridionales de l’Anatolie. Or, dans ces régions perdurent, tout au long du IIIe millénaire et sans solution évidente de continuité, des outils de grand module (lames cananéennes lustrées) similaires à ceux de la Ville I.

À la question technique s’ajoute donc une délicate problématique économique et culturelle : derrière la rupture que nous avons pu mettre en lumière dans les assemblages archéologiques transparaissent ainsi des différences majeures entre les systèmes de production, dont il convient d’éclaircir les ressorts et les formes.

La résolution de ce problème constitue un enjeu majeur des recherches en cours, qui se poursuivent dans une perspective tout à la fois comparative et palethnologique.