Ormesson, Les Bossats
Les carriers ont extrait ici des blocs de grès, il y a une centaine d’années. Pouvaient-ils imaginer que, sous terre, étaient enfouies des traces d’occupations très anciennes ? Ils ignoraient sans doute que les impressionnantes tables de grès qu’ils étaient en train de débiter pour en faire des pavés pour Paris ou Fontainebleau avaient, des dizaines de millénaires plus tôt, servi de refuge à des chasseurs de bisons, de chevaux et de rennes.
Le site des Bossats à Ormesson a attiré des populations humaines qui s’y sont succédé depuis au moins 100 000 ans. Bénéficiant d’un emplacement stratégique à un endroit où la vallée qui se rétrécit a sans doute favorisé le rabattage des troupeaux d’herbivores, le gisement protégé des vents, exposé au sud et à proximité de sources d’eau et d’affleurements de silex, réunit des conditions favorables à l’implantation humaine.
Contexte de découverte
La découverte du site d’Ormesson date de 1930, lorsque des silex et des ossements furent remontés en surface par des labours peu profonds. Il n’a cependant été déclaré officiellement qu’en 2004 au Musée de Préhistoire de Nemours par un amateur. Ses trouvailles ont été identifiées en 2005 et attribuées à une période intermédiaire du Paléolithique supérieur, le Gravettien. La fouille menée depuis 2009 a permis de découvrir le niveau archéologique d’où provenaient ces objets mais également bien d’autres niveaux tout aussi intéressants, faisant d’Ormesson, l’un des premiers sites paléolithiques de plein-air renfermant au moins cinq occupations archéologiques qui s’échelonnent entre 100 000 et 20 000 ans avant le présent.
Il y a 50 000 ans, l’Homme de Néandertal
À la période dite moustérienne (au Paléolithique moyen), il y a environ 100 000 ans, un premier groupe de néandertaliens s’installe en contrebas des chaos de blocs de grès à l’ouest du gisement. Ils maîtrisent la méthode de taille du silex nommée Levallois (site éponyme : Levallois-Perret, Hauts-de-Seine) qui permet de prédéterminer la morphologie des éclats obtenus. Ici à environ deux mètres de profondeur dans un sable devenu orange par les effets de la pédogénèse (processus de formation des sols), ce sont des pointes Levallois et un probable métapode (os de la patte) de cheval qui ont été trouvés en 2020 dans un sondage de surface limité.
Plus tard, aux alentours de 45 000 ans un autre groupe de néandertaliens, matrisant la taille du silex dites discoïde (blocs taillés en forme de disque) occupe une plage de sable fin. L’abondance de vestiges répartis sans doute sur près de 800 m², témoigne, entre autres, d’une activité de chasse du cheval et du bison. La fouille a également mis au jour la plus grande quantité de colorants rouges, oranges et noirs, qui ait été trouvée jusqu’à présent dans un gisement du Paléolithique moyen. La compréhension de la fonction de ces objets est au cœur des préoccupations des archéologues alors que les néandertaliens ne sont pas réputés pour avoir exécuté des œuvres d’art sur les parois des grottes.
Le Châtelperronien, 10 000 ans plus tard
Caractérisés par leur industrie lithique dite de transition entre le Paléolithique moyen et le Paléolithique supérieur, les châtelperroniens succèdent aux néandertaliens sur le site des Bossats et s’y installent dans les mêmes conditions topographique et géologique. Leur occupation, identifiée sur près de 300 m2, a livré des lames de silex aux bords réguliers et aux tranchants acérés, finement retouchées et nommées couteaux de Châtelperron qui ont servi à la découpe du gibier pendant que d’autres aménagées en burin ont travaillé l’os. Les châtelperroniens ont utilisé les mêmes colorants oranges, rouges et noirs que leurs prédécesseurs néandertaliens. Site châtelperronien le plus septentrional d’Europe, le gisement des Bossats intervient à point nommé dans le débat sur les auteurs de cette culture si particulière : Néandertal ou Sapiens ?
Les chasseurs de bisons au Gravettien, il y a 28 000 ans
Un vide d’occupation de près de 20 000 ans est constaté ensuite aux Bossats et notamment durant une période qu’on appelle l’Aurignacien, mais s’agit-il d’une vraie absence de fréquentation des lieux ou a t’on affaire à une disparition liée à des processus taphonomiques (ici, ce sont les processus de conservation ou d’altération des niveaux archéologiques) ? C’est dans la seconde partie du Pléniglaciaire moyen, que d’autres témoignages sont attestés. La plage de sable fin sur laquelle se sont installés moustériens et châtelperroniens, est recouverte par des sédiments transportés par les vents froids, appelés des lœss. Ceux-ci forment une butte sur laquelle les gravettiens vont aménager un habitat temporaire il y a environ 28 000 ans. Autour de deux foyers, plus de 17 000 silex taillés ont été abandonnés, parmi lesquels on retrouve de fines armatures de projectiles nommées pointes de la Gravette ainsi que les restes de huit bisons abattus lors de chasses qui se sont déroulé en contrebas dans la vallée. Plus d’une centaine de coquilles fossiles transportées de gîtes éloignés de 80 à 150 km des Bossats vers le Nord (vallées de l’Eure, de l’Oise, de l’Aisne et de la Marne) et pour certaines percées, témoignent de préoccupations autres que purement matérielles (parures). La découverte d’une dent déciduale d’un enfant de 8 à 12 ans, montre que les adultes qui ont chassé aux alentours, étaient accompagnés de membres du groupe plus jeunes, d’éventuels rabatteurs ?
Les Solutréens, orfèvres du travail du silex, il y a environ 21 000 ans
Le site d’Ormesson est aussi fameux pour ce qu’il nous apprend sur le Solutréen, une culture préhistorique particulièrement mal connue au nord de la Loire, sans doute en raison des conditions climatiques qui y régnaient alors, à l’exception du site de Saint-Sulpice-de-Favières en Essonne. À Ormesson, six structures d’habitat ont nécessité l’utilisation de près de deux tonnes de blocs de pierre structurants impliqués vraisemblablement dans le calage des perches et des peaux participant aux structures protectrices. Elles sont réparties sur une surface d’environ 500 m2 et sont toutes reliées entre elles par des remontages et raccords de silex, ce qui témoigne de leur contemporanéité. Il s’agit là d’un des très rares campements solutréens connus en Europe. La vingtaine de feuilles de laurier (pièces bifaciales très fines) trouvées dans ce campement sont des couteaux qui ont servi à la découpe des animaux abattus à la chasse, notamment des chevaux et des rennes. Ces excellents tailleurs de silex ont également réalisé plusieurs gravures sur le cortex de blocs de silex (quadrillages, lignes parallèles, opposées et sinueuses) qui montrent leur intérêt pour les manifestations artistiques dans un campement où la chasse et le traitement des carcasses semblent avoir été l’objectif principal.
Des occupations postérieures ?
Aucun niveau archéologique ne témoigne de l’existence d’une occupation entre 19 000 ans et 2 500 ans avant aujourd’hui. Cependant, quelques lames et outils de silex récoltés en surface des labours, moins patinés et d’une allure différente de ceux trouvés dans le niveau gravettien, évoquent la période du Magdalénien il y a 14 000 ans. On suppose que les sédiments qui contenaient ces vestiges ont été déplacés et déposés par les carriers lors de l’exploitation des blocs de grès, dans la parcelle des Bossats qui n’était alors peut-être pas cultivée.
Enfin, des traces fugaces d’occupation réapparaissent à partir de l’Âge du Fer, il y a environ 2 500 ans, il s’agit d’une fosse suggérant l’installation d’une ferme à proximité.
Bien plus tard, les alentours du site seront utilisés dès le 19e siècle pour l’exploitation des blocs de grès.
L’équipe de recherche
Les recherches se poursuivent depuis 2009 (en savoir plus), sous la direction de Pierre Bodu, chargé de recherche au CNRS, UMR 7041 – ARSCAN – MSH. L’équipe de recherche du gisement d’Ormesson est composée d’une trentaine de spécialistes (CNRS, universitaires, doctorants, post-doctorants, masters) qui assurent l’étude de l’ensemble des vestiges et des contextes naturels et géologiques.
- Foyers et aires de combustion : Mathieu Lejay, Gaëlle Dumarçay
- Anthracologie : Isabelle Théry-Parisot
- Industrie lithique du Solutréen : Pierre Bodu, Fanny Bouché
- Cortex gravés solutréens : Claire Lucas, Alexandra Legrand-Pineau
- Tracéologie du matériel lithique gravettien : Marine Michel, Justin Coppe, Veerle Rots
- Industrie lithique du Châtelperronien : Pierre Bodu
- Industrie lithique du Moustérien : Mathieu Leroyer
- Tracéologie du matériel lithique solutréen et châtelperronien : Mickael Baillet
- Origine des matières premières lithiques : Florian Perron, Vincent Delvigne
- Industrie osseuse gravettienne et solutréenne : Nejma Goutas
- Colorants : Hélène Salomon
- Eléments de parure : Caroline Peschaux
- Faune solutréenne : Olivier Bignon-Lau
- Faune gravettienne : Jessica Lacarrière*
- Faune châtelperonienne et moustérienne : Noémie Sévêque
- Ichtyofaune : Philippe Béarez
- Microfaune : Emmanuelle Stoetzel
- Malacofaune : Olivier Moine, Valentine Fichet
- Géoarchéologie : Henri-Georges Naton, Guillaume Jamet
- Topographie/Iconographie : Joël Suire, Louise Heccan, Marie Jamon
- Anthropologie des pratiques archéologiques : Gwendoline Torterat
- Protohistoire : Daniel Simonin
- Vestige humain gravettien : Florence Alièse, Fanny Bocquentin, Marie-Anne Julien, Frédérique Valentin