Grèce - Il y a 4000 ans

Kirrha à l'Âge du Bronze

Situé sur la rive nord du golfe de Corinthe au débouché de la plaine que domine Delphes, le site archéologique de Kirrha, avant de devenir le port du sanctuaire antique, fut un établissement d’importance régionale à l’Âge du Bronze. Il présente des niveaux remarquables pour la connaissance du Bronze Moyen et de la période des cercles funéraires de Mycènes.

Kirrha, chantier de fouille

Après 10 ans de travaux de terrain, l’équipe de chercheurs réunis autour de la Kirrha protohistorique prépare la publication. L’effort est porté en particulier sur une nécropole de la période transitionnelle (1700-1600 av. J.-C.), qui fera l’objet d’un premier volume.

Le site protohistorique de Kirrha est un tell littoral fondé au Néolithique en bordure nord du golfe de Corinthe dans la région de Delphes et abandonné à la fin de l’Âge du Bronze. Repéré et fouillé pour la première fois dans les années 1930, il devint rapidement l’un des sites clés de la protohistoire égéenne, notamment pour la période du Bronze Moyen et de la transition avec l’époque mycénienne. Il ne fut ensuite appréhendé pendant de longues années que par le biais d’opérations préventives. Depuis 2008, il fait l’objet de recherches programmées menées par une équipe pluridisciplinaire et internationale aujourd’hui dirigée par R. Orgeolet (Aix-Marseille Université) sous l’égide de l’École française d’Athènes et avec le soutien du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. L’exploration de plusieurs secteurs du site au cours de six campagnes de fouilles a permis la mise au jour d’importantes portions d’habitat et de tombes – les unes isolées, les autres parties de cimetières – dont la datation s’échelonne du début du Bronze Moyen (ca. 2200 av. J.-C.) à la fin de la période mycénienne au Bronze Récent (ca. 1100 av. J.-C.).

Les pratiques funéraires au cœur du programme de recherche

Parmi d’autres objectifs scientifiques (habitat, relations hommes-milieu), la question des pratiques funéraires s’est rapidement imposée comme centrale dans le programme de recherche. Le dossier funéraire kirrhéen était bien connu depuis les fouilles du siècle dernier, puisque l’équipe dirigée par H. van Effenterre avait reconnu et dégagé 59 sépultures. Cependant, les méthodes employées ainsi que les problématiques suivies alors ne permettaient pas de les appréhender dans toute leur dimension. Un ensemble funéraire cohérent a particulièrement retenu notre attention : il s’agit de la nécropole Ouest, datée de la période transitionnelle entre Bronze Moyen et Bronze Récent, contemporaine des cercles funéraires A et B du site de Mycènes (ca. 1700-1600 av. J.-C.). Sa mise au jour, aujourd’hui achevée, a été conduite selon les principes de l’« archéothanatologie », par une équipe associant archéologues et anthropologues. Parmi les 65 contextes funéraires révélés par les recherches récentes à Kirrha, une quarantaine est attribuable à cet ensemble, dont l’une des particularités réside dans son installation sur les ruines d’un habitat abandonné. À dire vrai, ce trait avait été relevé par le passé sur d’autres sites de Grèce continentale pour cette période (Pevkakia, Lerne, Asinè), mais dont les fouilles remontaient à plusieurs décennies et n’avaient permis ni une approche détaillée de la stratigraphie ni une exploration bioarchéologique des pratiques funéraires.

L'« archéothanatologie » : un nouveau regard sur la vie de la nécropole de Kirrha

Ceci est en passe d’être réalisé à Kirrha, puisque la fouille fine a permis de mettre en évidence une nécropole « vivante » s’étant stratifiée au cours du temps et dont les témoignages d’une fréquentation au long cours à mesure que les ruines du village où elle a été installée se dégradaient ont pu être saisis. Parallèlement, les assemblages funéraires étaient démontés selon les règles de l’art, au moyen d’un système de fouille et d’enregistrement où chaque ossement ou fragment osseux est individualisé, orienté et localisé. Ceci s’est révélé particulièrement fastidieux mais salvateur, en particulier parce que la majeure partie des sépultures de la nécropole Ouest de Kirrha accueillent des inhumations multiples en position secondaire. Avec l’achèvement de la fouille au cours de l’été 2019, les opérations de terrain sont terminées et on se concentre désormais sur l’étude anthropologique en laboratoire.

Une grande variété de sépultures

Avant même les résultats de celle-ci, un premier bilan peut être dressé quant aux différents types de sépultures rencontrés, qui correspondent à tous ceux que l’on connaît pour la période en Grèce centrale et plus au sud dans le Péloponnèse, à l’exception des sépultures en tumulus, pour l’heure absentes à Kirrha. De fait, une grande variété règne, puisqu’à côté de simples petites fosses en pleine terre, fréquentes pour les périnataux et de dimensions n’excédant pas quelques dizaines de centimètres, on rencontre pour les immatures et les adultes des fosses de taille plus importante au fond tapissé de graviers, ou des tombes maçonnées de tailles et de formes très variées (cistes aux parois de brique crue, cistes en dalles de calcaire de tailles diverses, etc.).

Une société hiérarchisée

Concernant le type et la taille des sépultures, on observe à l’échelle de l’ensemble du site une logique spatiale qui réserve aux secteurs à proximité du sommet de la colline les tombes les plus grandes. Les tombes fouillées dans les années 1930 se trouvant toutes à proximité du sommet du tell, il n’est pas étonnant que le mobilier qu’elles renfermaient, si l’on veut bien accepter de suivre pour celui-ci la même logique spatiale, ait été plus riche que celui renfermé dans celles que nous avons nous-même dégagées, particulièrement dans la nécropole Ouest éloignée de la zone sommitale. En effet, ces sépultures nous sont apparues la plupart du temps vides de tout mobilier, à l’exception parfois d’un petit vase ou d’une fusaïole, et de façon plus rare encore d’éléments de parure en os, bronze, argent et même or. Cette relative pauvreté mobilière, et il faut bien le dire matérielle, est souvent convoquée dans la littérature pour arguer d’une part de la faiblesse des richesses en circulation dans les sociétés méso-helladiques à l’aube de l’expansion de la civilisation mycénienne, et d’autre part de la « simplicité » supposée de ces mêmes sociétés. C’est là un effet de l’application, encore largement répandue en archéologie égéenne, du modèle néo-évolutionniste de la marche vers la complexité, elle-même représentée dans la péninsule grecque par le « stade » palatial, c’est-à-dire la phase mycénienne classique (Bronze Récent III). En revanche, les très bonnes conditions taphonomiques à Kirrha d’une part, qui garantissent une excellente conservation des ossements même en ce qui concerne les périnataux, et l’application pour la première fois dans un cimetière de cette période des méthodes de l’archéothanatologie d’autre part, a illustré tout un pan jusque-là méconnu des pratiques funéraires de la période transitionnelle.

Liens utiles

Page consacré à la fouille de Kirrha sur le site de l'École française d'Athènes : https://www.efa.gr/fr/recherche/sites-de-fouilles/kirrha