Les premières capitales d'Angkor
Angkor apparaît telle la Cité agraire par excellence en Asie du Sud-Est, mariant un vaste terroir rizicole à un environnement fortement hiérarchisé et géométrisé par d'immenses temples durant près d’un millénaire. Cette cité — ou plutôt cette succession de cités — se révèle ainsi tant par l’urbanisme de ses villes que par l’aménagement de son territoire.
Les travaux de B.-P. Groslier sur l'urbanisme et l'aménagement du territoire d'Angkor dès la fin des années cinquante ont été interrompus prématurément par les événements qui ont isolé le Cambodge pendant 20 ans. Dans leur continuité a été engagé en 2000 un programme de recherches archéologiques portant sur l'aménagement du territoire angkorien. Visant à compléter avec de nouveaux éléments d’investigation la connaissance de la civilisation angkorienne par l’étude morphologique et historique de l’occupation de son territoire, la Mission MAFKATA (Mission Franco-Khmère pour l’Aménagement du Territoire Angkorien) étudie plus particulièrement l’apparition des premiers aménagements urbains dans la région d’Angkor, vers le VIe siècle, et en suit et l’évolution jusqu’à fin de la période angkorienne après le XVe siècle.
Préhistoire et premiers sanctuaires
À la recherche de la première capitale à Angkor, les premières campagnes de fouilles (2000-2005) sur six sites préangkoriens de la région du Baray Occidental ont révélé les premiers éléments non monumentaux permettant de comprendre les modalités d’habitats en périphérie de ces premiers sanctuaires brahmaniques implantés dans la région de ce qui devriendra bientôt la capitale de l’Empire khmer. Elles ont identifié leurs séquences d'installation et d’occupation, et ont amené à la découverte puis à la fouille de deux sites préhistoriques exceptionnels à Angkor, des niveaux de l’âge du Fer à Prei Khmeng, et une nécropole remontant à l’âge du Bronze à Koh Ta Méas au fond du Baray Occidental.
Première capitale angkorienne à Roluos
Les fouilles se sont poursuivies de 2004 à 2009 dans la région de Roluos, à Hariharâlaya, pour y saisir l'organisation et la répartition des installations de cette capitale angkorienne du VIIIe siècle. mieux préservée. Les travaux ont porté sur l'étude des grandes enceintes du temple pyramidal de Bakong dont la chronologie a été repoussée d’un siècle, d’installations de longue durée de type villageoises (Trapeang Phong), et sur la découverte du palais royal de la capitale de Hariharâlaya, établi sur le site actuel de Prei Monti.
Des fouilles aux musées
D’importants travaux de post-fouilles ont été engagés de 2010 à 2014 pour assurer la conservation et la mise en valeur des éléments recueillis et engager leur étude exhaustive. Outre la production de nombreux articles dans des revues, ces travaux ont permis la réalisation d'une exposition au Musée National du Cambodge à Phnom Penh, désormais installée en permanence au Musée National Norodom Sihanouk à Angkor.
Ak Yum à l’origine du temple montagne
Les fouilles se sont concentrées depuis 2012 sur la révision de la chronologie et des occupations du temple majeur d’Ak Yum, clé d’une première capitale installée dans la région d’Angkor dès la fin du VIe siècle. De 2016 à 2019, les travaux ont porté sur l’étude et la chronologie des aménagements hydrauliques associés à cette première cité pour éclairer la genèse de l’histoire hydraulique d’Angkor, tout en posant les bases pour saisir sur le temps long l’évolution de l’urbanisme et de l’aménagement territorial à Angkor. À la demande de l’autorité cambodgienne, la mission a aussi apporté de 2017 à 2019 son expertise et sa collaboration en matière d’opérations de recherches préventives et de conservation du temple d’Ak Yum.
Continuité et abandon de l’habitat à Roluos
Depuis 2021, la mission MAFKATA vise à étudier les phénomènes de continuité et d’abandon en contexte d’habitat dans la cité Hariharâlaya. Elle s’attache donc à affiner notre compréhension des habitats, notamment en matière de densité, de continuité d’occupation et de répartition spatiale, en se concentrant de nouveau sur le cas de Roluos. Elle travaille en étroite collaboration avec la mission CERANGKOR depuis sa création en 2008 pour étudier la prodution céramique. Cette collaboration, renforcée en 2016 par le jumelage administratif des deux missions, s’est encore accrue avec la nouvelle orientation de CERANGKOR qui porte désormais sur l’étude des terres cuites. La MAFKATA s’est donc naturellement et particulièrement concentrée sur les séquences d’occupations sur le site de Trapéang Phong où elle a mené deux nouvelles campagnes de fouilles (2022 et 2023) et où elle poursuit depuis les études post-fouilles, notamment sur l’archéobotanique.
ADN environnemental
Depuis 2022, la mission s’est aussi élargie avec le développement d’un projet exploratoire d’ADN environnemental en collaboration avec le département de géo-génétique de l’université de Copenhague. Plusieurs campagnes de carottages ont ainsi été réalisées dans divers bassins et douves de la région d’Angkor et les études génétiques en cours ainsi que l’identification des taxons renseignant notamment le paléoenvironnement d’Angkor sont très prometteurs.
Depuis 2016, la mission MAFKATA est jumelée avec la mission CERANGKOR conduite par Armand Desbat. Elle est soutenue par l’EFEO et dispose d’un soutien financier du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Menée dans le cadre des programmes de l’EFEO et en symbiose avec d’autres programmes conduits ou supervisés en Asie du Sud-Est par Christophe Pottier, la mission archéologique collabore étroitement avec l’Autorité nationale cambodgienne APSARA et des missions françaises telle la mission Yaçodharaçrama (EFEO), ainsi qu’avec des nombreux partenaires internationaux comme l’université de Sydney et le Lundbeck Foundation GeoGenetics Centre de Copenhague. Elle forme régulièrement des archéologues cambodgiens et accueille doctorants et étudiants français et asiatiques.
En savoir plus
- Présentation des fouilles de la MAFKATA sur la nécropole de l’âge du Bronze de Koh Ta Méas (2010)
- Nouvelles données sur les premières cités angkoriennes, « Deux décennies de coopération archéologique franco-cambodgienne à Angkor - Journée d’études à la mémoire de Pascal Royère (1965-2014) », Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Paris, 9 mai 2014
- Angkor et les mystères de l' Empire Khmer - Documentaire Histoire & Archéologie - France 5 (2022)