Indonésie - il y a 1 000 ans

Bumiayu

Redécouvert dans les années 1980, Bumiayu est un des plus grands sites du Sud de Sumatra. Un des plus intrigants aussi. Ses temples hindous et ses divinités tantriques interrogent notre compréhension de l’histoire du royaume bouddhique de Srivijaya (VIIe-XIIIe siècle).

Candi Siwa Mahadewa, Bumiayu © EFEO-BRIN / Véronique Degroot

À la croisée des routes de la soie et des épices, le royaume de Srivijaya contrôlait une grande partie du commerce entre l’Inde et la Chine. À 160 km de Palembang, sa capitale, se dresse Bumiayu. Depuis 2020, l’École française d'Extrême-Orient (EFEO) et l'Agence nationale pour la recherche et l'innovation d'Indonésie (BRIN) étudient ce site majeur afin de le replacer dans le paysage politique et économique de l’époque.

Une localisation atypique, entre amont et aval

Bumiayu se situe sur le bord de la rivière Lematang, à mi-chemin entre Palembang et le haut-plateau de Pasemah. Alors que le bouddhisme dominait l’aval, les traditions mégalithiques florissaient en amont. L’interdépendance économique et la topographie favorisaient le statuquo ; le royaume de Srivijaya contrôlait le fleuve, Pasemah les matières premières. Selon cette reconstitution historique, Srivijaya était une sorte de cité-État à la tête d’un système d’avant-postes implantés aux confluents des rivières. Nul besoin de développer un grand centre au milieu de la forêt pour contrôler les flux. Il y en a pourtant un : Bumiayu.

Une occupation ancienne

Bumiayu est habituellement daté du IXe–Xe siècle apr. J.-C. En 2021, trois sondages effectués dans la zone marécageuse au sud du site ont révélé les traces d’une occupation beaucoup plus ancienne : des éclats d’obsidienne (verre volcanique naturel) et un dépôt de résine remontant à la fin du IIe millénaire av. J.-C. Ce dernier matériau a joué un rôle important dans l’histoire de Sumatra. Selon l’essence de l’arbre, la résine peut servir à calfater les bateaux, entrer dans la composition de médicaments ou être utilisée comme encens. Le benjoin, une résine aromatique tirée du styrax, fut d’ailleurs un des principaux produits d’exportation de l’île.

De multiples phases de construction

Des sols brûlés datant des IVe et Ve siècles apr. J.-C. ont été mis au jour par les fouilles en 2024. L’hypothèse est qu’il s’agit de traces de brûlis destinés à défricher la forêt et favoriser la croissance d’herbes comme l’alang-alang, qui sert à couvrir les toits des constructions traditionnelles en Asie du Sud-Est. Les plus anciennes structures de briques remontent au Ve–VIe siècle. Elles ont été recouvertes par de nouveaux temples vers la fin du Ier millénaire. Cette datation se base sur le matériel associé : céramiques chinoises de la dynastie Tang et terres cuites architecturales de style javanais.

Des milliers de terres cuites

Le dégagement des temples depuis le milieu des années 1980 a fait sortir de terre des milliers de céramiques architecturales. La vaste majorité de ces fragments n’a pas pu être replacée sur les monuments lors de la restauration. Antéfixes décorant la bordure basse du toit, morceaux de frises, épis de faîtage (élément décoratif placé au sommet du toit), représentations de l'animal mythique makara (croisement entre un crocodile, un poisson et un éléphant) ou fragments de linteaux sont conservés dans des hangars. Un long travail de catalogage et d’étude a été entamé. Son but : comprendre la structure du décor et identifier les variations de style afin de déceler d’éventuelles modifications et rénovations anciennes des structures.

Entre Shivaïsme classique et Tantra

Le décor architectural et les statues témoignent de la présence de différents courants religieux. Le temple le plus proche de la rivière, et donc le plus facile d’accès, est dédié au culte de Shiva. Les dieux y sont figurés les yeux mi-clos, les traits fins, couverts de perles et de bijoux. Construit à 500 m de là et séparé du reste du site par un fossé, le temple 3 est d’un tout autre caractère. Les fragments qui en proviennent représentent un monde de démons, d’êtres mi-hommes mi-animaux et de déesses portant des colliers de crânes. Cette iconographie relève de la tradition ésotérique et des rituels initiatiques du tantrisme. 

S’adapter au paysage

Autour du site, prospection, étude des sols et imagerie LiDAR ont permis de découvrir l’existence de nombreux aménagements hydrauliques : modifications du lit de certaines rivières secondaires, construction de digues et mise en place de petites écluses. Leur fonction n’est pas de lutter contre l’inondation de la Lematang mais d’en tirer profit en répartissant les limons et en retenant les eaux pour augmenter les surfaces rizicoles. Des analyses de pollens et de phytolithes devraient nous permettre de reconstituer le couvert végétal et de comprendre le rôle joué par Bumiayu dans le commerce de produits forestiers à haute valeur ajoutée.

La mission archéologique SRIBUMI est une coopération entre l’École française d’Extrême-Orient (EFEO) et l’Agence nationale pour la recherche et l’innovation d’Indonésie (BRIN). Y collaborent également : le CASE-UMR8170, l’université de Jambi, le service de protection du patrimoine de Palembang et l’institut indonésien de l’aéronautique et de l’espace.

Le projet est intégré à l’ERC DHARMA (Project n° 809994) et soutenu par le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères sur l’avis de la Commission des fouilles.

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