Patrimoine Yézidi en Irak
En juin 2018, l’association Mesopotamia a accompli sa première mission d’inventaire et de documentation patrimoniale auprès des communautés yézidies dans la province de Ninive.
Cette mission s’est déroulée dans un contexte particulièrement sensible. Les Yézidis sont en effet traumatisés par le génocide qu’ils ont subi en 2014 à Sinjar. Déplacés par centaines de milliers dans la plaine de Ninive et le Kurdistan d’Irak, beaucoup survivent en camps, faute de pouvoir revenir dans leur massif où rivalisent des forces armées et des milices rivales. Les Yézidis sont enfin sans nouvelles de près de 3000 jeunes filles et femmes enlevées par Daesh et toujours portées disparues, malgré la « fin » de la guerre.
Le 14 octobre 2019, à l’Institut Français d’Irak de Bagdad, un important témoignage a été délivré au cours de la conférence sur le « patrimoine monumental chrétien et yézidi en Irak » (co-organisée avec MESOPOTAMIA et l’organisation irakienne de défense des droits de l’homme HAMMURABI). Shukur Khudur Murad al Dakhi, historien, écrivain et directeur du Centre Culturel et Social de Lalesh à Sinjar, est venu témoigner de la catastrophe vécue par les yézidis depuis 2014. Le représentant yézidi de Sinjar a commencé par dénoncer les diffamations qui frappent depuis des siècles les Yézidis accusés par exemple « de faire boire du lait de chien aux nouveau-nés » !
Shukur Khudur Murad al Dakhi a souligné que les Yézidis ont subi de nombreux génocides à travers l'Histoire. D’ailleurs, « les Yézidis du mont Sinjar, y compris dans mon village, ont eux-mêmes accueillis les chrétiens, pendant le génocide (en 1915-1917) ».
En ce qui concerne l’état du patrimoine yézidi de Sinjar, Shukur Khudur Murad al Dakhi a souligné que « la destruction de nos lieux de culte a pour but d'anéantir nos racines ».
6 ans après le génocide des Yézidis du Mont Sinjar, Shukur Khudur Murad al Dakhi, regrette l’impossibilité de retourner. « Nous vivons toujours dans des camps. Moi-même je vis dans le camp de Zakho ». La plupart des 450 000 yézidis de Sinjar sont dispersés en Irak et en diaspora.
Malgré cette détresse, les Yézidis s’efforcent de revitaliser leur patrimoine et leurs communautés partout où ils le peuvent.
Bahzani et Baashiqa
À Bahzani et Baashiqa, à 20 km au nord-est de Mossoul. Avant que daesh n’envahisse la plaine de Ninive, 35 000 Yézidis résidaient dans ces villes jumelles, connues pour être un grand centre intellectuel yézidi. Ils constituaient 85 % de la population. Les djihadistes y ont dévasté la presque totalité du patrimoine yézidi. « Dès le 6 août 2014, Daesh a détruit les lieux-saints et mausolées yézidis qui remontaient au XIIe siècle » indique Nasr Haji Kheder, journaliste et défenseur des droits civiques. 22 mausolées ont été pulvérisés, les tombes ont été profanées, les bibliothèques ont été brûlées et l’oliveraie sacrée a été incendiée. Depuis la libération du territoire le 7 novembre 2016, les Yézidis mettent tout en œuvre pour revitaliser leur cadre de vie. Ils ont reconstruit les 22 mausolées détruits. Parmi les mausolées yézidis de Bahzani, celui de Cheikh Bakeur Al-Qatani est situé à côté d’une grotte où jadis coulait une source. Cet édifice, dont la construction remonterait au XIVe siècle, a été reconstruit en 2017 par des volontaires et sans aucune aide gouvernementale. Autour du mausolée, la revitalisation de l’oliveraie est plus complexe. « Il y avait 90 000 oliviers. Ils ont tous été brûlés. Cela affecte aussi la vie des agriculteurs, le tourisme. L’olive de Baashiqa-Bahzani était très réputée en Irak et à l’étranger. Les oliviers étaient très anciens. Ils étaient centenaires. » résume Nasr Hadj Kheder (extrait de la Journée d’Étude intitulée « QUEL AVENIR POUR LE PATRIMOINE MONUMENTAL DES COMMUNAUTÉS CHRÉTIENNES ET YÉZIDIES EN IRAK ? », organisée par Mesopotamia, à Erbil, le 29 Juin 2019, avec 15 intervenants et un public de 150 personnes). Le canal d’irrigation et le générateur qui servait à pomper les eaux profondes nécessaires à l’oléiculture ont été détruits. Il y a là un chantier patrimonial solidaire qui mériterait d’être mis en œuvre.
La destruction de cette oliveraie révèle une caractéristique patrimoniale yézidie fondamentale. Le patrimoine, tel quel les Yézidis le conçoivent, ne se résume pas aux seuls monuments de pierres. Le yézidisme fait corps avec l’ensemble de la Création ; cosmique, humaine, animale, végétale et minérale. C’est pourquoi les Yézidis sacralisent les oliviers d’où ils tirent l’huile nécessaire au feu sacré.
Lalesh
À l’écart de la zone de conflit, le centre spirituel yézidi de Lalesh se situe dans une zone montagneuse et boisée à l’orée du Kurdistan d’Irak, à 10 km au sud-est de Dohuk et à 58 km au nord de Mossoul. « Lalesh est le temple sacré des Yézidis, comme l’est La Mecque pour les Musulmans, ou Jérusalem pour les Juifs et les Chrétiens » souligne Pîr Xidir Suleyman, chercheur, auteur et co-fondateur du Centre culturel et social de Lalesh. À Lalesh, la nature et l’architecture composent un espace sacré unique, dans lequel chaque pierre, chaque édifice, chaque plante a un sens spirituel. Le centre spirituel de Lalesh est un havre de paix dans le chaos ambiant, un espace presque hors du temps qui grouille de vie. Les Yézidis du monde entier s’y rassemblent et s’y ressourcent : les survivants du Sinjar, les habitants des villes et des villages de la plaine de Ninive et du Kurdistan, ainsi que ceux de la diaspora. Les différents édifices qui composent ce très haut lieu spirituel sont en général de forme rectangulaire ou carrée et sont souvent surmontés des traditionnels dômes coniques à arêtes multiples qui symbolisent les rayons du soleil dans la tradition yézidie. La tombe de Cheikh ‘Adî, le réformateur du yézidisme au XIIe siècle est le point focal de tout pèlerinage à Lalesh. Toutefois, son sanctuaire a connu plusieurs remaniements depuis sa fondation au début du XIIe siècle. « Lalesh a été particulièrement ciblé par les assaillants à différentes époques. À l’époque ottomane, Lalesh a ainsi été transformé en école coranique. L’histoire de ce sanctuaire est à l’image de l’histoire tragique des Yézidis, qui ont subi 73 génocides ». Extrait de la Journée d’Étude intitulée « QUEL AVENIR POUR LE PATRIMOINE MONUMENTAL DES COMMUNAUTÉS CHRÉTIENNES ET YÉZIDIES EN IRAK ? », organisée par Mesopotamia, à Erbil, le 29 Juin 2019, avec 15 intervenants et un public de 150 personnes.
Sinjar
Selon la croyance populaire, Dieu a créé les monts de Sinjar avec un mausolée sur chacun de ses sommets afin que le mont puisse maintenir son équilibre. Presque tous les édifices funéraires yézidis du district de Sinjar sont plutôt situés dans des zones rurales reculées, coupées du monde moderne, généralement au sommet de montagnes. Cela peut s’expliquer non seulement par le besoin de sécurité, mais aussi par le style de vie ascétique des premiers saints yézidis. Parmi les nombreux mausolées yézidis du massif de Sinjar, en voici 5 :
Le sanctuaire de Cheikh Sharaf Al-Din Muhammad, fils de Cheikh Hasan, est situé dans le village de Rachîdiyyah. Une cérémonie importante s’y déroule le 15 août. L’inscription fondatrice évoque l’an 1274.
Le mausolée de Cheikh Amâdîn (‘Imâd Al-Dîn) se trouve au sommet de la montagne de Galê Bîrîn, au sud de la ville de Beled Sinjar. Le mausolée est daté de l'an 1400. Dans la tradition yézidie, ce mausolée guérit les douleurs d’estomac.
Le mausolée de Cheikh Hasan se trouve dans le village de Gabara à l’ouest de Sinjar. Cheikh Hasan est identifié à l’un des sept anges yézidis, Derda’îl.
Le mausolée d’Hajalî (Pîr Hecî Alî) se trouve dans le village de Hassina, Lorsque Cheikh ‘Adî vint de Ba’albek, sa ville natale, il demeura dans la maison de Pîr Hecî Alî. La croyance populaire veut que lorsque des malades passent une nuit dans ce lieu, ils en ressortent guéris le lendemain.
Le mausolée de Memê Rech se dresse dans le village de Tappa, à l’est de Sinjar. Il était le chef des quarante disciples de Cheikh ‘Adî. Il vécut au XIIe siècle. Il est considéré comme le seigneur de la pluie et le protecteur des récoltes.