Cambodge - Il y a 1100 ans

Les açrama d'Angkor

Découvertes depuis la fin du XIXe siècle, vingt-et-une inscriptions réparties dans tout l’empire khmer angkorien attestent la fondation, par Yaçovarman Ier, premier roi ayant installé sa capitale sur le site d’Angkor, d’une centaine d’âçrama ou monastères et ce, dès les premières années de son règne, à la fin du IXe siècle. À la fois gîtes d’étape et lieux de retraite spirituelle, ces monastères étaient dédiés à l’accueil des voyageurs et des religieux, mais leur mission s’étendait également à la transmission du savoir et à la préservation des manuscrits.

Chapelle caractéristique des Yaçodharâçrama (fin du IXe siècle) mise au jour au Prasat Komnap Sud (vue du nord-est). © Dominique Soutif. EFEO

Créée en 2010, la Mission Yaçodharâçrama est un programme archéologique et épigraphique visant à faire la lumière sur ces institutions plus célèbres que connues. Ces âçrama constituent pourtant la première institution royale à être généralisée à tout l’empire khmer et représentent donc l’un des premiers témoignages de la centralisation du pouvoir royal. Leur importance est d’autant plus tangible quand on sait que les religieux en charge des quatre âçrama d’Angkor (vishnouite, bouddhique, çivaïte et un destiné aux brahmanes) avaient sous leur responsabilité le Baray oriental, immense bassin essentiel à la vie économique et religieuse : un élément constitutif majeur de la capitale.

La période étudiée s’étend du VIIe (occupations antérieures) au XVe siècle (abandon présumé du site) et se divise, au moins, en quatre phases d’occupation, dont deux sont liées aux fondations de Yaçovarman.

Pendant huit ans, la mission s’est consacrée à l’étude des monastères d’Angkor – capitale de l’empire khmer – qui étaient implantés autour du Baray oriental. Elle constitue un laboratoire fertile pour des questions essentielles à la compréhension du site d’Angkor et de l’histoire religieuse, économique et politique de l’ancien Cambodge. En effet, parcourant un éventail de thématiques allant de l’aspect le plus technique à l’aspect le plus général, elle offre un terrain de recherches privilégié pour : 1) les structures en matériaux périssables, encore très peu étudiées à ce jour ; 2) l’étude du lien entre morphologie architecturale et destination des espaces les composant ; 3) la compréhension du schéma historique de construction du site d’Angkor ; 4) le fonctionnement économique de ces institutions ; 5) la nature des sectes religieuses présentes sur le sol khmer au IXe siècle et les modalités de leur coexistence pacifique ; et 6) l’expression et l’imposition d’une centralisation du pouvoir.

Le versant archéologique doit impérativement être confronté aux données épigraphiques : l’originalité de notre démarche réside précisément dans cette prise en compte globale, multidisciplinaire, des matériaux à disposition pour la reconstitution de l’histoire angkorienne. Il s’agit d’étudier tout particulièrement les inscriptions digraphiques, des inscriptions portant la même inscription sanskrite sur leurs deux faces, mais l’une en caractères khmers « classiques », et l’autre utilisant des caractères nouvellement importés d’Inde par ce même roi. La comparaison des données obtenues sur le terrain et des informations révélées par les inscriptions sera, nous l’espérons, riche d’enseignements. La réussite de cette mission repose donc sur des collaborations pluridisciplinaires avec des spécialistes issus d’organismes nationaux et internationaux.

La première phase de notre travail est en grande partie achevée : les fouilles d’ampleur que nous avons réalisées à Angkor permettent d’appréhender les quatre grands monastères de la capitale, d’en dater les différentes phases sur une occupation de près de cinq siècles et de préciser l’aménagement et l’affectation de leurs différents espaces.

La seconde phase archéologique de la Mission Yaçodharâçrama porte sur les monastères établis en province. En effet, ces monastères constituent l’une des plus importantes fondations royales répétitives de la période angkorienne et il est donc nécessaire de les étudier dans leur ensemble. Grâce à l’identification des traits caractéristiques des âçrama d’Angkor, nous disposons à présent d’informations précises pour identifier les âçrama de province et déterminer leur extension, leur rôle politique et religieux ainsi que leur durée d’occupation. Il s’agira donc d’essayer d’en identifier le plus grand nombre possible, ce qui nous permettra de disposer d’une carte religieuse et politique du territoire contrôlé par l’empire angkorien à la fin du IXe siècle. En 2020, nous avons entrepris l’étude du Prasat Khna, dans la province de Preah Vihear suite à de fructueuses prospections réalisées en 2019. La première campagne de fouille a déjà permis d’identifier une stèle manifestement réemployée dont la morphologie particulière permet de supposer qu’il s’agit bien d’une inscription de fondation d’âçrama. En outre, un édicule situé à proximité du bâtiment long équivalent à ceux d’Angkor a été mis au jour et il a pu être prouvé qu’il était bien destiné à accueillir cette stèle. Enfin, le prasat Khna présente l’intérêt de comporter un autre bâtiment dans lequel nous proposons de reconnaître un Virâçrama, autre fondation royale répétitive datant cette fois du XIe siècle.

Un second monastère potentiel de la province de Preah Vihear, le Prasat Trapeang Thnal, est en cours de déminage et sera étudié en mars 2024, et une seconde fouille, en décembre, sera l’occasion d’étendre nos recherches au Sud du Laos avec l’étude d’un monastère offert au célèbre temple de Vat Phu, dans la province de Champassak.

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