Arabie Saoudite - il y a environ 7 500 ans

Camel Site

Découvertes en 2016, au nord de l’Arabie Saoudite, les sculptures néolithiques du Camel Site figurent parmi les plus anciens et plus grands reliefs animaliers connus à ce jour. On y trouve plus d’une vingtaine de représentations grandeur nature dont celles de chameaux, animal emblématique de l’Arabie.

Sondage au pied de l'éperon B sur le Camel Site en 2019, © Camel Site Archaeological Project, Guillaume Charloux

La découverte récente du Camel Site (ou « site du chameau »), dans le nord de l'Arabie Saoudite, est la preuve éclatante que l'exploration de la péninsule arabique réserve encore de nombreuses surprises.

Le meilleur compagnon des populations de la péninsule arabique

Comme son nom l'indique, le site est dédié aux camélidés, qui sont inextricablement liés à l'histoire et aux développements socio-économiques de l'Arabie. Utilisé pour le transport des marchandises dans les zones désertiques, ou pour de nombreux besoins de la vie quotidienne (lait, viande, bât, laine, etc.), le dromadaire est avant tout le plus noble et le meilleur compagnon des populations de la péninsule arabique. Le Camel Site est, en quelque sorte, un hommage de l'homo sapiens à cet animal fabuleux. Le site se distingue, dans le contexte désertique du nord de l’Arabie, tout d’abord par la technique de représentation employée (haut et bas-relief) mais également par la qualité de la représentation naturaliste, ou encore par la monumentalité des reliefs animaliers.

Le Camel Site

Situé au cœur du bassin de Sakaka, dans une région désertique au nord du Nafud, le Camel Site se compose de trois éperons rocheux allongés (A-C du sud au nord) orientés est-ouest, d'une hauteur maximale de 8-10 m et d'une longueur de 70-80 m. Le grès beige-orangé des rochers dans lesquels ont été sculptés les reliefs est malheureusement de mauvaise qualité, très sensible à l'érosion éolienne et se détache par blocs de la façade.

Les reliefs du Camel Site

Nous avons identifié une concentration très dense de reliefs (21 bas et hauts reliefs grandeur nature) sur les parois des éperons, notamment des éperons A et C. Les 17 dromadaires et 5 équidés (ânes sauvages ?) que compte aujourd'hui le site sont célébrés dans leur espace de vie naturel, par la main de l'homme, mais étonnamment sans que ce dernier soit représenté et sans inscription. Si les animaux sont principalement représentés les uns derrière les autres, en file indienne, on observe également des rencontres entre espèces et peut-être des scènes de pâturage.

Ces panneaux monumentaux ont été sculptés à l’aide d’outils lithiques par différents individus, au vu des multiples styles visibles. Cependant, les sculptures partagent des caractéristiques communes telles que la représentation naturaliste du profil, la description détaillée des yeux, des narines, des oreilles et de la bouche, et des détails anatomiques tels que les muscles et les os des jambes. Les effets de mouvement et de perspective sont saisis dans la représentation d'une jambe devant l'autre, les jambes d'un côté passant par-dessus celles de l'autre côté de l'animal.

La datation des reliefs

Bien que l'art du haut-relief soit très répandu au Proche-Orient, les seules œuvres connues auxquelles on peut les comparer (en termes de sujet, de taille et de technique de bas et haut-relief) sont les deux caravanes de dromadaires du Siq à Pétra, datant de la période nabatéenne. On a donc d’abord émis l’hypothèse d’une datation contemporaine de la période nabatéenne, qui s'est avérée erronée. Nos recherches récentes ont révélé que ces reliefs datent principalement de la période préhistorique (néolithique), il y a environ 7 500 ans. Cette datation est basée sur une série d'études, combinant des données provenant du terrain autour des reliefs et des examens détaillés des sculptures elles-mêmes. Un sondage effectué sous un relief a livré du matériel lithique du néolithique final, ainsi que des ossements qui ont pu être datés par radiocarbone. L'examen a été complété par la datation OSL des sédiments présents sous un relief effondré il y a plus de 4 000 ans. Ces recherches et d'autres relevés de surface ont été complétés par diverses analyses : étude macroscopique de la technique de taille des reliefs (réalisés avec des outils en pierre et non en métal) et expérimentations associées, datation des patines à l'aide d'un analyseur XRF portable, examens stylistiques approfondis et recherche de fragments et d’outils à la base des éperons rocheux. À l’issue de ces investigations, il apparaît que les sculptures du Camel Site figurent parmi les plus anciens reliefs animaliers grandeur nature connus à ce jour.

La symbolique des reliefs du Camel Site

Plusieurs informations complémentaires corroborent la probabilité que le Camel Site avait une fonction symbolique, voire cultuelle : la singularité du site, la taille et la qualité impressionnantes des reliefs, leur concentration sur seulement trois éperons, l'absence quasi-totale de gravures ultérieures, la présence d'anciennes cupules et rainures tracées à la main ou avec des galets sur le corps des animaux (notamment pour récupérer de la poudre à usage médicinal ou autre) ainsi que l'existence d'une tradition de gravures naturalistes de dromadaires grandeur nature dans la région. Ces quelques éléments interrogent le visiteur et les chercheurs : le Camel Site était-il un sanctuaire à ciel ouvert dédié aux camélidés et aux équidés sauvages ? Et/ou était-il un lieu de rencontre symbolique pour les populations préhistoriques locales, comme nous le pensons aujourd’hui ?

Le programme de recherche

Un accord entre le CNRS et la Saudi Heritage Commission a permis l’étude du site et des traditions de gravures de dromadaires en taille réelle entre 2018 et 2022. L’étude du site a été financée par le CNRS/UMR 8167 Orient & Méditerranée (GC), la Commission des fouilles du Ministère des Affaires étrangères (GC), l’ambassade de France à Riyadh (GC), la fondation Gerda Henkel (Allocation No AZ 43_V_18, à MG & GC), le Labex Resmed ANR-10- LABX-72 / ANR-11-IDEX-0004-02 (GC), le Cefrepa (GC), la Dahlem Research School at Freie Universität Berlin (MG), et la société Max Planck (MG).

Liens utiles

Publications

Charloux, G., Guagnin M., Petraglia M., & AlSharekh A., 2022, « A rock art tradition of life-sized, naturalistic engravings of camels in Northern Arabia: new insights on the mobility of Neolithic populations in the Nafud Desert ». Antiquity, 5 septembre 2022, p. 1 9. Lien vers l'ouvrage 

Guagnin M., Charloux, G. & AlSharekh A., 2022, « Monumental Sandstone Reliefs from the Neolithic: New Insights from the Camel Site in Saudi Arabia ». The Ancient Near East Today X, no 7 (1 juillet 2022).Lien vers l'ouvrage

Hilbert, Y. H., Clemente-Conte I., Crassard R., Charloux G., Guagnin M., et AlSharekh A.M., 2022 « Traceological Analysis of Lithics from the Camel Site, al-Jawf, Saudi Arabia : An Experimental Approach to Identifying Mineral Processing Activities Using Silcrete Tools ». Archaeological and Anthropological Sciences 14, nᵒ 5 (26 avril 2022), p. 93.Lien vers l'ouvrage 

Charloux G. (coord. scient.), 2021, L’art rupestre en Arabie. Une histoire oubliée des peuples du désert. Dossiers d’archéologie n°407, septembre-octobre 2021.

Guagnin M., Charloux G., AlSharekh A. et al., 2021, « Life-sized Neolithic camel sculptures in Arabia : A scientific assessment of the craftsmanship and age of the Camel Site reliefs», Journal of Archaeological Science : Reports.Lien vers l'ouvrage 

Charloux G., Guagnin M. & Norris J., 2020, « Large-sized camel depictions in western Arabia : A characterisation across time and space », Proceedings of the Seminar for Arabian Studies 50, p. 85-108.

Charloux G., Guagnin M., Alsharekh A.M., 2019, « Il "Camel Site". Rilievi rupestri di cammelli a grandezza naturale nel deserto Arabo », in Alessandra Capodiferro ; Sara Colantonio. Roads of Arabia. Tesori archeologici dell’Arabia Saudita, Electa, p. 63-73 (Ita.) ⟨hal-02500422⟩

Charloux G., Guagnin M., Alsharekh A.M., 2019, « The Camel Site. Rock reliefs of life-sized camels and equids in the Arabian desert », in Alessandra Capodiferro ; Sara Colantonio. Roads of Arabia (Rome), Electa, p. 63-73 (Ang.) ⟨hal-02500392⟩

Charloux G., al-Khalifa H., al-Malki T., Mensan R. & Schwerdtner R., 2018, « The Art of Rock Relief in Ancient Arabia. New Evidence from the Jawf Province », Antiquity 92/361, 2018, p. 165-182 ; Lien vers l'ouvrage