La Préhistoire du Limpopo
Les premiers hommes et femmes anatomiquement modernes, Homo sapiens sapiens, apparaissent sur le continent africain il y a environ 300 000 ans mais c’est seulement à partir de 60 000 ans qu’ils gagnent et s’installent durablement sur le continent eurasiatique. La réussite de cette dispersion tient à une suite de facteurs et de comportements qui auraient avantagé les populations d’hommes et de femmes modernes dans leur processus d’exploration et d’adaptation.
Nos recherches archéologiques sur le continent africain cherchent à comprendre où, quand et comment ces nouveaux comportements sont apparus. Nos travaux se consacrent à l’Afrique du Sud depuis 1998, dans la continuité du projet Diepkloof qui a participé à la mise au jour de l’exceptionnel patrimoine préhistorique de cette région du monde.
L'apparition de comportements "modernes"
Les sites d’Afrique du Sud se démarquent par l’apparition précoce de comportements dits « modernes », dès 100 000 ans, prenant la forme d’innovations techniques (traitement thermique des roches, application de la pression pour le façonnage des outils, etc.) et de premières expressions symboliques (fabrication et utilisation de perles, apparition des premiers motifs géométriques). Ces nouvelles pratiques et ces nouveaux savoir-faire marquent une étape nouvelle dans l’histoire des sociétés de chasseurs-cueilleurs.
Toutefois, ce scénario de transformation culturelle, du Pléistocène supérieur à l’Holocène, n’est ni linéaire dans le temps ni homogène dans l’espace, laissant découvrir le caractère buissonnant de cette évolution. Les fouilles des sites de Bushman Rock Shelter et d’Heuningneskrans couvrent plus de 120 000 ans d’histoire et offrent une fenêtre privilégiée sur l’évolution culturelle et technique des sociétés d’hommes et de femmes modernes en bordure du plateau sud-africain.
Deux abris voisins
Le projet dans la vallée de l’Ohrigstad repose sur la fouille de deux sites voisins que sont les abris de Bushman et d’Heuningneskrans. Ces deux abris sont situés à moins de 4 km l’un de l’autre et présentent tous deux d’impressionnantes séquences sédimentaires avec respectivement 8 m de dépôts archéologiques piégés à l’abri Bushman et plus de 6 m de dépôts à l’abri d’Heuningneskrans.
La possibilité de travailler conjointement sur deux sites archéologiques est une opportunité rare qui offre de nombreux avantages d’un point de vue disciplinaire. Les séquences de Bushman et d’Heuningneskrans sont complémentaires et pour partie contemporaines, autorisant la confrontation et l’intégration d’archives culturelles et environnementales diversifiées du Pléistocène supérieur à l’Holocène.
Ces archives archéologiques sont particulièrement bien préservées, sous la forme d’ossements animaux, de fragments d’ADN sédimentaire ou encore de restes botaniques (charbons et graines). Outre la qualité de préservation des vestiges, les abris se distinguent par des enregistrements sédimentaires à haute résolution, permettant une reconstitution fine des chronologies de l’occupation humaine, des activités, des environnements. Les découvertes archéologiques rythment une histoire au cours de laquelle le Later Stone Age succède au Middle Stone Age, engageant le propos scientifique vers l’origine des populations de chasseurs-cueilleurs qui occupaient le sous-continent il y a encore quelques siècles. Le patrimoine archéologique sud-africain, par la nature de ses enregistrements, renouvelle nos modèles sur l’évolution des sociétés humaines et promeut la recherche de l’universel derrière la singularité.
Un projet pluridisciplinaire
Le projet de recherche implique la participation de spécialistes de différentes institutions, africaines et européennes. L’organisation du projet se construit naturellement sur l’emboitement de disciplines de terrain et de laboratoire, depuis la compréhension des processus de formation des sites à la chronologie (radiocarbone et luminescence) des occupations humaines. L’étude des restes botaniques (charbons, graines, phytolithes) et fauniques permet une reconstitution fine des paléoenvironnements et des stratégies de subsistance. Le mobilier archéologique permet une reconstitution large des traditions culturelles des groupes humains par une lecture des systèmes techniques (lithiques et osseux) et des registres d’expression symbolique (éléments de parure, sépulture, rainurages des parois). La géographie culturelle est abordée par des comparaisons inter-sites et profite de quelques témoins d’une mobilité sur de longues distances. La découverte de plusieurs perles sur des coquillages marins (Nassariuskraussianus), dont l’origine est à rechercher sur les plages mozambicaines de l’océan Indien, témoigne de contacts, de circulations et d’échanges sur plus de 200&nnsp;km de distance.
Un chantier-école
La vallée de l’Ohrigstad se trouve dans le Nord-Est de l’Afrique du Sud, à proximité du Zimbabwe, du Mozambique et du couloir littoral qui relie le Sud du continent à la vallée du rift est-africain. Cette implantation géographique est l’une des raisons qui a motivé le choix de notre région d’étude, pour un discours visant à s’affranchir des limites administratives et à favoriser la circulation des idées et des personnes à l’échelle de l’Afrique australe. Dans cette perspective, l’accent a très tôt été porté sur la formation et la mobilité des étudiant·e·s africains, avec la participation d’étudiant·e·s sud-africain·e·s, zimbabwéen·ne·s, mozambicain·e·s et zambien·ne·s. Ces étudiant·e·s viennent s’aguerrir aux méthodes et techniques de fouille préhistorique, prenant la mesure d’un travail collégial et pluridisciplinaire. En outre, chaque année depuis 2014, un ou deux étudiant·e·s africain·e·s viennent compléter leur expérience de terrain en rejoignant la fouille du site paléolithique des Prés de Laure, dans le Sud-Est de la France.