Soudan - Il y a 4 500 ans

Kerma-Doukki Gel

Le site de Kerma-Doukki Gel constitue un vaste ensemble urbain occupé durant près de trois millénaires en Nubie soudanaise. Implantée au cœur d’un riche terroir agricole, à la croisée de grandes routes commerciales reliant l’Afrique à la Méditerranée, la métropole contrôlait un territoire continuellement convoité pour ses ressources naturelles. 

Doukki Gel. Vue aérienne du palais A d’époque Kerma recouvert par les vestiges de la période égyptienne. © Mission Kerma-Doukki Gel / Bernard-Noël Chagny

Tour à tour capitale de l’un des premiers royaumes indépendants du continent africain, colonie égyptienne, puis cité majeure des royaumes napatéen et méroïtique, Kerma-Doukki Gel occupe une place essentielle dans l’histoire du Soudan.

Entre Nil et déserts, une occupation plurimillénaire

Les sites de Kerma et de Doukki Gel se situent sur la rive droite du Nil, à 12 km en amont de la troisième cataracte, dans l’actuelle province du Nord de la République du Soudan. Séparées d’environ un kilomètre, les deux implantations urbaines sont étroitement liées, tant sur le plan géographique qu’historique. Elles occupent une position stratégique, à la croisée d’importantes routes commerciales reliant l’Afrique subsaharienne à la mer Rouge et à la Méditerranée. Les vestiges mis au jour témoignent d’une occupation continue entre la période du Kerma ancien (2500-2050 av. J.-C.) et l’époque méroïtique (290 av. J.-C.-350 apr. J.-C.).

Dès 2500 av. J.-C., le royaume indépendant de Kerma — également connu sous le nom de royaume de Kouch — se développe et atteint son apogée au milieu du IIe millénaire av. J.-C. Il s’étend alors entre la première et la cinquième cataracte du Nil. Sa position stratégique sur les routes commerciales et son terroir agricole particulièrement fertile font de Kerma un territoire constamment convoité, en particulier par le voisin égyptien.

Kerma, capitale du royaume

Après les premiers travaux de George Reisner en 1913, les fouilles archéologiques extensives menées depuis 1975 et les recherches pluridisciplinaires récentes ont profondément renouvelé la compréhension du site.

La ville, entourée de fossés profonds et d’un système de fortifications élaborées, était traversée par plusieurs voies de circulation structurant le tissu urbain, dont un important axe nord-sud menant à Doukki Gel. Autour du temple principal et du complexe religieux ont été découverts des quartiers d’habitations, des résidences royales, des bâtiments administratifs, une grande salle d’audience circulaire et des chapelles. 

Des ateliers ont également été identifiés en divers points du site, notamment à proximité des lieux de culte. Le grand four en croix dégagé au pied de la Deffufa — installation unique destinée à la fabrication de plaques de bronze — illustre le savoir-faire remarquable des artisans nubiens dans le domaine de la métallurgie. La production d’objets en faïence et de céramiques, parmi les plus raffinées de la vallée du Nil, témoigne également du haut degré de maîtrise technique atteint par les artisans de Kerma.

De la conquête égyptienne à l’époque méroïtique…

Au nord de la capitale, le site de Doukki Gel fait l’objet, depuis 1996, de recherches systématiques qui ont révélé les vestiges d’un établissement à caractère cérémoniel contemporain de Kerma, ainsi que des niveaux d’occupation témoignant de la conquête du royaume par l’Égypte.

Au Kerma classique, le noyau urbain fortifié était entouré de plusieurs vastes édifices ovales ou circulaires interprétés comme des palais, eux-mêmes protégés par une seconde fortification.

Lors de la conquête de la Haute Nubie par les armées de Thoutmosis Ier, le pharaon soumet Kerma et son territoire et établit à Doukki Gel un ménénou, fondation royale en territoire étranger. Plusieurs temples, palais et un imposant système défensif sont édifiés sur les ruines nivelées des monuments antérieurs, affirmant ainsi clairement la mainmise de l’Égypte sur Kerma.

Les prospections géophysiques et les sondages récents ont mis en évidence l’extension du site vers le nord, avec une succession de niveaux archéologiques atteignant plus de deux mètres d’épaisseur. Ces niveaux ont livré des traces d’habitats temporaires (huttes) qui alternent avec des vestiges arasés de tours massives, de bastions et de murs d’enceinte, attestant l’existence d’un puissant système fortifié dès le Kerma moyen et tout au long de l’histoire du site.

Les recherches ont également montré que, contrairement à Kerma — abandonnée lors de la colonisation égyptienne puis transformée en nécropole —, la ville de Doukki Gel a fait l’objet de reconstructions et de réaménagements réguliers jusqu’à l’époque méroïtique.

La découverte, dans le complexe religieux d’époque kouchite, d’une cachette renfermant les fragments de sept statues figurant cinq souverains de la fin de la XXVe dynastie et de la période napatéenne (Taharqa, Tanoutamon, Anlamani, Senkamanisken et Aspelta), met en évidence le rôle prééminent que le site conserva en tant que capitale régionale jusqu’à une phase avancée de l’histoire kouchite.

Perspectives

Plusieurs programmes de recherche, portant sur l’emploi de la terre, du bois et des végétaux dans l’architecture, sur la chaîne opératoire du bronze et de la faïence, ainsi que sur les modes de stockage alimentaire, sont en cours. 

Le site est également intégré à un système d’information géographique (SIG) développé dans le cadre du projet IMAHP in Sudan (Innovative Monitoring Approaches for Heritage Protection in Sudan), conduit conjointement par la Section française de la direction des antiquités du Soudan (SFDAS) et la National Corporation for Antiquities and Museum (NCAM).

Enfin, face aux effets dévastateurs du changement climatique dans la région, la préservation durable des vestiges (protocoles de conservation adaptés), constitue un objectif à plus long terme.

La mission conjointe suisse-franco-soudanaise de Kerma-Doukki Gel a été créée en 2013 à la demande de la National Corporation for Antiquities and Museums. Elle est soutenue par la Commission consultative des recherches archéologiques à l’étranger du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, le CNRS et Sorbonne Université (UMR 8167 - Orient et Méditerranée/équipe Mondes Pharaoniques), la fondation Kerma (SEFRI-Suisse), l’université de Genève et la Section Française de la Direction des Antiquités du Soudan.

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