Chypre - Il y a plus de 2 500 ans

Kition, une ville-capitale de Chypre

Kition, sur la côte sud-est de l’île, était la capitale d’un royaume chypro-phénicien au Ier millénaire av. J.-C. Sa longévité (depuis le XIIIe siècle av. J.-C.) permet d’étudier sur la longue durée de l’Antiquité les manifestations archéologiques des périodes de crise, les formes de la résilience urbaine et les modes de contact entre populations.

Kition-Bamboula. Vue aérienne des vestiges visibles des néosoikoi (hangars à trières), IVe siècle av. J.-C. (© Mission archéologique de Kition/Alexandre Rabot).

La ville moderne de Larnaca recouvre les vestiges de l’ancienne Kition, limitant la fouille à quelques parcelles libres de construction et déconnectées. Le programme en cours, en collaboration avec le Département des Antiquités de Chypre, allie analyse spatiale et fouilles ciblées (sur les nécropoles, les sanctuaires, l’habitat, le rempart…) afin d’étudier la ville sous la ville. On peut ainsi mieux comprendre son évolution sur le temps long de l’Antiquité (du XIIIe siècle avant au IVe siècle après J.-C.).

Les docks de Bamboula : un bâtiment pour abriter la flotte militaire des rois phéniciens de Kition au IVe siècle av. J.-C.

Le site archéologique de Bamboula, l’une des rares parcelles libres de construction dans la trame de la ville contemporaine où l’on peut mener des fouilles extensives, se trouve dans la partie nord de Larnaka et à plusieurs centaines de mètres du rivage moderne. Il était dans l’Antiquité implanté aux abords sud et ouest d’un bassin portuaire protégé, dont l’étude paléoenvironnementale a montré qu’il est resté navigable au moins jusqu’au IVe siècle apr. J.-C.

Ce sont d’ailleurs les restes de ce bassin (une mare entretenant une malaria endémique) qui ont valu au site d’être en grande partie détruit, en 1879, lors d’une opération d’assainissement de l’administration britannique. La mission archéologique française y a commencé des fouilles extensives en 1976, dégageant d’abord les restes d’un sanctuaire (fréquenté au moins depuis le IXe siècle av. J.-C.) puis, en étendant ses recherches vers le nord, ceux d’un imposant bâtiment adossé à un puissant mur de terrasse. 

Le bâtiment, entièrement conservé dans sa partie ouest sans que ses limites vers l’est ne soient connues, est constitué d’une série de loges longues et étroites, orientées vers le nord, et séparées les unes des autres par des lignes de piliers maçonnés, qui supportaient la toiture. Chaque travée abritait une rampe inclinée sur laquelle on hissait des navires. Quel type de navires ? Les parallèles offerts par d’autres bâtiments similaires (en particulier les néosoikoi du port militaire d’Athènes, au Pirée) indiquent qu’il s’agissait sans doute de trières, ces vaisseaux de guerre actionnés par trois rangs de rameurs, rapides et maniables.

La fouille dans la partie nord du bâtiment, désormais sous le niveau de la nappe phréatique, en mettant en évidence une septième et dernière rangée de piliers, a confirmé cette hypothèse en invitant à restituer un bâtiment de près de 40 m de long. L’économie des lieux (un fond de baie bien abrité) offrait un cadre adapté à un tel bâtiment, auquel le sanctuaire, au nord, offrait une autre protection ; il montre aussi la maniabilité des trières, et l’habileté des marins, qui arrivaient à manœuvrer leurs vaisseaux dans l’espace étroit et peu profond du bassin, puis à les hisser poupe en avant sur les rampes où ils étaient mis à sécher. 

Une découverte exceptionnelle

Cette découverte est exceptionnelle à plus d’un titre : d’abord en raison de l’état de conservation remarquable du monument ; ensuite parce que le programme mis en œuvre pour l’étudier a permis de reconstituer un paysage côtier qui avait été complètement oblitéré par les évolutions urbains récentes, rendant à la ville antique son environnement propre ; enfin parce que les docks (néoria) de Kition offrent un cadre concret, un espace réel à des événements historiques connus par les sources écrites. On sait, en effet, que le roi phénicien de Kition, Milkyaton, a dû combattre au tout début du IVe siècle av. J.-C. les troupes de son voisin le roi de Salamine, Évagoras, qui tentait de placer l’ensemble de l’île de Chypre sous sa coupe. On sait qu’à la fin du même siècle, le roi grec d’Égypte, Ptolémée Ier, a fait partir sa flotte de Kition pour aller assiéger Salamine. L’archéologie n’illustre pas le texte, elle donne l’épaisseur d’un espace vivant aux récits du passé.