Éthiopie - Tigray oriental - Il y a 2000 ans

De Wakarida à Wolwalo

À cheval sur un plateau culminant à 2800 m et des vallées encaissées menant vers la mer Rouge, le Tigray oriental est une région de marge. Son peuplement antique reflète l’adaptation à un environnement naturel contraignant et des interactions avec les grands royaumes de l’Éthiopie antique, Daʿmat puis Axoum.

Waragena, à mi-chemin entre Wolwalo et Wakarida : la bordure du plateau du Tigray s’interrompt et des vallées encaissées plongent vers la région Afar © Jérémie Schiettecatte

Depuis 2011, par des prospections et des fouilles dans les deux aires archéologiques de Wakarida et Wolwalo, une mission franco-éthiopienne reconstitue l’occupation du territoire, l’économie et l’environnement durant les grandes périodes de l’histoire régionale, du VIIIe siècle avant au IXe siècle après J.-C.

Une mission archéologique en altitude

Choisi en 2011 au cours d’une première prospection parce qu’il se situait à l’écart des grands axes commerciaux antiques, ce qui rendait possible une approche plus directe de l’évolution des modes de vie, le site de Wakarida se localise dans une région escarpée, aux paysages sublimes, mais aux infrastructures rudimentaires. Pas de routes mais des pistes pas toujours très praticables, pas d’électricité jusqu’en 2018, un habitat traditionnel en pierres, magnifique mais sans confort, au sol en terre battue, avec un simple trou dans le toit pour laisser passer la fumée des feux; pas d’eau sur place mais l’eau du puits du village, qu’il faut aller chercher régulièrement. Dans ces conditions, l’assistance logistique, technique et humaine offerte à la mission par l’Autorité pour la recherche et la conservation du patrimoine culturel éthiopienne, par le Bureau de la culture et du tourisme du Tigray et par le Centre français d’Études Éthiopiennes (Addis Abeba) a été déterminante. C’est grâce au soutien sans faille de Godana, Eyob, Tesfay, Tematchatche, Semene, Amare tour à tour cuisiniers, chauffeurs, techniciens, bricoleurs de génie et toujours gais compagnons que l’équipe a su surmonter les multiples tracas et casse-têtes de la vie quotidienne, prise entre les exigences de la recherche scientifique et un environnement sans concession; tour à tour chaud et froid, sec ou très humide, et peuplé de cactus, d’animaux divers et d’insectes piqueurs très présents au quotidien. 

Ce quotidien des missions archéologiques à Wakarida a été suivi dans un court métrage, réalisé par Clara Barge, présenté au baccalauréat en option cinéma, sélectionné par le festival de cinéma Cinemed à Montpellier en octobre 2019.

Des vagues de peuplement successives dans le Tigray oriental

Les prospections de la mission franco-éthiopienne ont permis de dresser un tableau de la manière dont les populations passées occupèrent la région.

La montagne qui borde le plateau du Tigray à l’est fut densément peuplée durant la période pré-axoumite ancienne (VIIIe–Ve siècles av. J.-C.) et récente (IVe-Ier siècles av. J.-C.). Des fermes et des villages parsemaient alors les vallées autour de Wakarida et la bordure du plateau à Wolwalo. L’économie était essentiellement agricole et la population peu insérée dans les réseaux d’échanges culturels et commerciaux inter-régionaux. De cette époque dateraient les premiers aménagements massifs du paysage local marqués par une déforestation.

À l’époque axoumite (Ier-VIIe siècles), le peuplement de ce territoire se densifie autour d’un nouveau centre urbain, Wakarida (IVe-VIIe siècles). Le mobilier témoigne d’échanges à grande distance comme le montrent les monnaies axoumites, des amphores d’Aqaba, une perle romaine et un sceau de Perse. Ce développement régional est contemporain de l’apogée du royaume d’Axoum.

À la fin de l’époque axoumite, les basses vallées sont progressivement désertées autour de Wakarida au profit des hauts plateaux du Tigray.

Wakarida, une ville aux marges du royaume d’Axoum

Le site de Wakarida est situé aux limites orientales du haut plateau du Tigray, dominant la dépression de l’Afar. Les fouilles conduites dans trois secteurs ont permis de dégager des bâtiments d’architecture typiquement axoumite, accompagnés d’un mobilier céramique abondant, datés entre le IIIe et le VIIe siècle après J.-C., la période d’apogée du royaume d’Axoum. Des murs visibles en surface et des tessons de céramique attestent l’existence d’autres vestiges antiques. Le site de Wakarida formait sans doute une petite agglomération.

Bien qu’éloigné de la capitale du royaume et de ses principales routes, Wakarida montre des liens évidents avec Axoum et faisait partie d’un réseau de sites s’étendant jusqu’à l’extrême est du haut plateau tigréen.

La mise au jour des bâtiments à Wakarida a offert l’occasion d’étudier une architecture domestique en milieu rural pleinement inscrite dans la tradition architecturale axoumite, mais qui se distingue par certains traits originaux. Cette culture matérielle commune, comparée aux données des sources écrites, permet de supposer l’existence d’un pouvoir central fort contrôlant de vastes territoires au moins à partir du IIIe et jusqu’aux VIe-VIIe siècles.

Heurs et malheurs du patrimoine au Tigray

La richesse patrimoniale de la province éthiopienne du Tigray éthiopien est considérable. On y trouve de nombreux sites archéologiques pré-axoumites et axoumites, à l’image de Yéha et de la ville d’Axoum, inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Sont également à compter, de nombreux monastères perchés et des églises creusées dans la roche. Afin de mettre en valeur ce patrimoine, de nouveaux musées ont été aménagés ces dernières années. C’est ainsi qu’une ancienne centrale électrique a été reconvertie en musée archéologique à Wukro. Ouvert en 2015, il présente une exposition archéologique réunissant les découvertes des différentes missions travaillant dans la région, notamment celles réalisées sur le site de Wakarida.

Mais en novembre 2020, des tensions croissantes entre la province du Tigray et le gouvernement fédéral de l’Éthiopie ont conduit à un conflit armé. Les assauts combinés de l’armée fédérale, de milices amharas et de l’armée érythréenne ont entraîné la dégradation de nombreux monuments et musées. Les réserves récentes de la mission ont été pillées, le mobilier archéologique de la campagne 2020 est éparpillé et aucun retour sur le terrain ne peut actuellement être envisagé.

Partenariats et soutiens institutionnels

Plusieurs institutions ont contribué par leur soutien technique, logistique, administratif et humain aux activités de la mission : 

  • ARCCH - Autorité pour la recherche et la conservation du patrimoine culturel, Addis-Abeba
  • CFEE - Centre français d’Études Éthiopiennes, Addis Abeba
  • Service de Coopération et d’Action Culturelle de l’ambassade de France en Éthiopie, Addis-Abeba
  • TCTB - Office de la culture et du tourisme du Tigré, Mekele
  • Université Lyon 2

Nos activités de recherche sont financées par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, Paris, le CNRS (UMR 8167 Orient & Méditerranée, Paris, et UMR 5133 Archéorient, Lyon), la Fondation Simone et Cino Del Duca, Paris. Nous remercions chaleureusement toutes ces institutions pour leur soutien.

Les recherches de la mission ont été récompensées par le Grand Prix de l’archéologie de la Fondation Simone et Cino Del Duca en 2019.