Tunisie - Il y a 2000 ans

Sufetula

Qu’est-ce que vivre en ville dans l’Afrique antique ? Une équipe de chercheurs tunisiens et français s’attlèle à explorer l’évolution de la ville antique de Sufetula, fondée par les Romains vers le milieu du Ier siècle apr. J.-C. et qui a prospéré jusqu’à sa prise par les Arabes en 647.

Le forum et les temples du Capitole © N. Lamare. Mission archéologique à Sbeïtla

Les six siècles d’occupation à Sufetula permettent de porter un regard sur l’évolution de la ville sur la longue durée. Au-delà de l’étude de la parure monumentale de la ville romaine puis byzantine, les travaux de la Mission archéologique à Sbeïtla portent un intérêt particulier à la transformation d’un quartier, dans l’objectif de comprendre les mutations des modes de vie urbains au fil des siècles.

Un site connu de longue date

Si le site a été abandonné à une période encore difficile à préciser, ses vestiges n’ont jamais entièrement disparu. Peu de temps après le début du Protectorat, les premiers travaux archéologiques sont mis en place en 1883 sous l’égide de René Cagnat et d’Henri Saladin. Les recherches se poursuivent jusqu’en 1922, puis de façon sporadique à partir de 1941, avant les premiers travaux de Noël Duval sur les basiliques chrétiennes, dans les années 1950 et 1960. Dans les années 1990, les recherches sont reprises par Fathi Bejaoui de l’Institut national du patrimoine de Tunisie. La mission archéologique tuniso-française a engagé un nouveau projet de recherches en 2022 visant à mieux comprendre l’évolution urbaine de la ville antique.

Une longue occupation

On ne dispose que de peu d’indices pour situer la naissance de Sufetula. La plus ancienne inscription mentionne les empereurs flaviens (69-96 apr. J.-C.) mais aucun vestige de cette époque n’a encore été identifié.

La ville nouvelle, caractérisée par un plan en quadrillage régulier, prospère sous l’Empire romain (Ier-IIIe siècle). Le christianisme y connaît un développement important dès le IVe siècle et les basiliques chrétiennes y sont nombreuses. La situation de Sufetula aux époques vandale et byzantine (Ve et VIe siècles) reste mal connue mais on sait que certaines basiliques sont aménagées et que des thermes sont encore en usage.

En 647, lors de la conquête arabe, la cité est le théâtre d’une importante bataille. L’armée arabe défait les troupes byzantines. Bien que Sufetula continue d’être habitée pendant encore quelques temps, la victoire arabe signe la fin de la prospérité de la ville.

La ville monumentale

La ville a été très tôt équipée des principaux monuments attendus dans une cité romaine : un forum avec un capitole, formé ici par trois temples distincts – une spécificité rare –, un aqueduc, des thermes, un théâtre, un amphithéâtre et des arcs de triomphe. Au fil des siècles et de l’expansion de la ville, plusieurs édifices ont été restaurés, d’autres sont nouvellement construits : au IVe siècle, les Grands Thermes sont agrandis, des fontaines sont aménagées et les premières basiliques voient le jour pour célébrer le culte chrétien désormais autorisé.

La vie urbaine

Il manque beaucoup d’éléments pour obtenir une image complète de la ville antique : divers temples, un marché mais surtout des maisons, des boutiques et des ateliers. La mission archéologique à Sbeïtla entend explorer cette facette domestique de la vie urbaine. Plus largement, se pose la question de la notion de « quartier », son organisation et son évolution au cours du temps. Il s’agit de comprendre comment certaines zones de la ville se construisent et comment d’autres se recomposent. La fouille stratigraphique d’un îlot urbain ouvrira une fenêtre sur l’histoire de la vie urbaine et permettra de répondre à ces questions.

Un projet pluridisciplinaire

L’archéologie ne se limite pas à la fouille. Une prospection magnétique, destinée à identifier des vestiges enfouis, a permis de repérer des rues et plusieurs édifices encore inconnus. Parallèlement, des relevés par scanner laser 3D documentent tous les vestiges visibles. En complément, des levés topographiques sont effectués et l’ensemble de ces informations sera rassemblé dans un système d’information géographique (SIG) afin d’obtenir un plan renouvelé de la cité antique.

Les problématiques environnementales sont également prises en compte. Des prélèvements de dépôts carbonatés, c’est-à-dire de concrétions de calcaire laissées par le passage l’eau, ont été effectués dans l’aqueduc, une fontaine et des thermes : leur analyse nous renseignera sur l’évolution et la qualité des ressources en eau dans l’Antiquité.

La mission archéologique à Sbeïtla est dirigiée par Nicolas Lamare et Mohamed Ben Nejma. Le projet archéologique fait l’objet d’une convention entre l’Université de Picardie Jules-Verne/Unité de recherche 4284 TrAme et l’Institut national du patrimoine de Tunisie. Il est soutenu financièrement par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, l’École française de Rome, l’Université de Picardie Jules-Verne et le Contrat de Plan État-Région « Anamorphose » pour la numérisation 3D du site.

Liens utiles

Pour aller plus loin

  • N. Duval, « Sufetula : l’histoire d’une ville romaine de la Haute Steppe à la lumière des recherches récentes », dans L’Afrique dans l’Occident romain, Ier siècle av. J.-C. – IVe siècle ap. J.-C., Rome, 1990, p. 495‑536. URL : www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1990_act_134_1_3889
  • N. Lamare, « La fontaine à cour et l’hydraulique tardive de Sbeïtla. Nouvelles observations », Antiquités africaines, 53, 2017, p. 95‑114. DOI : 10.4000/antafr.644
  • F. Bejaoui, Z. Lecat, « Les “salles à auges” et les édifices dits fortifiés dans les Hautes Steppes tunisiennes », dans F. Baratte, P. Piraud-Fournet, E. Rocca (dir.), Les « salles à auges » : des édifices controversés de l’Antiquité tardive entre Afrique et Proche-Orient, Madrid, 2022, p. 69‑84. DOI : 10.4000/books.cvz.33745