Turquie - De la Préhistoire à l'époque médiévale

Labraunda

Labraunda est un site de montagne dont la période la plus active date du IVe s. av. J.-C. Le site est particulièrement connu pour avoir abrité un important sanctuaire dédié à Zeus Labraundos. Les opérations que nous y menons tiennent à la fois de la fouille, de la documentation et de la restauration/mise en valeur.

Labraunda, vue générale de la terrasse du temple avec, à gauche, l’andrôn A d’Idrieus et le bâtiment des Oikoi. © Olivier Henry

Le site, redécouvert dans le courant du XIXe s., a fait l’objet de campagnes de fouilles (discontinues) depuis 1948 par une équipe suédoise (université d’Uppsala). Depuis 2013, les fouilles sont placées sous direction française. Les travaux menés à Labraunda concernent l’ensemble de l’arc chronologique du site, depuis la préhistoire jusqu’à la période médiévale, avec un accent mené sur la période hékatomnide (VIe s. av. J.-C.).

Un rôle politique et culturel majeur

Labraunda est un site de montagne. Particulièrement isolé de la trame urbaine antique, et bien que certains auteurs anciens y aient vu une kome (un village), les recherches n’ont pas permis de mettre au jour l’existence d’une occupation des lieux par une communauté avant la période byzantine. Il semble que Labraunda ait été avant tout un lieu réservé à la célébration d’une divinité ou d’un pouvoir, particulièrement lors de grands rassemblements organisés à l’occasion de festivals annuels. L’architecture révélée sur le site par les fouilles archéologiques est exclusivement monumentale et confirme le rôle unique de ce site au sein de la société carienne.

Labraunda disposait néanmoins d’un très large territoire, partiellement peuplé, qui s’étendait sur plusieurs kilomètres à la ronde. Le territoire est riche et semble avoir connu une certaine prospérité vers le tournant de l’ère. Il se compose principalement de trois éléments : funéraire, militaire et agricole.

Le site est implanté sur une pente abrupte aménagée en une série de terrasses sur lesquelles les bâtiments furent érigés. Il existe cinq terrasses, mais le sanctuaire originel (VIe-Ve s. av. J.-C.) n’en comptait qu’une, bordée au sud par un mur de soutènement en appareil polygonal situé à l’est du temple. Dans la partie occidentale de la première terrasse du temple, un petit temple distyle in antis fut construit vers 500 av. J.-C. Selon Hérodote (V, 119), le sanctuaire de Labraunda s’accompagnait au début du Ve s. d’un « un vaste bois sacré planté de platanes », dont quelques descendants subsistent encore autour du site. Quand le temple fut élargi au IVe s., sa terrasse est alors prolongée d’environ 10 m vers le sud.

La période hékatomnide (IVe s. av. J.-C.), l’Apex architectural

Dans le courant du IVe s. av. J.-C., plusieurs autres terrasses sont érigées et habillées de très nombreux bâtiments, relativement bien conservés aujourd’hui. Plusieurs de ces constructions peuvent être datées grâce aux inscriptions présentes sur leurs architraves, qui donnent le nom des commanditaires (Mausole et Idrieus) et celui de Zeus Labraundos auquel ces monuments étaient dédiés. Mausole et Idrieus succédèrent à leur père, Hékatomnos, qui occupa le titre de Satrape de Carie, comme le confirment de nombreuses inscriptions. Ils firent de Labraunda la vitrine de leur puissance et l’un des sièges (sacrés) de leur pouvoir. À cette occasion, ils transformèrent profondément le site en le dotant d’une architecture exceptionnelle, hybride, mêlant influences grecques et perses au fonds culturel carien/anatolien.

Trois des bâtiments érigés par Mausole (377-353 av. J.-C.) sont encore visibles sur le site. Il s’agit de l’andrôn B, salle de banquet autant que de réception royale pour l’élite carienne lors des repas sacrificiels. Le second est une grande stoa, à l’est du temple, qui pouvait servir d’abri pour les pèlerins lors des sacrifices. Le troisième est une seconde stoa, abritant une série de sept salles de banquet, située sous l’andrôn B, à l’entrée du site.

Les édifices construits par Idrieus (351-344 av. J.-C.), frère cadet et héritier de Mausole, sont plus nombreux, à commencer par le temple de Zeus. L’ancien temple fut élargi pour devenir périptère et doté d’un opisthodome. Derrière le temple, à l’ouest, Idrieus fit construire une seconde salle de banquet monumentale, l’andrôn A, et un bâtiment de deux pièces derrière un large porche, désigné oikoi, qui semble avoir joué le rôle de trésor du sanctuaire.

Sur la terrasse la plus basse, il fit bâtir une entrée monumentale en marbre agrémentée d’une petite fontaine en marbre (la fontaine dorique), tétrastyle in antis, à l’est.

D’autres grandes constructions sont associées au site. On mentionnera la tombe monumentale qui domine le temple au nord, ainsi qu’une tour de guet dont les fondations sont encore clairement lisibles au sommet du « rocher fendu ».

Plus au nord, la colline qui domine le site est ceinte par une grande forteresse de onze tours, l’acropole fortifiée dont le cœur fut érigé vers le milieu du IVe s. av. J.-C. avant d’être élargi dans le courant du IIIe s. av. J.-C.

Au sud-ouest du site, les Hékatomnides firent également construire un grand stade aménagé pour les compétitions sportives organisées lors des fêtes sacrées.

Les temps hellénistiques et romains

Aux périodes hellénistiques et romaines, le site connut une nouvelle phase de construction caractérisée par l’élaboration d’une architecture vernaculaire utilisant exclusivement le gneiss local. Parmi ces nombreuses réalisations on mentionnera une fontaine à colonnade dorique sur la terrasse centrale, l’andrôn C, la stoa ouest, la fontaine hypostyle, la stoa M.

Cette activité architecturale se poursuivit à la période romaine avec la reconstruction de la stoa nord, l’édification d’une large basilique au-dessus de la stoa M (n° 21), la création de trois ensembles balnéaires du Ier au IVe s. apr. J.-C. ; respectivement les bains est, les bains sud et le bâtiment tétraconque, concomitant à l’aménagement d’un imposant bassin de récupération des eaux. On suppose que le culte rendu au Zeus de Labraunda s’éteignit au IVe s. apr. J.-C.

La fin de l’antiquité et la période médiévale

En tout état de cause, il semble que la christianisation du site ait commencé à la fin de ce siècle ou au début du suivant, puisque l’église est, située entre les deux propylées, aurait été aménagée à cette époque. Les découvertes réalisées dans l’église indiquent qu’elle fut utilisée pendant environ 200 ans avant d’être remplacée par une seconde basilique, située plus à l’ouest, l’église ouest.

Enfin, l’époque médiévale est marquée par une paupérisation du site accompagnée d’une réoccupation systématique des bâtiments transformés en ateliers de production et lieux d’habitation. À cette occasion un important cimetière se forme, autour de l’an 1000, au sud du bâtiment tétraconque et à l’ouest de l’église ouest. Le site semble avoir été abandonné dans le courant du XIIIe s. apr. J.-C.

Un projet de recherche aux nombreux soutiens

Les recherches à Labraunda s’inscrivent dans une collaboration franco-turque soulignée par une direction du site partagée par Olivier Henry (directeur), université Lumière Lyon 2, et Ipek Dagli (co-directrice), université d’Istanbul. Elles bénéficient de nombreux soutiens institutionnels, au premier rang desquels le MEAE. La mission archéologique a été récemment couronnées par l’obtention du Grand Prix d’Archéologie 2023 Simone et Cino Del DUCA, décerné par l’Institut de France. Parmi les nombreux autres soutiens, il faut mentionner : le laboratoire de recherche HiSoMA de l’université lumière Lyon 2, l’université de Bilkent, l’Institut Français d’Études Anatoliennes, l’université d’Istanbul, le Swedish Research Institute in Istanbul, l’Association Française des Amis de Labraunda, l’entreprise ESAN-Eczacibasi.

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