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Mustang

Encadrée par l’Annapurna (8091 m) et le massif du Dhaulagiri (8167 m), au cœur de l'Himalaya, la région du Mustang abrite l'une des principales voies de communication nord-sud reliant le plateau tibétain et les plaines indiennes par sa vallée principale, celle de la Kali Gandaki. Cette région reculée, aujourd'hui de culture majoritairement tibétaine, dispose d’un nombre exceptionnel de vestiges archéologiques défensifs, religieux et funéraires qui permettent, pour certains, de remonter les premières traces d'occupation humaine au IIe millénaire av. J.-C. Bien que nombreux, ces vestiges sont encore très peu connus d’un point de vue archéologique dû au faible nombre de recherches antérieures.

Gompa de Bkra Kar Thar chen Gling. ©MAFNAM/S. Broglia de Moura

La Mission Archéologique Franco-Népalaise au Mustang (MAFNAM) se propose de reconstituer les dynamiques de peuplement de haute altitude sur le temps long par le biais de prospections archéologiques. Les principaux objectifs de ce projet sont, d'une part, d'établir une chronologie fiable, qui est encore très lacunaire pour la région, et d'autre part, de développer une étude sur les différents modèles d'interactions macro-régionales entre le Mustang et ses voisins. Ces deux objectifs principaux sont enrichis par des axes secondaires complémentaires, qui visent à discerner les différentes voies de communication traversant le territoire, le tracé des réseaux défensifs de la vallée au cours des différentes périodes et les transformations des techniques locales, tant dans les méthodes de construction que dans la production de céramiques.

Une archéologie à ses balbutiements

Longtemps considérée comme une frontière naturelle importante pour l'établissement de l'Homme, la chaîne montagneuse de l’Himalaya n'a connu que très peu d'activités archéologiques, en particulier dans les régions où la culture tibétaine prédomine (Ladakh, Spiti et Mustang). Au Mustang, ces interventions ont commencé relativement tard, à partir des années 1990, et se sont concentrées presque exclusivement dans le Bas-Mustang. Elles ont été menées dans le cadre du Nepal German Project on High Mountain Archaeology (NGPHMA) initié par Dieter Schuh et seule une poignée de sites a été fouillée. La plupart de ces vestiges sont des grottes sépulcrales découvertes notamment sur les sites de Chokhopani et Mebrak (fin du IIe et Ier millénaire av. J.-C.). Des vestiges fortifiés de périodes plus récentes (Ier-IIe millénaire de n.è.) ont également été fouillés par les équipes allemandes, comme les forts de Phudzelin et de Garab-Dzong et le village fortifié de Khyinga.

Dans le Haut Mustang, des recherches ont été notamment menées par Mark Aldenderfer (University of California-Merced) sur les pratiques funéraires ainsi que sur la paléogénétique des populations de très haute altitude. Depuis 2017, de nouvelles prospections de surface ont été entreprises par Marion Poux, mettant ainsi en lumière près de deux cents nouveaux sites, en particulier fortifiés et bouddhiques. C’est sur la base de ces nouvelles découvertes que le Haut-Mustang a été choisi comme principale zone d'étude pour le premier quadriennal (2023-2026) de la MAFNAM.

Pour une analyse des modèles d’occupation diachronique du territoire

En combinant différentes méthodes d'analyse, prospection pédestre et satellitaire, archéologie du bâti, étude des céramiques, datation absolue et archéologie spatiale, nous tenterons de répondre aux nombreuses questions encore ouvertes sur les types d'occupation qui ont pu exister au Mustang au cours de la Protohistoire et de la période historique. Alors que dans le Bas-Mustang, des ensembles de culture matérielle particuliers peuvent être identifiés à Chokhopani et Mebrak (fin du IIe-Ier millénaire av. J.-C.), notamment grâce aux tombes à puits et à leurs céramiques modelées grises ou à empreintes de cordes, dans le Haut-Mustang, la Protohistoire n'est connue que par un seul site funéraire à Samdzong, daté d'une période plus tardive (VIe-VIIe siècles av. J.-C.). La Protohistoire est donc principalement connue par ses vestiges funéraires, et ce de manière fragmentaire. La question principale est de savoir quels types de vestiges, autres que funéraires, peuvent être associés à cette période dans le Haut-Mustang et en particulier le type de culture matérielle et d'habitat. À partir de la sélection de neuf sites, probablement datés de la Protohistoire, nous étudierons d'abord leur céramique et leur architecture afin d'évaluer leur chronologie et leur éventuelle contemporanéité avec les sites mieux connus de cette période dans le Bas-Mustang.

À partir du Xe siècle apr. J.-C., le Mustang voit son type d’occupation se modifier et se densifier, résultats des diverses transformations politiques, religieuses et culturelles qui ont lieu dans l'Ouest himalayen et tibétain, avec notamment l'avènement de la confédération Ngari Skorsum. Ces changements se sont poursuivis jusqu'au XVe siècle avec l'établissement de la dynastie Lo dans le Haut-Mustang, période pour laquelle les quelques sources écrites existantes nous renseignent davantage sur l'histoire politique locale. Bien que de nombreux sites dans le Haut-Mustang semblent appartenir à cette période, leur chronologie n'est pas encore totalement reconstituée et la transition entre ces deux grandes périodes reste floue. Grâce à un corpus constitué d'une vingtaine de sites archéologiques défensifs et religieux (temples et chortens), nous rétablirons leurs chronologies par une étude détaillée de l'architecture, couplée à des analyses céramiques et des datations absolues, afin de révéler l'évolution de ces occupations, des réseaux défensifs et des dynamiques religieuses de la vallée entre le Xe et le XVe siècle apr. J.-C.

La place du Mustang dans les réseaux transhimalayens

Les cols et rivières de la chaîne himalayenne constituent de véritables corridors reliant différentes sphères culturelles en Asie (Tibet, Asie centrale et Asie du Sud). Si ces routes d’échanges sont bien connues pour les périodes moderne et contemporaine, grâce aux différents récits de voyageurs, missionnaires et agents du gouvernement britannique, il semblerait que des traces d'interactions soient également attestées au Mustang dès le IVe siècle av. J.-C., ce qui intégrerait en partie les Routes de la Soie. Les fouilles du site de Samdzong menées par Mark Aldenderfer ont révélé, entre autres, des restes de soie chinoise et des perles de verre provenant d'Inde du Sud et d'Asie centrale. En outre, des masques en or comparables à ceux trouvés sur des sites du Tibet occidental, du Pamir et du Tianshan ont été découverts sur ce site. Des études céramiques comparatives menées par Samara Broglia ont par ailleurs montré des similitudes dans la production de céramiques cordées entre le Bas-Mustang et une vaste région de l’Ouest himalayen et tibétain (Ladakh, Spiti, Kinnaur, Uttarakhand et Ngari).

Ces indices nous laissent entrevoir des interactions complexes qui méritent d’être explorées. Le Haut-Mustang est une étape importante sur la route nord-sud qui relie le plateau tibétain aux plaines indiennes, mais aussi sur la route est-ouest, qui permet de connecter le Mustang au Purang (Tibet) en passant par le Dolpo. Malgré cette position stratégique au cœur des principales routes d’échanges, les interactions du Haut-Mustang avec les régions avoisinantes, y compris le Bas-Mustang, restent floues. Afin de dresser une cartographie des circulations et interactions dans la région, des études comparatives macro-régionales avec d'autres régions himalayennes, voire plus lointaines avec l'Asie centrale et les plaines indiennes, notamment pour la céramique, seront menées. À cela viendront s’ajouter des enquêtes ethnoarchéologiques auprès des populations de bergers et de semi-nomades afin de comprendre leurs modes et choix de déplacement sur le territoire.

Liens utiles

Equipe Asie centrale (ArScAn/UMR 7041) : http://www.arscan.fr/archeologie-asie-centrale/

Department of Archaeology of Nepal : http://www.doa.gov.np/