La Route des Empires

La redécouverte de l’histoire médiévale du présahara marocain par l’archéologie

Sur près de mille kilomètres, du Tafilalet à l’Oued Noun, s’étire l’une des routes les plus importantes du système économique et politique de l’Afrique médiévale.

Rivage Nord du Sahara, le contrôle de cette route fut la clef de la constitution des grands empires marocains au Moyen Âge, des Almoravides (XIe s.) aux Saadiens (XVIe s.).

Ces dernières années, les programmes de recherche, notamment les missions archéologiques maroco-françaises intervenant sur les cités médiévales majeures de Sijilmâsa, Igîlîz, Akka et Tamdoult ont permis de mieux saisir l’importance historique de cette zone, et d’ouvrir de nouvelles perspectives de développement.

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Carte générale du projet la Route des Empires © CJB-MVMS

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LES ROUTES DES CARAVANES AU XIÈME ET XIIÈME SIÈCLES © C. BRIGNON

L’archéologie revisite le Moyen Âge marocain

De l’Atlantique au Tafilalet, le long des contreforts de l’Atlas, s’étend la bordure septentrionale du Sahara. A l’époque médiévale (Xe-XVIe siècle), cette route transversale concentrait les enjeux politiques et économiques des dynasties marocaines qui se sont succédées au pouvoir. Contrôler cette route Est-Ouest, parallèle au lit de l’Oued Draa, permettait de contrôler le fructueux commerce caravanier qui reliait les deux rives du Sahara. Aujourd’hui, des missions archéologiques marocaines et internationales permettent de revisiter l’histoire de cette région au carrefour des civilisations de l’époque médiévale, entre Afrique et Méditerranée, entre Orient et Atlantique. Par un travail minutieux sur les vestiges matériels et architecturaux, elles complètent nos connaissances et nos représentations de ce riche passé.

L’histoire des Empires Berbères a toujours suscité un grand intérêt. Les dynasties ultérieures, comme les Saadiens au XVIe siècle, se sont constamment référées aux Almoravides et aux Almohades comme modèles. Sous le protectorat entre 1912 et 1956, les autorités coloniales avaient fait de cette histoire un enjeu majeur de gouvernance, mobilisant les érudits pour retrouver dans les bibliothèques et les manuscrits anciens les traces et les témoignages de cette période. Après l’indépendance du Maroc en 1956, la période médiévale est restée au centre des recherches universitaires et un référent incontournable de la culture nationale marocaine. Les programmes archéologiques d’aujourd’hui permettent de revisiter cette histoire constamment invoquée.

Les Empires Berbères

A partir du XIe siècle, le morcellement politique qui prévalait au Maghreb a laissé place à un Occident musulman unifié, gouverné et administré par de grands empires centralisés, les Empires Berbères. Almoravides (1050-1147) puis Almohades (1147-1269) ont lancé l’unification territoriale depuis le Sud du Maroc actuel avant d’étendre leur domination, par conquêtes et alliances successives, sur d’immenses zones couvrant la majeure partie du Maghreb mais de l’Afrique subsaharienne et de l’Europe méridionale. Cette unification politique s’est vite transformée en une culture commune, bien que composée de populations variées. Comme dans le cas d’Ibn Toumert né en 1080 à Igiliz dans l’Anti-Atlas, les dynasties berbères reposaient d’abord sur le souvenir d’un fondateur charismatique. Garantes de la piété, elles cherchaient à diffuser la foi musulmane et leurs doctrines respectives, tout en prenant appui sur le culte rendu aux saints, notamment soufis, sur l’ensemble de leurs possessions. Mosaïque linguistique dominée par les langues berbères avant une arabisation accélérée, le Moyen Âge maghrébin a vu l’éclosion de la culture lettrée et scientifique, laissant à la postérité de célèbres savants comme Averroès (Ibn Rushd, 1126-1198) ou Ibn Khaldun (1332-1406).

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«Le plus précieux qu’on puisse demander» (Kitab Ibn Tumert), Ibn Toumert, (m. 558 H/1130), ©Paris, BnF, Département des Manuscrits, Arabe 1451.

Les portes de l’Afrique

Les Empires Berbères furent de grands bâtisseurs, élevant des villes entières dans tout le Maghreb, des ribats, des mosquées et des palais mais aussi des forteresses et autres caravansérails, capables de contrôler les routes commerciales qui traversaient ces immenses territoires.

L’enjeu du contrôle de la circulation des caravanes était de taille : il s’agissait de tirer profit de l’important commerce transsaharien qui reliait l’Afrique de l’Ouest (Bilad as-Sudan) au reste du monde connu, de l’Europe à l’Asie en passant par le Moyen-Orient.

Le commerce transsaharien était d’abord celui de l’or. Extrait des gisements d’Afrique occidentale, l’or irriguait le commerce mondial et faisait la fortune des intermédiaires successifs qui sécurisaient et taxaient ses circulations. De Sijilmasa à Nul Lamta, en passant par Tamdoult, l’édification de grandes cités oasiennes fut le résultat du commerce du précieux métal.

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Dinar d’or almohade frappé au nom de Abu Bakr b. ‘Umar, 1084. © Paris (France), BnF, département des Monnaies, Médailles et Antiques

Le commerce transsaharien était ensuite celui des esclaves, achetés dans les grandes cités du sud du Sahara et revendus dans des centres urbains du sud du Maghreb, comme la place forte almoravide de Tazagurt (forteresse en berbère). Les populations serviles travaillaient comme domestiques dans le domaine privé mais aussi comme soldats pour le compte de cités ou de dynasties.

Ainsi, les vestiges que l’on observe le long des contreforts atlasiens sont ceux de l’immense commerce avec l’Afrique subsaharienne, commerce contrôlé par les Empires Berbères et qui a dessiné les contours du Moyen-Âge de l’Afrique, de l’Europe, de l’Asie conjointement.

En ouvrant non sans peine une route maritime directe le long de la côte Atlantique de l’Afrique, les Européens ont détournés à leur avantage ce commerce saharien lucratif. La reprise d’Agadir par les Saadiens en 1541 ainsi que la prise de Tombouctou par le sultan Ahmad el Mansour ne suffirait pas à contrer l’assèchement progressif du commerce saharien qui avait fait la richesse et le pouvoir des Empires Berbères.

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Les routes des caravanes au XIe et XIIe siècle

© C. BRIGNON

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«Le plus précieux qu’on puisse demander» (Kitab Ibn Tumert)

©Paris, BnF, Département des Manuscrits, Arabe 1451.

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Dinar d’or almohade

©Paris (France), BnF, département des Monnaies, Médailles et Antiques