Iran - Il y a plusieurs dizaines de milliers d’années

Qaleh Kurd, il y a plus de 165 000 ans

Localisée à la limite nord-ouest du Plateau central iranien, Qaleh Kurd est une cavité connue et fréquentée pour ses merveilles spéléologiques. Les fouilles menées depuis 2018 livrent les preuves d’occupations humaines récurrentes entre 450 000 et 165 000 ans. Ce sont les plus anciennes datées à ce jour du Plateau central iranien et des régions limitrophes.

Creusée dans un affleurement calcaire, la grotte de Qaleh Kurd s’ouvre sur une large vallée à plus de 2137 m d’altitude (© FIPP)

Après les fouilles de Garm Roud (Mazandaran) puis de Mirak (Semnan), deux sites de plein air, l’équipe franco-iranienne documente à Qaleh Kurd (Qazvin) les plus anciens peuplements humains du Plateau central iranien et questionne la diversité biologique et culturelle d’humains ayant vécu dans la région pendant plus de 300 000 ans. Ce sont des dépôts archéologiques riches en pierres taillées, en restes de grands mammifères et une dent humaine que livrent les fouilles initiées depuis 2018.

Qaleh Kurd, une préhistoire encore peu documentée

La grotte de Qaleh Kurd s’ouvre à 2 137 m d’altitude sur une large vallée et surplombe le village de Qaleh, à la limite nord-ouest du Plateau central iranien, à mi-distance de Mirak, et des sites paléolithiques connus du Zagros. Creusée dans un massif calcaire, son ouverture communique avec un vaste réseau karstique encore actif qui lui vaut d’être fréquentée de longue date pour ses merveilles spéléologiques mais également pour des études paléoclimatiques à partir de ses stalagmites. C’est au même moment qu’une étude de pierres taillées collectées à la surface du sol portait à la connaissance de la communauté scientifique des vestiges datant vraisemblablement du Paléolithique moyen. Invitée à expertiser ce site, l’équipe franco-iranienne trouvait alors une cavité dont les dépôts avaient été très largement endommagés par des activités humaines récentes et pouvait y observer une séquence épaisse et riche en vestiges paléolithiques. Animée par un fort intérêt scientifique et la nécessité de protéger ce patrimoine, l’équipe a pu initier la fouille des dépôts encore préservés.

La séquence de Qaleh Kurd

Le FIPP a initié les fouilles à Qaleh Kurd à partir des tranchées déjà présentes résultant d’activités humaines récentes. Dans la chambre principale de la cavité, les dépôts se présentent sous la forme de deux séquences. La plus récente et superficielle, révèle des dépôts de vestiges d’activités humaines postérieurs à 1500 ans avant aujourd’hui. D’une épaisseur maximale de 1 m, ils livrent des fragments de poterie et des restes d’animaux, dont des animaux domestiques, et des témoins d’activités de bergerie. Cette séquence holocène repose sur de larges blocs vraisemblablement effondrés du plafond de la cavité, l’ensemble couvrant une séquence très différente. Cette seconde séquence se compose de sédiments fins incluant des fines couches de petits blocs et de graviers, le tout préservant au moins six dépôts paléolithiques bien conservés et répartis sur plus de 2 m d’épaisseur. Des datations au carbone 14 de charbon et de dents de cheval ont été tentées ; elles indiquent que les vestiges étaient antérieurs à la limite d’application de la méthode, soit 45 000  ans environ. Des datations de ces mêmes dents par les méthodes ESR / séries de l’uranium (qui permettent de remonter plus loin dans le temps), ont alors été tentées : elles indiquent que les dépôts les plus profonds remontent à au moins 450 000 ans et les plus récents à au moins 165 000 ans. Il s’agit des vestiges d’activités humaines les plus anciens datés à ce jour dans la région.

Des assemblages lithiques du Paléolithique moyen ancien

Jusqu’ici ce sont les trois assemblages archéologiques supérieurs qui ont pu être étudiés ; ils ont pu être fouillés sur une large surface contrairement aux dépôts les plus profonds. Ils présentent des affinités avec les cultures connues du Paléolithique moyen comprises entre 300 000 et 50 000 ans du Proche-Orient à l’Asie Centrale : par exemple un débitage Levallois (des éclats et des pointes de formes prédéterminées) et la présence de pointes moustériennes (avec de large retouches de ses bords). Ils partagent des traits avec les assemblages du Paléolithique moyen du Pléistocène supérieur du Zagros et d’autres connus dans le Paléolithique moyen ancien au Levant et au Caucase du Sud. Cela ouvre de nouvelles perspectives pour la compréhension des premiers stades des cultures du Paléolithique moyen dans la région ainsi que sur l’origine du Moustérien du Zagros.

L’assemblage de grands mammifères

Les dépôts pléistocènes (antérieur à 165 000 ans) livrent un riche assemblage de restes grands mammifères. Ce sont principalement les équidés qui ont été consommés par les humains préhistoriques, peut-être le signe que cette cavité située à plus de 2 100 m d’altitude était occupée pendant les périodes plutôt tempérées. Deux espèces sont bien représentées : un grand cheval (Equus ferus) et l’hydrontin (Equus hydruntinus), et dans une moindre mesure le cerf (Cervus elaphus) et d’autres espèces comme l’Aurochs ou la chèvre sauvage. Les os dans leur ensemble montrent de nombreuses marques de découpe, de fragmentation, etc., signes d’importantes activités de boucherie sur le site. L’accumulation de nombreux petits stigmates à la surface de certains fragments osseux traduit leur utilisation pour la retouche d’artefacts lithiques ; il s’agit de retouchoirs.

L’équipe franco-iranienne a mis au jour de riches dépôts archéologiques qui représentent de très longues et récurrentes occupations humaines de la grotte au cours de la préhistoire. Ces vestiges sont très bien préservés et leur étude en cours les fait remonter au Paléolithique moyen ancien ce qui est unique à ce jour pour la préhistoire de la région. Enfin, une dent humaine perdue naturellement par un enfant a été découverte : une trace de vie que les membres de l’équipe sont en train d’analyser.

Une dent humaine de plus de 165 000 ans

Les fouilles ont livré en 2019 une première molaire déciduale supérieure gauche dans des dépôts datés entre 205 000 et 165 000 ans. Sa morphologie est très impactée par l’usure, la racine est résorbée et deux larges carries affectent sa couronne, ce qui empêche l’attribution de cette dent à une espèce humaine, en l’état actuel des analyses. La résorption de la racine semble presque achevée, ce qui suggère que cette dent était proche de la chute ; à titre de comparaison, chez les humains modernes, cette première molaire supérieure proviendrait d’un enfant âgé d’environ 11 ans. À noter que la présence de carries est avérée chez des humains du Pléistocène, notamment dans le Levant (Kébara, Qafzeeh). Bien que cette dent ne puisse pour le moment être attribuée à une espèce précise, la chronologie du site et les connaissances paléoanthropologiques du Levant à l’Asie centrale pour cette tranche de temps (plus de 300 000 ans) permettent de proposer que plusieurs espèces d’hominines (Homo sapiens, Néandertaliens, Denisoviens, humains archaïques…) ont pu occuper le site, au moins successivement.

Le Programme paléoanthropologique franco-iranien (FIPP) a été initié en 2002 par Asghar Asgari Khaneghah (Université de Téhéran), Gilles Berillon et Valéry Zeitoun (CNRS), rejoints par Hamed Vahdati Nasab (Université Tarbiat Modares). Programme pluridisciplinaire, entre préhistoire, paléoanthropologie, géoarchéologie, géochronologie et bioarchéologie, il s’intéresse aux humains, à leurs cultures au cours de la préhistoire et aux environnements dans lesquels ils ont vécu. Centré sur le Plateau central iranien et ses environs, le FIPP documente à Qaleh Kurd (Qazvin) une préhistoire humaine bien plus ancienne que celle étudié jusqu’ici sur les deux autres sites qu’il a fouillés, Garm Roud (Mazandaran) puis Mirak (Semnan). Vecteur de formation à la recherche, le FIPP permet à de jeunes chercheuses et chercheurs iraniens et français de participer activement aux travaux de terrain de l’équipe franco-iranienne et construire leur projet professionnel académique. Depuis son origine, il est soutenu par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères sur avis de la Commission consultative des recherches archéologiques.

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