Archéologie Française à Djibouti
Djibouti : des derniers chasseurs-cueilleurs aux premiers éleveurs
Dans l’histoire de l’Humanité, il existe des moments clés où les sociétés, au gré de leur évolution et de circonstances particulières, vont connaître des changements importants dans leur mode de vie et de pensée. Parmi eux, un changement majeur : le passage d’une économie fondée exclusivement sur la chasse, la pêche et la cueillette de plantes à une économie fondée sur la gestion raisonnée d’espèces animales et végétales que l’homme a su domestiquer.
La Révolution néolithique
C’est en effet durant cette mutation qui s’engage à la fin de la préhistoire qu’apparaissent l’élevage et l’agriculture car plusieurs espèces végétales et animales évoluent en passant progressivement de l’état sauvage à l’état domestique sous l’action de l’homme. Ce dernier ne prélève plus sa nourriture uniquement sur le milieu naturel comme ses ancêtres chasseurs, pêcheurs, collecteurs, mais la produit et la contrôle, obtient des excédents et les thésaurise. Avec le néolithique, le développement de l’agriculture va entrainer la fixation à proximité des champs. C’est donc aussi au cours de cette période de la préhistoire que la sédentarisation des populations en petites communautés villageoises va se développer, lointain prélude à l’urbanisation et à la naissance de pouvoirs centralisés.
Ces nouvelles activités agro-pastorales vont s’accompagner de nombreuses innovations techniques. C’est encore avec le néolithique que vont se renforcer ou émerger certains arts du feu comme l’artisanat potier, nécessaire pour le stockage des nouvelles denrées produites et leur consommation, ou encore le polissage de la pierre indispensable pour obtenir des lames de hache d’une solidité désormais bien supérieure à la lame taillée de silex pour abattre les arbres, essarter, et créer ainsi des espaces cultivés. Débute alors l’accroissement démographique, et puisque les populations produisent et thésaurisent, apparaissent les premières inégalités, la hiérarchisation des sociétés, les conflits, mais aussi les échanges à longue distance de biens socialement valorisés. Le néolithique correspond donc à un stade d’évolution des sociétés et de leurs techniques.
À l’échelle de la planète, la « Révolution néolithique » s’opère dans plusieurs foyers de manière non simultanée et de façon indépendante à partir de 10 000 ans av. J.-C. Il s’agit d’un phénomène progressif qui s’est déroulé sur plusieurs millénaires. Depuis certains de ces foyers d’innovation, les techniques et les pratiques qui en procèdent vont ensuite se propager dans le monde au gré de déplacements de populations (diffusion dite démique) ou d’une diffusion culturelle (diffusion d’idées, de concepts), au sein des sociétés de chasseurs-cueilleurs enclines à l’adoption de ce nouveau modèle d’économie.
Pourquoi l’homme devient agriculteur et/ou éleveur ?
Ce changement de modèle économique est perçu en archéologie aujourd’hui selon quatre points de vue mutuellement non exclusifs : les points de vue économique, culturel, social et environnemental.
Le point de vue économique postule que les premières manipulations du milieu naturel par les sociétés, que sont les domestications animale et végétale, résultent d’explorations économiques innovantes destinées à absorber les conséquences d’un essor démographique important. Sous cette pression démographique s’opèrere la scission du groupe : une segmentation culturelle en deux entités dont une, aux comportements davantage exploratoires, serait encline à trouver de nouvelles formes d’économie vivrière pour assurer sa survie.
Le second point de vue, le point de vue culturaliste, met en avant une prise de conscience de l’emprise des sociétés humaines sur leur environnement. Un prérequis serait ainsi indispensable pour que l’homme opte pour la domestication ou l’agriculture, celui de son acceptation de sa non soumission à la nature permettant son émancipation de l’espace sauvage au profit de l’espace domestiqué. Autrement dit, cette mutation aurait besoin, pour surgir, d’un bouillonnement d’idées au sein de sociétés matures.
Le troisième point de vue, social, veut que l’apparition de l’agriculture ou de l’élevage ait impliqué en amont la hiérarchisation et la spécialisation des sociétés, que celles-ci aient élaboré des systèmes sociaux suffisamment robustes pour que le groupe puisse, parce qu’il est bien structuré, absorber et organiser le travail constant qu’implique la domestication, c’est-à-dire une gestion raisonnée du milieu naturel.
Le dernier point de vue, déterministe, met l’accent sur les conditions environnementales : un climat stable, les potentialités offertes par le milieu, des ressources accessibles et aisément contrôlables peuvent favoriser la fixation humaine et le développement de nouveaux modèles d’économie vivrière. Ou inversement de tels choix pourraient résulter d’une adaptation de certaines populations à la contrainte d’un climat dégradé. L’entrée dans une phase hyperaride, et l’amoindrissement des ressources inciteraient les populations à adopter de nouvelles formes d’alimentation pour garantir leurs bonnes conditions de vie.
Pour le continent africain, c’est bien souvent ce point de vue du déterminisme environnemental qui prévaut dans les modèles proposés pour la transition chasseurs-cueilleurs/éleveurs, dans la mesure où dans cette partie du monde, les fluctuations climatiques, à savoir les forts contrastes qui opposent phases arides et humides depuis les vingt derniers milliers d’années, ont pu être décisives dans les choix humains.
Et dans la Corne de l’Afrique ?
Dans la Corne de l’Afrique, au sein de la vaste dépression Afar, les rives du lac Abhé, aujourd’hui partagé entre l’Éthiopie et la République de Djibouti, furent, dès 16 000 ans av. J.-C., habitées par de petits groupes humains attirés par les nombreuses ressources qu’elles offraient. Les variations du niveau d‘eau de ce lac et les modifications des écosystèmes associées à ces variations ont joué un rôle fondamental dans l’évolution et les dynamiques de peuplement des derniers chasseurs-cueilleurs de la région. Au point qu’au moment où le lac amorce une nette régression au début du 3e millénaire av. J.-C., ces populations, aux prises avec une aridification progressive de leur environnement, ont été amenées à franchir le pas décisif de l’adoption de l’élevage bovin et caprin pour assurer leur survie.
Depuis maintenant plus de trente ans, un programme de recherche franco-djiboutien explore dans cette région la notion de stress écologique en tant que levier de l’émergence de nouveaux modèles économiques et en tant que moteur de transformation des sociétés, depuis les derniers chasseurs-cueilleurs jusqu’aux premiers éleveurs. Il s’agit du programme 320 du ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères, intitulé Premières sociétés de production dans la Corne de l’Afrique (PSPCA). Le programme constitue également le principal axe de recherche archéologique de l’Institut de recherches archéologiques et historiques de Djibouti.
Pour aller plus loin
Les sites
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Coucher du soleil dans le bassin du Gobaad en République de Djibouti
© Laurent Bruxelles
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Le bassin du Gobaad, régulièrement immergé par les eaux salées du Lac Abhé
© Clément Zanolli
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Au cœur de la dépression Afar, le paysage unique du Lac Abhé en République de Djibouti
© Carlo Mologni
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En route pour le bassin lacustre du Gobaad en République de Djibouti
© Laurent Bruxelles