Arabie Saoudite - Il y a 1900 ans

La présence romaine dans les îles Farasān

Situé à 45 km des côtes saoudiennes, l’archipel de Farasān fait figure de « capsule » dans laquelle ont été figés des événements clefs de l’histoire du bassin méridional de la mer Rouge. Sa position de carrefour, son caractère insulaire et son histoire encore peu documentée font tout l’intérêt de cet archipel, au centre de nouvelles recherches archéologiques.

Îles Farasān. Vue aérienne © Heritage Commission. MiFa 2021

Au début des années 2000, la découverte de deux inscriptions latines sur l’île de Farasān-al-Kubra révèle la présence, inattendue dans le Sud de la mer Rouge, d’une voire deux légion(s) romaine(s). Depuis, cet archipel fait l’objet de nouvelles investigations par la Mission archéologique franco-saoudienne des îles Farasān. L’histoire du peuplement de l’archipel se dévoile alors peu à peu.

Un contingent militaire romain à Farasān

Les deux inscriptions latines découvertes sur l’île principale de Farasān attestent d’une installation militaire romaine sur l’archipel, bien qu’aucune source extérieure n’en mentionne l’existence. En dévoilant la présence de ce contingent militaire, ces vestiges épigraphiques repoussent les limites de l’Empire romain à plus de 1000 km au sud d’Hégra (Madaʾīn Ṣaliḥ), que l’on tenait pour la frontière méridionale de l’Empire. Ils confirment également l’idée d’une influence politique romaine grandissante dans le sud de la mer Rouge et en Arabie du Sud-Ouest, potentiellement dès le Ier s. apr. J.‑C. 

Le premier texte, découvert dans le cimetière de la ville moderne de Farasān, est daté de 144 et mentionne le nom d’une légion romaine présente sur l’archipel : la IIe légion Traiana Fortis, alors stationnée dans la province romaine d’Égypte. Le texte livre, par ailleurs, l’attestation la plus ancienne du nom de l’archipel : Ferresan, désigné comme un port (portus) placé sous l’autorité d’un préfet de la « mer d’Hercule » (le Sud de la mer Rouge ?).

La deuxième inscription, découverte dans les ruines du village d’al-Quṣār, serait datée de 121. Le texte, fragmentaire, pourrait indiquer la présence d’une deuxième légion à Farasān : la VIe Ferrata, stationnée dans la province romaine d’Arabie à cette date.

À la suite des résultats encourageants obtenus lors de courtes campagnes de prospection et de sondages archéologiques entre 2005 et 2014, la Mission archéologique franco-saoudienne des îles Farasān (MiFa) est créée en 2017 et a pu identifier et documenter de multiples zones de vestiges.

Une garnison militaire à al-Quṣār

Al-Quṣār constitue un site clef de l’Antiquité en mer Rouge : il s’agit du camp militaire romain le plus méridional actuellement connu. Établi au IIe s. apr. J.‑C., il a probablement été établi pour protéger le commerce maritime de dangers tels que la piraterie ou les récifs coralliens.

Plusieurs zones ont été découvertes : baraquements des soldats, rues nord-sud, latrines, un bâtiment monumental à la fonction incertaine et un possible complexe de bains. Suite à son abandon, probablement dans le courant du IIIe s. apr. J.‑C., le site n’est pas réoccupé avant le développement du village moderne, permettant une conservation exceptionnelle des vestiges.

L’élaboration du camp suit les préceptes de la construction romaine, comme en témoignent des briques et des murs de module romain (utilisation du pied romain, de la coudée et du digiti).

Les objets découverts lèvent le voile sur la vie quotidienne des soldats stationnés dans l’antique Ferresan et reflètent la position de carrefour que tenait Farasān dans la mer Rouge durant l’Antiquité. De nombreux fragments d’une armure de type lorica squamata ont été découverts dans une pièce des baraquements en 2022. Ils font actuellement l’objet d’une restauration au laboratoire Arc’Antique (Nantes).

Le complexe Wādī Maṭār-2

L’installation d’une garnison militaire à al-Quṣār aura dynamisé l’économie locale, comme semble le montrer l’occupation du site de Wādī Maṭār-2 (WM-2) au cours des trois premiers siècles apr. J.‑C. Les fouilles menées par la MiFa y ont mis en évidence une zone de production (secteur WM-2A), dont l’un des bâtiments fouillés suggère une activité métallurgique. Malgré un sol archéologique fortement érodé, des datations C14 de ce secteur attestent d’une occupation allant du Ie au Ve s. apr. J.‑C.

Deux autres secteurs (WM-2B et 2C) ont livré une zone d’habitat dense construite en pierres sèches, occupée périodiquement entre la fin de l’âge du Bronze et les premiers siècles apr. J.‑C. (WM-2B), ainsi qu’un sanctuaire (WM-2C). Le matériel céramique et la paléographie de deux inscriptions sudarabiques semblent indiquer une occupation de ce dernier dès la période sudarabique (première moitié du Ier mill. av. J.-C). La présence de matériel méditerranéen témoigne également de contacts, à l’époque romaine, avec le contingent militaire d’al-Quṣār, installé à quelques kilomètres au nord-ouest du site. Des datations C14 attestent d’une présence sur le site dès la fin de l’âge du Bronze (XVe s. av. J.‑C.), mais il est impossible de vérifier si une activité cultuelle s’y tenait déjà.

Ghurrayn

Le site de Ghurrayn, situé au nord-ouest de la ville moderne de Farasān, est un site antique monumental perché sur une petite éminence naturelle. Le site présente une organisation différente des autres établissements de l’archipel. Ici, l’architecture est caractérisée par un maillage plus serré des unités, et par l’emploi de blocs monumentaux finement taillés pour la construction de bâtiments imposants. L’emprise au sol du bâti et la monumentalité des blocs laissent présager un site d’une importance majeure à l’échelle de l’archipel. Celui-ci pourrait être un lieu d’administration de l’époque antique.

Les observations de surface (architecture, gravures et matériel céramique) ont permis d’identifier au moins quatre phases d’occupation entre la période sudarabique ancienne (début du Ier mill. av. J.‑C.) et le XVIe siècle.

La MiFa – Objectifs et perspectives

La MiFa est un partenariat entre l’université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne et la Commission saoudienne pour le patrimoine du ministère de la Culture. Sur le long terme, elle a pour objectif l’étude des grandes phases de peuplement de l’archipel, des périodes de transition et des preuves de contacts entre les aires culturelles régionales de la mer Rouge méridionale.

Pour les cinq années à venir, le programme de la mission se concentrera sur la présence romaine à Farasān avec la poursuite des fouilles dans l’oasis d’al-Quṣār et le site antique de Ghurrayn ; ainsi que sur le développement d’investigations subaquatiques en partenariat avec le DRASSM.

En savoir plus

  • COOPER, John P. et ZAZZARO, Chiara, « A Stone Anchor from the Farasan Islands, Saudi Arabia », Nautical Archaeology, vol. 41 / 2, septembre 2012, p. 407‑411.
  • COOPER, John P. et ZAZZARO, Chiara, « The Farasan Islands, Saudi Arabia: towards a chronology of settlement », Arabian Archaeology and Epigraphy, vol. 25 / 2, novembre 2014, p. 147‑174.
  • MARION DE PROCÉ, Solène, « Présence romaine et échanges commerciaux aux confins de la mer Rouge », Dossiers d’archéologie.  
    MARION DE PROCÉ, Solène, « Séance du 12 mai 2023. Un fort militaire romain du iie siècle dans le sud de la mer Rouge », Revue archéologique, vol. 77 / 1, 2024, p. 165‑172.
  • MARION DE PROCÉ, Solène, « The Farasān Archipelago in the Red Sea Context during Antiquity », in Dionysius A. Agius, Emad Khalil, Eleanor Scerri, Alun Williams (éds). Human Interaction with the Environment in the Red Sea: Selected Papers of Red Sea Project VI, Brill, 2017, p. 130‑147.
  • MARION DE PROCÉ, Solène, « Un petit temple inédit au sud de la mer Rouge », Semitica et Classica, vol. 11, 2018, p. 257‑266.  
    MARION DE PROCÉ, Solène et MALKI, Muḥammad AL-, « Rome et les îles Farasān, nouvelles données archéologiques », Comptes rendus des séances de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 2024.
  • MARION DE PROCÉ, Solène et PHILLIPS, Carl, « South Arabian inscriptions from the Farasān Islands (Saudi Arabia) (poster) », Proceedings of the Seminar for Arabian Studies, vol. 40, 2010, p. 277‑282.
  • MARION DE PROCÉ, Solène, « Remarks on the organization of territory in an insular context : The case of the Farasān Islands (southern Red Sea) in Antiquity », in Caroline Durand, Julie Marchand, Bérangère Redon, Pierre Schneider, (éds). Networked spaces : The spatiality of networks in the Red Sea and Western Indian Ocean, MOM Éditions, 2022, (« Archéologie(s) »), p. 141‑162, [on line : http://books.openedition.org/momeditions/16376].
  • PAVLOPOULOS, Kosmas, KOUKOUSIOURA, Olga, TRIANTAPHYLLOU, Maria, [et al.], « Geomorphological Changes in the Coastal Area of Farasān Al-Kabir Island (Saudi Arabia) since mid-Holocene based on a multi-proxy approach », Quaternary International, vol. 493, 2018, p. 198‑211.
  • PHILLIPS, Carl S., VILLENEUVE, François et FACEY, William, « A Latin Inscription from South Arabia », Proceedings of the Seminar for Arabian Studies, vol. 34, 2004, p. 239‑250.
  • VILLENEUVE, François, « Deux inscriptions militaires latines découvertes aux îles Farasān (mer Rouge méridionale, Arabie saoudite). [en arabe] », Actes du colloque The City in the Arab World in Light of Archaeological Discoveries, Sakaka, 5-7 décembre 2005, Riyadh, 2007, p. 167‑180.
  • VILLENEUVE, François, « L’armée romaine en mer Rouge aux IIe et IIIe s. apr. J.-C. », in A. Lewin. The Late Roman Army in the East, Rome. 2007, BAR, Archaeopress, p. 13‑27.
  • VILLENEUVE, François, « Une inscription latine sur l’archipel Farasān, Arabie Séoudite, Sud de la mer Rouge », Comptes-rendus de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 2004, p. 419‑429.
  • VILLENEUVE, François, PHILLIPS, Carl S. et FACEY, William, « Une inscription latine de l’archipel Farasān (sud de la mer Rouge) et son contexte archéologique et historique », Arabia, vol. 2, 2004, p. 143‑190.

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