Le Néolithique dans le Sud-Est de l’Iran

Le Néolithique, qui, d’une façon générale définit la période de l’humanité durant laquelle apparurent les premiers villages agricoles, n’est connu dans le Sud-Est de l’Iran que grâce à la fouille de quatre sites, tous situés dans la province du Kermân : Tepe Yahya dans la vallée de Soghun, Tepe Gaz Tavila dans la plaine de Daulatabad, Tepe Gav Koshi dans la plaine d’Esfandagheh et Tell-e Atashi dans le Dârestan. Un cinquième site, Tal-i Iblis dans la plaine de Bardsir, pourrait être ajouté à cette liste, mais la présence d’une occupation néolithique sur ce site n’est pas confirmée. Des prospections de surface ont permis d’enregistrer d’autres sites néolithiques dans le Kermân, tandis qu’aucun ne semble connu dans les provinces voisines du Séistan-et-Baloutchistan et de l’Hormozgan, à l’exception peut-être d’un site près de la côte.

Tepe Yahya et Tepe Gaz Tavila

Tepe Yahya a été fouillé lors des années 1960-1970 sous la direction de C. C. Lamberg-Karlovsky. C’est un tell ou tepe, c’est-à-dire un monticule artificiel formé essentiellement par l’accumulation de dépôts archéologiques, dont la partie visible s’étend sur moins de 2,5 ha. L’occupation néolithique de Tepe Yahya correspond à la Période VII de la séquence chronologique de ce site, laquelle est caractérisée par quatre niveaux d’architecture construite à l’aide de briques crues dites « à empreintes de pouce ». Ce type de brique est connu ailleurs en Iran, ainsi qu’à l’est au Pakistan, ou encore à l’ouest comme à Jericho. L’un de ces niveaux (Période VIIB) consiste en plus d’une quarantaine de petites pièces dont on pense qu’elles servaient de structures de stockage de produits agricoles ou d’enclos hivernaux pour les chèvres et les moutons. Six sépultures néolithiques ont par ailleurs été trouvées.

Tepe Gaz Tavila est également un tell. Ce site a été sondé et l’une de ses coupes nettoyée par M. Prickett dans le cadre du programme de recherche dirigé par C. C. Lamberg-Karlovsky. Il est localisé à environ 25 km à l’ouest de Tepe Yahya. Associé à trois autres sites, avec lesquels il devait vraisemblablement ne représenter qu’un seul site, Tepe Gaz Tavila couvre 9,9 ha. Les travaux de M. Prickett ont permis d’y identifier quatre phases d’occupation incluant six niveaux architecturaux dont une partie est caractérisée par des briques à empreintes de pouce. Par ailleurs, neuf autres sites néolithiques ont été trouvés en prospection dans la plaine de Daulatabad.

Les occupations néolithiques de Tepe Yahya et de Tepe Gaz Tavila sont toutes deux datées par le radiocarbone du VIe millénaire av. J.‑C., celle de Tepe Yahya datant essentiellement de la seconde moitié de ce millénaire, tandis que celle de Tepe Gaz Tavila date de sa première moitié. Dans les deux cas, ces sites étaient alors occupés par des communautés d’agriculteurs. De l’avoine et du blé cultivés ont été identifiés à Tepe Yahya, tandis que les restes botaniques de Tepe Gaz Tavila comprennent de l’orge, du millet et du blé domestiques. De même, la chèvre, le mouton et le bœuf étaient domestiqués sur ces deux sites.

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Site de Tepe Yahya, Iran. © Google Earth

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Tepe Yahya, Iran. Plan du complexe architectural de la Période VIIB, Phases 6-4 et 2. © C. C. Lamberg-Karlovsky, d’après Beale, 1986 : 116 fig. 6.8.

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Tepe Gaz Tavila, Iran. La coupe principale (ouest) étudiée par M. E. Prickett. © C. C. Lamberg-Karlovsky.

Les assemblages matériels de Tepe Yahya et Tepe Gaz Tavila comprennent de la poterie à dégraissant végétal, des industries lithique, osseuse et en argile, ainsi que des éléments de parure en différents types de pierres, en coquillage et en os. La poterie a été comparée aux productions néolithiques de la province voisine du Fars. Elle est aussi conforme à la production potière communément trouvée en Iran au Néolithique, à dégraissant végétal, que R. H. Dyson a qualifiée de « Soft-Ware Horizon ». D’une façon générale, tout comme en ce qui concerne les pratiques agricoles et l’architecture, les similarités observées entre les assemblages de Tepe Yahya et Tepe Gaz Tavila et ceux d’autres sites suggèrent l’existence de formes de communication et de diffusion à travers l’Iran à cette époque. Des matériaux comme la turquoise, l’obsidienne et les coquillages indiquent des échanges à longue distance. La chlorite, dont les gisements sont présents dans le Kermân, était alors exploitée. Cette roche fut ensuite abondamment utilisée à l’âge du Bronze.

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Chaff-Tempered Coarse Ware de Tepe Yahya, Iran, Période VIIB.5-4. Fragment de base et anse.

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Tepe Yahya, Iran. Figurine en chlorite, Période VIIB.4.

Tepe Gav Koshi

Les fouilles réalisées à Tepe Yahya et Tepe Gaz Tavila ont longtemps été nos uniques sources d’informations sur le Néolithique du Sud-Est de l’Iran, jusqu’à ce que le site de Tepe Gav Koshi soit étudié par N. A. Soleimani il y a quelques années. Ce site de moins de 1 ha est caractérisé par deux phases d’occupation principales regroupant des bâtiments construits en brique crue. La phase la plus ancienne (Phase 1) est datée par six datations par le radiocarbone entre 7180 et 6690 av. J.‑C. Les auteurs de la fouille de ce site ont observé dans cette phase la présence de sols et de murs peints en rouge, de grandes quantités d’ossements d’animaux, ainsi que de nombreuses figurines humaines et animales. Ils interprètent ces vestiges comme étant ceux d’activités rituelles. La seconde phase (Phase 2) est datée par sa poterie de la seconde moitié du VIIe millénaire av. J.‑C. La fouille de Tepe Gav Koshi a ainsi considérablement repoussé le début du Néolithique dans le Kermân. En outre, les datations des deux phases mises au jour sur ce site placeraient les poteries les plus anciennes de cette province sur le même horizon chronologique que les premières expérimentations liées à cet artisanat documentées dans le Zagros et le Khuzestân. Ces découvertes sont en cela étonnantes, d’autant que ces poteries sont bien faites et relativement richement décorées (peintes), alors que celles plus récentes de Tepe Gaz Tavila et Tepe Yahya ne le sont pour la plupart pas.

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Tell-e Atashi, Iran. Chantier 2.

Tell-e Atashi

Tell-e Atashi est un tell mesurant environ 5,7 hectares entouré d’une zone d’épandage de vestiges archéologiques portant l’ensemble du site à environ 12 ha. Les fouilles conduites sur ce site en 2008, puis en 2017 et 2018, par O. Garazhian et B. Mutin ont mis au jour des niveaux d’occupation successifs comprenant des bâtiments construits à l’aide de briques crues à empreintes de pouce semblables à celles de Tepe Yahya plus à l’ouest. Dans un chantier à la surface de fouille plus importante ont été mises au jour des pièces d’habitation contenant des sols associés à des foyers et des cheminées d’angle bien conservées et datées par le radiocarbone d’environ 5300-5000 av. J.‑C.

Les vestiges archéobotaniques et archéozoologiques montrent que leurs habitants étaient des agriculteurs dont l’économie alimentaire reposait en partie sur le blé, l’orge, la chèvre et le mouton. Les assemblages matériels mis au jour à Tell-e Atashi comprennent des industries lithique et osseuse, de la vaisselle et des éléments de parure en pierre, ainsi que des objets en argile crue (par ex., de la vaisselle miniature et des figurines). La plupart de ces objets, tout comme les briques à empreintes de pouce, ont des parallèles sur d’autres sites néolithiques et chalcolithiques iraniens, suggérant des formes de communication, en particulier avec ceux susmentionnés situés dans l’ouest du Kermân. En revanche, Tell-e Atashi diffère de ces sites du fait qu’il n’a livré aucune poterie. Or, cet artisanat était connu alors en Iran depuis longtemps, y compris à la même époque à Tepe Yahya qui n’est localisé qu’à environ 200 km et avec lequel Tell-e Atashi présente plusieurs similitudes.

En revanche, cette caractéristique rapproche ce site de la première période néolithique de Mehrgarh au Pakistan (Période I), site localisé à environ 850 km à l’est de Tell-e Atashi. Or, de nouvelles datations par le radiocarbone suggèrent que cette période a commencé à la fin du VIe ou au début du Ve millénaire av. J.‑C. (5223-4914 cal. BCE) et s’est terminée au cours du premier tiers du Ve millénaire av. J.‑C. (4769-4679 cal. BCE). Non seulement cette période de Mehrgarh est ainsi contemporaine de Tell-e Atashi, mais aussi ces deux sites ont livré des figurines humaines très semblables.

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Figurines néolithiques de Mehrgarh (gauche) et Tell-e Atashi (droite).

Au-delà de Tell-e Atashi, les prospections conduites dans le Dârestan ont identifié 64 sites néolithiques, incluant 39 sites avec de la poterie à dégraissant végétal et 25 sites sans poterie. Restant prudent du fait que les données de prospection de surface sont généralement susceptibles d’être biaisées, l’occupation néolithique de cette région apparaît tout de même comme étant particulière importante et probablement parmi les plus étendues connues à ce jour dans les confins indo-iraniens.

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Site de Tepe Yahya, Iran

Image Google Earth © CNES / Airbus

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Tepe Yahya, Iran. Plan du complexe architectural de la Période VIIB, Phases 6-4 et 2.

© C. C. Lamberg-Karlovsky, d’après Beale, 1986 : 116 fig. 6.8

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Tepe Gaz Tavila, Iran. La coupe principale (ouest) étudiée par M. E. Prickett.

© C. C. Lamberg-Karlovsky

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<i>Chaff-Tempered Coarse Ware</i> de Tepe Yahya, Iran, Période VIIB.5-4.

© C. C. Lamberg-Karlovsky.

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Figurine en chlorite. Tepe Yahya, Iran, Période VIIB.4

© C. C. Lamberg-Karlovsky.

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Tell-e Atashi, Iran. Chantier 2

© MAFISE/Mirasearka

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Figurines néolithiques de Mehrgarh (gauche) et Tell-e Atashi (droite)

© C. Jarrige. Mission archéologique de l'Indus, B. Mutin. MAFISE