Pueblo Viejo
Dans la Puna argentine, sur les hauts plateaux culminant à plus de 3 500 m, il y a plus de 3 000 ans se développe l’élevage des lamas. Est-il le fruit des populations de chasseurs-cueilleurs locales, ou est-il lié à l'arrivée de nouvelles populations ? C'est ce que les archéologues cherchent à découvrir.
Ces premières communautés pastorales continuent cependant de pratiquer abondamment la chasse. Pueblo Viejo en est un exemple édifiant, à tel point qu’il en vient à nous poser la question du rôle social et économique des activités de chasse, et leur relation avec l’élevage. Ce phénomène est lié à des conséquences sans précédent pour les sociétés locales, car il est associé à des changements techniques, sociaux et économiques majeurs, comme le développement de la céramique, qui a des conséquences importantes dans la façon de consommer les aliments. Il se développe en parallèle d'une agriculture qui jouera un rôle fondamental dans la région, permettant ensemble la pleine sédentarisation des communautés locales. Les causes de son origine sont encore inconnues, et il peut être autant lié à la consommation alimentaire des cheptels, leur utilisation comme bêtes de somme ou encore pour leur laine.
Le cadre naturel
Le cadre naturel de Santa Ana et son paysage particulièrement vert contraste avec l’environnement aride de la Puna, ce qui a pu favoriser le développement de l’agriculture à grande échelle (production d’excédents), alors que la tendance régionale indique une culture de bien moindre échelle productive dans ce contexte désertique. Finalement, Pueblo Viejo semble être également un centre important des échanges à longue distance, notamment pour la circulation des obsidiennes, ainsi que des objets de parure et de prestige (perles, haches polies, métallurgie, etc.). Le site illustre ainsi l’importance des mécanismes sociaux et des aspects culturels dans le développement de l’économie agro-pastorale locale et pour l’établissement des premières agglomérations de la région.
L’élevage du lama
Les fouilles réalisées jusqu’à présent mettent en évidence une importante proportion d’ossements de camélidés non fusionnés, et dont les adultes identifiables correspondent à des vigognes, il y a 2 500 à 2 000 ans, mais aussi durant la période inca (XIVe-XVIe siècles apr. J.-C.). Malgré la présence de guano (excrément de camélidé), ainsi que divers témoins mis au jour sur les sites de la région (représentations pariétales de camélidés attachés, données ostéométriques identifiant le lama) attestant de la pratique pastorale durant cette période, l’association de ces ossements avec de nombreuses pointes de projectile en obsidienne, présentes sur toute la surface de site, montre l’importance des pratiques cynégétiques, se rapportant à la chasse, des habitants du site. Une occupation datée d'il y a 3 900 ans constitue une période charnière entre les dernières occupations des sociétés basées principalement sur la chasse et la cueillette, et l’avènement des premières pratiques pastorales.
De cette façon, le site présente une séquence chronologique et des témoins matériels aptes à nous renseigner sur la domestication animale et végétale, ainsi que sur le développement des aspects économiques et techniques liés à ces modes de production. Les données actuelles permettent de mettre en évidence la continuité d’une pratique assidue et estivale de la chasse à travers le temps, même en présence d’un élevage et d’une agriculture bien établis. Un des objectifs du programme est d’explorer si cette importance est d’ordre écologique et environnemental (disponibilité accrue des espèces sylvestres et/ou restriction des aires propices au pâturage) ou d’ordre social, culturel et économique (persistance des anciennes pratiques, réunions estivales permettant de créer des liens entre personnes vivant isolées le reste de l’année, etc.).
L’importance de l’horticulture et de l’agriculture
De la même façon, de nombreux témoins (pelles/houes, meules, mortiers, haches polies) attestent l’importance de l’horticulture ou d’une agriculture dont l’échelle est encore méconnue, à partir de la période mentionnée, et donc relativement ancienne pour la région. L’agriculture avec production d’excédents est attestée au moins à partir de la période inca. Celle-ci est manifeste à travers des ensembles de terrasses agricoles de plusieurs centaines de mètres aménagées à flanc de montagne. Celles-ci sont souvent associées à des trojas, abris-sous-roche murés, servant de silos pour les excédents de récolte. Nous cherchons à déterminer l’ancienneté et l’intensité de cette production à travers le temps.
Notre objectif est de déterminer si le développement de l’agriculture serait lié à un environnement propice, ou à des aspects sociaux et économiques, comme le serait le paiement de la mit’a (type de corvée), ou l’établissement des mitimaes dans la région (population productive spécialisée, comme le seraient les agriculteurs, originaire d’un autre étage écologique -e.g. vallées-, voir même d’une autre région).
Finalement, la présence nettement marquée des obsidiennes de Zapaleri, gisement situé à plus de 100 km du site, ainsi que de tous les produits et sous-produits des chaînes opératoires montre le rôle important du site dans la circulation des biens à longue distance, et plus particulièrement du trafic via caravanes de lamas. La présence de perles - dont le lieu d’origine reste à confirmer - à différents stades de production, ainsi que de perçoirs indique également une confection locale et va dans le sens du rôle central du site dans les échanges interrégionaux.
La mission archéologique de Pueblo Viejo
La mission créée en 2015 se déroule à Barrancas, municipalité du département de Cochinoca, dans la Puna de Jujuy. Celle-ci inclut plusieurs localités, dont le village éponyme, incluant une réserve archéologique et naturelle, caractérisé par d’imposantes falaises volcaniques sur lesquelles ont été gravés et/ou peints plus d’un millier de motifs d’art rupestre. Rosendo Quipildor, l’actuel représentant de la communauté aborigène de Santa Ana de la Puna, féru d’archéologie nous a contacté il y a quelques années à travers la direction du patrimoine de la province de Jujuy.
Depuis 2022, des fouilles et des sondages d’archéologie programmée se déroulent à Pueblo Viejo de Tapiales, mais également sur les terrasses agricoles échelonnées de type inca. Les trojas et chullpas, petites constructions et abris-sous-roche scellés à partir de murs réalisés à partir de blocs dégrossis et de mortier, qui servent de lieu d’offrande, de tombeau, ou encore de silo à grains, sont également l’objet de sondages.
À partir d’une approche pluridisciplinaire (technologie lithique, céramique, architecture, sciences paléoenvironnementales, isotopes stables, etc.), Pueblo Viejo nous renseigne autant sur la fin des économies basées sur la chasse et la cueillette, que sur le développement des premières économies agro-pastorales, les échanges à longue distance opérées par les caravanes de lamas, ainsi que sur l’annexion de la région par l’empire Inca durant le XIVe siècle apr. J.-C.
La mission dépend de l’équipe AnTET (CNRS ArScAn UMR7041, Université Paris X, Nanterre) et dispose du soutien du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères en partenariat avec le Laboratoire de Paléoécologie humaine du CONICET (Mendoza, Argentine).