La fonderie royale d’Angkor
C’est au cœur de l’ancienne capitale d’Angkor, près du palais royal, qu’est mis au jour en 2012 un site de fonderie. Active au XIe siècle, elle constitue un des principaux centres de production de bronzes du royaume angkorien. Sans autre équivalent dans la région, elle invite à redécouvrir une diversité de savoirs et de techniques ainsi que l’organisation du travail des fondeurs au service du pouvoir.
L’activité de la fonderie royale d’Angkor est renseignée tout au long du XIe siècle, sur un espace de moins d’un hectare à l’organisation encore mal définie et par une puissance stratigraphique qui peut atteindre plus de deux mètres. La documentation archéologique correspondante est abondante, comprenant aussi bien les structures de travail (sols, bas-foyers, fosses) que les mobiliers associés (déchets pour l’essentiel : chutes, scories, fragments d’objets, de creusets, de moules, de parois de four, de tuyères et de blocs-tuyères).
Au plus près des artisans et des techniques
Leur lecture technologique montre que cuivre et alliages sont mis en forme soit par fonderie (cire perdue) soit par martelage, avant d’être éventuellement assemblés, ciselés, reparés, polis puis dorés. Autant d’étapes nécessaires pour l’exécution de statues et/ou d’objets. Si aucun élément statuaire n’a été retrouvé, les fragments de moule mis au jour, souvent de très grandes dimensions, témoignent en faveur de ce type de production. Divers fragments d’objets, notamment de vaisselle, renseignent quant à eux la petite fonderie. Certains procédés complexes ou onéreux, telle la dorure au mercure, attestent encore la haute qualité technique atteinte. Ce n’est certainement pas un hasard si à la même époque est documentée, dans la capitale et le royaume, une grande statuaire en bronze, dont le Vishnu du Mebon occidental – plus grand bronze jamais fondu à Angkor, récemment au cœur de l’exposition « Bronzes royaux d’Angkor, un art du divin » (musée Guimet) – constitue sans aucun doute la réalisation la plus aboutie. Le métal coulé à la fonderie (plus de 60 artefacts analysés) est d’ailleurs très similaire à celui des statues connues, aussi bien dans la formulation du bronze, alliage de cuivre et d’étain, que dans les signatures en impuretés. La fonderie royale constituerait ainsi au XIe siècle le principal, sinon l’un des principaux, centre de production de bronzes à l’échelle du royaume angkorien. Sans écarter le fait que les fondeurs ont pu être envoyés en dehors de la capitale pour la réalisation de chantiers majeurs.
Matérialités et chaînes opératoires
Les fondeurs s’approvisionnent en métaux soit sous forme de métal frais (cuivre et étain en lingots, or en poudre, mercure à l’état liquide), soit sous forme d’objets à refondre, ce dont témoignent certaines fortes impuretés mesurées (plomb, zinc, or). Un affinage peut ensuite être pratiqué, y compris sur le métal recyclé, avant d’élaborer les alliages de bronze, lesquels sont éventuellement stockés sous forme de nouveaux lingots avant la coulée. Une large gamme de creusets a été documentée en lien avec ces opérations métallurgiques, de même qu’au moins deux types de fours de fonderie. Pour le martelage, un cuivre non allié, parfois d’une très grande pureté, est travaillé, sans qu’aucune structure de recuit ne soit pour l’instant attestée. S’ajoute encore le fer, qui arrive lui aussi sous forme de demi-produit et participe diversement aux activités de production (outillage, armatures de statues, éléments structurels de fours, objets composites fer-cuivre).
Quoique toujours en cours d’étude, d’autres données sont disponibles sur les matériaux non métalliques qui interviennent à différentes étapes du travail : cire d’abeille mélangée à de la résine pour les modèles et systèmes d’alimentation (cône et canaux de coulée) ; argile (kaolinite) et balle de riz pour les terres des moules, des creusets et des fours ; charbon de bois dense comme combustible ; bois, bambou et/ou cuir pour les soufflets et tuyères ; roches (grès) pour les moules à cire et polissoirs ; bois et tuiles pour les bâtiments de travail et de stockage.
L’étude archéologique et archéométallurgique de la fonderie royale d’Angkor (Autorité nationale APSARA/EFEO) est conduite depuis 2016 dans le cadre du programme de recherche LANGAU, portant sur la métallurgie du cuivre dans le Cambodge angkorien (IXe-XVe siècle), avec le soutien du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères. Cinq campagnes de fouille ont déjà été menées, en plus de campagnes d’analyses multiples en laboratoire.
Liens utiles
- École française d’Extrême-Orient
- Podcasts en lien avec l’exposition « Bronzes royaux d’Angkor, un art du divin » (Musée Guimet, 30 avril – 8 septembre 2025)
- Le Monde, « Dans la fonderie des rois d’Angkor » (24662, 17 avril 2024, Supplément Science & Médecine)
- France TV, « Angkor, le mystère des temples de bronze » (90 min, 2025)