La sidérurgie ancienne en Afrique de l’Ouest
Aujourd’hui, avec la prolifération de nouveaux matériaux, le fer a perdu de son importance. Pourtant par le passé, il fut un matériaux utilisés dans tous les domaines (agriculture, armement, ornementation, etc.). Si les racines de la sidérurgie africaine plongent il y a plus de 3000 ans, il reste à déterminer son impact sur les sociétés pré-industrielles.
Nos recherches archéologiques visent à comprendre le rôle du fer comme matériau structurant les sociétés médiévales et modernes en identifiant les districts de production, les réseaux de diffusion et les lieux de consommation. Depuis 2014, nos travaux au Togo et au Bénin mobilisent une équipe pluridisciplinaire composée d’archéologues, géologues et archéomètres.
La production du fer en Afrique de l’Ouest
A partir du VIIIe siècle et surtout durant tout le IIe millénaire apr. J.-C., les sites de production du fer se multiplient en Afrique sahélienne et subsahélienne. Grâce à un sous-sol riche en minerai de fer, pratiquement tous les territoires africains se dotent d’un, voire de plusieurs, ateliers sidérurgiques. Certains d’entre eux vont même produire des quantités importantes de métal et devenir de grands centres spécialisés dont les vestiges se matérialisent par de volumineux amas de déchets de production, les scories.
Toutefois, cette intensification de la production du fer n’a pas eu lieu à la même période selon les régions. Les fouilles sur des sites sidérurgiques des régions de Bassar (Togo), de l’Atakora et du Mono (Bénin), offrent une opportunité unique pour préciser le développement économique de ces ateliers et retracer les réseaux de diffusion du fer qu’ils alimentaient.
Du minerai à la houe
La caractérisation des gisements de minerai de fer et des techniques sidérurgiques est au cœur de notre projet puisque ce dernier s'inscrit dans le domaine des recherches sur l'économie et le commerce des métaux aux périodes anciennes. Tracer les chemins empruntés par le métal vers ses lieux de consommation est une donnée fondamentale lorsqu’il s’agit de reconstituer l’histoire d’une société et l’influence de ses activités sur son développement.
L’acquisition de ces informations va reposer sur l'identification des gisements géologiques qui ont fourni les minerais employés, sur la caractérisation minéralogique et chimique des matières premières (minerai, argile des fours...), des déchets (les scories) et des produits (le fer) de la chaîne opératoire, de la mine à l'objet, ainsi que sur la fouille de lieux de consommation de ce fer.
Grâce à l'archéologie, l’archéométrie, discipline à l’interface entre l’archéologie et les sciences dites « dures », et à la géologie, il sera alors possible de comprendre les modalités d’approvisionnement en matière première (le minerai en particulier), d’estimer la productivité de l’activité, de reconstituer les réseaux de diffusion des métaux produits dans différentes régions et ainsi d’appréhender l’histoire notamment économique des civilisations.
Tandis que les problématiques d'approvisionnement et d’échanges sont établies en collaboration avec les historiens, archéologues et ethnologues, leur résolution repose sur l'utilisation de méthodes qui relèvent des Sciences de la Terre. L'enjeu de ce projet est de répondre pour la première fois à ces questions dans le contexte des productions intensives du fer qui se sont développées en Afrique de l'Ouest au cours des époques médiévale et moderne peut-être en lien avec le commerce transatlantique et la traite négrière.
Deux pays, plusieurs centres anciens de production du fer
Pays côtiers, le Togo et le Bénin s’étendent du Nord au Sud sur plus de 700 kilomètres, recoupant les zones guinéenne, soudanienne et soudano-sahélienne. Cette pluralité des paysages se retrouve également dans la complexité de l’histoire de leur peuplement et, ainsi également, dans la diversité des techniques métallurgiques qui s’y sont développées.
Au Togo, les recherches sur la métallurgie ancienne du fer, concentrées dans la région de Bassar mais aussi effectuées dans d’autres localités (Tado et Dapaong), ont montré l’importance majeure de cette activité. L’histoire du fer est ici relativement ancienne. Elle commence au Ve siècle av. J.-C. à Bassar. Suivie par un long hiatus chronologique, elle se poursuit par une période d’activité intensive allant de la fin du XIIIe jusqu’au début du XXe siècle apr. J.-C. Dans la cité ancienne de Tado, la production du fer ne durera que trois siècles, du XIIe au XIVe siècle apr. J.-C. Malgré la quantité importante de déchets métallurgiques découverts dans la région de Dapaong, l’absence de fouilles archéologiques ne permet pas pour l’instant de dater et de caractériser ces vestiges.
Au Bénin, les recherches sur la métallurgie ancienne du fer ont également été importantes. Réalisées sur l’ensemble du territoire, elles ont mis en lumière quatre régions où l’activité sidérurgique a joué un rôle majeur dans le développement des sociétés : celles du Mono, de l’Atakora, du Borgou et du Dendi. Pour l’instant, l’histoire du fer dans les localités du Mono et du Dendi ne semble remonter qu’au début voire à la seconde moitié du Ier millénaire de notre ère. Elle voit sa production se généraliser au fur à mesure des siècles. Dans le Mono, l’activité sidérurgique dépasse même les besoins locaux entre le XIIIe et le XVIIe siècle. Elle est encore présente et dynamique dans l’Atakora et le Dendi jusqu’au début du XXe siècle.
Dans la perspective d’étudier le commerce et la diffusion du fer sur la côte ouest-africaine, notre projet de recherche s’appuiera plus particulièrement sur les deux régions où l’activité sidérurgique a connu une phase d’intensification : Bassar (Togo) et Mono (Bénin). Dans le cadre d’une réflexion d’ensemble, d’autres secteurs sidérurgiques comme Tado et Dapaong au Togo ou l’Atakora et le Dendi au Bénin seront pris en considération à travers des travaux universitaires réalisés dans le cadre de mémoires de master ou de doctorat.
Un projet de formation franco-béninois-togolais
Au delà de la recherche scientifique, notre projet a également pour objectif de développer les recherches archéologiques au Bénin et au Togo en contribuant à la formation d’une nouvelle génération d’archéologues et à la protection et valorisation de ce riche patrimoine matériel et immatériel trop souvent négligé.
Notre projet offre aux étudiants togolais et béninois la possibilité de suivre un stage archéologique d’une durée d’un mois chaque année. La mise en place d’un module conjoint de formation entre les universités de Kara, de Lomé (Togo) et d’Abomey-Calavi (Bénin) permet de faciliter la mobilité des étudiants et des enseignants-chercheurs de ces pays voisins et d’encourager la dimension africaine de l’enseignement supérieur. Pour les étudiants, c’est l’opportunité de développer des compétences interculturelles et professionnelles favorisant une meilleure insertion dans une carrière académique. Pour les enseignants-chercheurs, c’est la possibilité d’acquérir des connaissances et des savoir-faire à partir d’expériences à l’étranger et de renforcer les collaborations entre établissements africains. De plus, l’intervention des chercheurs français permet des enseignements divers et complets et d’interconnecter différentes disciplines.
Nous pensons que c’est par ce type de formation que la filière et la compétence en archéologie pourront se développer. Le Togo et le Bénin possèdent un riche patrimoine. Sa connaissance, sa conservation et sa valorisation sont un enjeu pour la fierté d’une population, l’image extérieure d’un pays et la création d’activités culturelles et économiques dans une perspective de développement durable.
Projet soutenu par le ministère de l'Europe et des Affaires Étrangères sur l’avis de la Commission des fouilles.
Lien utile
- Page de présentation du programme sur le site du Labratoire Traces
- Documentaire : Bitchabé le village des forgerons
- Documentaire : Fer ancien, archéologie expérimentale au Togo (CNRS)