Zimbabwe – Entre 15 000 et 2 000 ans

Pomongwe et Bambata

L’Ouest du Zimbabwe recèle l’une des plus importantes concentrations au monde d’art rupestre de chasseurs-collecteurs préhistoriques, avec plus de 3000 sites. Pourraient aussi s’y trouver les vestiges des plus anciennes peintures sur paroi d’Afrique australe, il y a plus de 10.000 ans.

Grotte de Pomongwe (© CNRS / G. Porraz)

Le programme MATOBART vise à mieux documenter cette iconographie éblouissante, expression de l’univers symbolique de ces populations passées. Il s’intéresse à son ancienneté ainsi qu’aux éléments de continuité et de changement au cours des millénaires, à partir de l’étude interdisciplinaire des abris peints et occupés de Pomongwe et Bambata.

L’essence interdisciplinaire de MATOBART : les écailles peintes

L’exceptionnelle maîtrise technique et le raffinement de leurs lignes ont fait la renommée des peintures rupestres des chasseurs-collecteurs ayant peuplé le massif des Matobo, entre la fin du Pléistocène après le dernier maximum glaciaire (env. 15.000 ans avant le présent) et le début de notre ère. S’y côtoient des figures humaines engagées dans des actions diverses (files de chasseurs, scènes de campement), et un large bestiaire où prédominent les grands herbivores (antilopes, girafes, éléphants), représentés dans des couleurs chatoyantes. Cet ensemble artistique et archéologique exceptionnel demeure pourtant méconnu et peu documenté.

Méthodologie de datation de l’art rupestre

Dater l’art rupestre est méthodologiquement difficile. On ne peut dater directement que les peintures contenant de la matière organique comme le charbon. Mais la très grande majorité d’entre elles – celles dans la gamme des rouges, des jaunes et des blancs – a été réalisée à partir de roches comme les ocres, l’hématite ou l’argile. Une autre possibilité méthodologique est de retrouver des vestiges en lien avec l’art rupestre dans des occupations archéologiques qui, en revanche, peuvent être plus facilement datées. Ces vestiges peuvent être les pigments et les outils utilisés (palettes et godets pour mélanger), ou encore des fragments de paroi naturellement tombés au sol au sein des occupations. Pour ces fragments appelés « écailles », la datation des occupations donnera un âge minimal : l’écaille a au moins le même âge que l’occupation dans laquelle elle est tombée. Mais elle peut aussi être plus ancienne de quelques jours, semaines, années, siècles voire millénaires. Ce laps de temps est impossible à déterminer pour l’archéologie. Les moyens de datation indirecte de l’art rupestre sont ainsi plus nombreuses, pour tant est que le site orné ait également été occupé, que les occupations archéologiques aient été conservées, et surtout que l’étude de l’art rupestre se fasse conjointement avec celle de l’archéologie des sols.

Objectifs et missions du programme franco-zimbabwéen MATOBART

Depuis 2017, le programme franco-zimbabwéen MATOBART a investi les sites peints et occupés de Pomongwe cave et Bambata cave pour y déployer une analyse croisée des peintures rupestres et des séquences archéologiques. Soutenu par la commission des fouilles du Ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères, l’Ambassade de France au Zimbabwe, l’IFAS-Recherche, le CNRS, le Ministère de la Culture, l’UMR TRACES et l’Université Toulouse Jean Jaurès, le programme est lauréat de l’Institut Universitaire de France (2017-2022) et du label « archéologie » de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres (2020-2021). Pomongwe et Bambata avaient été le théâtre de plusieurs recherches archéologiques au cours du XXe siècle : plusieurs sondages y avaient été réalisés (A. Armstrong, N. Jones, C. Cooke, N. Walker), mettant en lumière des très longues et riches séquences d’occupation archéologique de plusieurs mètres de profondeur. Des écailles peintes y avaient été découvertes par N. Walker dans de nombreux niveaux archéologiques du Later Stone Age, c’est-à-dire la dernière grande phase culturelle des populations de chasseurs-collecteurs préhistoriques, entre 12.000 et 2.000 ans. Selon ces données, Pomongwe pourrait contenir parmi les plus anciennes traces de peintures rupestres de toute l’Afrique australe. Deux objectifs centraux de MATOBART sont ainsi de s’assurer que les dépôts colorés sur écailles sont bien des peintures, et de confirmer leur contexte archéologique et donc les chronologies proposées par N. Walker.

Ce dialogue entre parois et sols combine missions de terrain (relevés-inventaires des parois, sondages archéologiques) et réexamen des collections issues des précédentes fouilles (fragments de paroi peinte, pigments, industries lithiques et osseuses, faune) conservées au Zimbabwe Museum of Human Sciences à Harare, en association avec un nouveau programme de datations. Une majeure partie des missions consiste à documenter les parois peintes. Ce travail de relevé-inventaire est mené en parallèle d’un bilan conservatoire. Cette collaboration entre archéologues et spécialistes de la conservation vise à bien distinguer les vestiges de peintures, de divers dépôts colorés qui peuvent être formés par des animaux (empreintes de nid d’oiseaux ou d’insectes) ou par l’altération naturelle du support. En s’altérant à l’air libre, ce granite se recouvre de croûtes colorées de divers coloris, de marron à jaune clair en passant par le rose, qui ressemblent à des peintures mais qui sont strictement naturelles.

Méthodologie d'enregistrement et d'étude du programme MATOBART

L’enregistrement et l’étude des peintures se déroulent en plusieurs étapes : couverture photographique exhaustive en haute définition et enregistrement 3D des parois, traitement colorimétrique informatisé des clichés, relevé manuel face aux parois retravaillé ensuite en infographie sur ordinateur. Des prélèvements de dépôts colorés y sont associés, pour ensuite être analysés en laboratoire par une combinaison de techniques complémentaires. Ces analyses permettent de préciser si les dépôts colorés sont bien des peintures, et de déterminer leur composition.

Même si le déchiffrement et l’inventaire des motifs sont toujours en cours, de nombreux vestiges inédits ont d’ores et déjà été mis en évidence à Pomongwe : par exemple cette longue frise de 45 figures humaines sur une surface de paroi d’environ 6m², composée d’un groupe de femmes assises tapant des mains, de danseurs bras levés et jambes pliées, de chasseurs marchant. Dix prélèvements de dépôts colorés ont été analysés, révélant diverses recettes picturales à base d’ocre, d’hématite ou d’un mélange des deux matières colorantes.

Certaines recettes sont d’ailleurs similaires à celles déterminées sur des écailles récoltées par N. Walker, conservées au Zimbabwe Museum of Human Sciences à Harare. En 2017 et 2018, tous les fragments de granite des collections Walker ont été vérifiés : 113 fragments avec des dépôts colorés ont été découverts, la plupart d’entre eux inférieurs à 3 cm de long. Ces dépôts colorés se répartissent en divers groupes de couleurs : marron foncé à noir, marron-rouge, rouge profond, rouge à rose foncé, rose clair, orange, blanc. En raison de la pandémie et de l’impossibilité pendant de nombreux mois d’accéder aux laboratoires, les analyses physico-chimiques des dépôts sont toujours en cours.

En parallèle, dans les abris, de nouvelles fouilles sont entreprises pour confirmer le contexte archéologique des sites, c’est-à-dire le nombre des occupations ainsi que leur chronologie. En 2018, à Pomongwe deux tranchées anciennement fouillées par C. Cooke et N. Walker ont ainsi été rouvertes afin de vérifier les stratigraphies et de faire des prélèvements pour datation et analyses paléoenvironnementales.

Ainsi, cette analyse des écailles peintes – de leur nature et de leur contexte archéologique – réclame une démarche résolument collective et interdisciplinaire, fondée sur le croisement des approches et des études. Elle repose sur un dialogue permanent entre collaborateurs de différentes spécialités, ce qui en fait sa richesse et son intérêt tout autant qu’un défi scientifique et humain. Résolument international, MATOBART est fondé sur une coopération entre la France et le Zimbabwe dont la très grande majorité des collaborateurs sont issus, avec les grandes institutions nationales de la recherche archéologique et du patrimoine comme partenaires : Université, CNRS, Ministère de la Culture en France ; University of Zimbabwe, National Museums and Monuments of Zimbabwe au Zimbabwe. Au-delà de la dimension scientifique, son ambition est d’impulser une collaboration scientifique et académique autour de l’art rupestre et de l'archéologie préhistorique, dont la formation universitaire est une dimension essentielle. Les reprises de mobilier nourrissent des sujets de recherche de Master et de Doctorat, au Zimbabwe, en Afrique du Sud et en France.

Ces missions de terrain fonctionnent comme des chantiers-écoles pour la fouille, mais aussi pour le relevé d’art rupestre.