il y a 2500 ans

Le Briquetage de Marsal (Moselle)

Indispensable à la vie des sociétés anciennes, le sel a fait l’objet d’une exploitation intensive dès la protohistoire à Marsal (Moselle), où un projet de recherche pluridisciplinaire renouvelle nos connaissances sur l’impact environnemental et social de cette industrie majeure de l’âge du Fer.

 

Vue aérienne de la fouille de la Digue à Marsal (Moselle). (Cliché Projet Briquetage de la Seille).

Dans la vallée de la Seille, sont conservées d’immenses accumulations de terre cuite, qui sont les plus importantes d’Europe : connues sous le nom de Briquetage de la Seille, elles sont les restes de production d’une série de salines préromaines réparties sur plus de 10 km de longueur.

L’Or blanc des Celtes

À quoi sert le sel ?

Jusqu’à l’invention des techniques de réfrigération, le sel est le moyen principal de conserver les aliments. Les salaisons préservent la viande et les saumures les légumes. D’autres produits alimentaires sont faits avec du sel, comme les fromages. Le sel est utilisé aussi comme un complément d’alimentation du bétail, afin de maintenir les bêtes productives et en bonne santé. Dès que les communautés humaines ses sont sédentarisées, au Néolithique, elles ont eu besoin ainsi d’être régulièrement approvisionnées en sel.

D’où vient le sel ?

Le sel peut être extrait de l’eau de mer, mais, sauf cas exceptionnel, on n’en trouve pas à l’intérieur des terres. Ce sel continental est un sel fossile, dit sel gemme, qui provient d’anciennes mers des temps géologiques. Il peut être exploité par des mines, comme dans les Alpes, mais il peut également être dissous par des écoulements d’eau souterrains et suinter en surface, sous la forme de sources salées. Ces sources naturelles d’eau salées ont donc fait l’objet d’exploitations intensives durant la Préhistoire et les âges des Métaux, car elles fournissaient d’exceptionnelles ressources en sel à plusieurs centaines de kilomètres des rivages de la mer.

Les briquetages continentaux

Une série de sources salées continentales ont été exploitées durant la Protohistoire, principalement entre le nord-est de la France et l’Allemagne de l’Est, par la technique dite des briquetages. Ces restes de moules à sel en terre cuite se rattachent à une technique de production du sel par chauffage artificiel de la saumure dans des fourneaux.

Plusieurs sites d’importance majeure sont connus en Allemagne, comme à Halle (Saxe-Anhalt), Bad Nauheim (Hesse) ou Schwäbisch Hall (Bad Wurtemberg). Ils datent principalement de l’âge du Fer. Néanmoins, les exploitations les plus importantes sont situées en Lorraine, aux environs de Marsal (Moselle). Ces salines celtiques et gauloises devaient alimenter de vastes bassins de population, qui pouvaient s’étendre jusqu’en Alsace, Sarre-Palatinat, Champagne et Bourgogne.

Comment les Celtes et les Gaulois obtenaient-ils le sel ?

Entre Salonnes et Marsal (Moselle), une série de sources salées ont fait l’objet d’une exploitation intensive, poursuivie durant plus de 500 ans pendant l’âge du Fer, par la technique dite du briquetage. Entre le printemps et l’été, les sauniers celtiques et gaulois puisaient la saumure remontant par dissolution d’une formation souterraine de sel gemme, située à une soixantaine de mètres de profondeur.

L’eau salée était ensuite enrichie par l’apport de produits de lavage de terres salées récoltées à proximité, puis elle était mise à concentrer dans des bassins exposés au vent et au soleil. La saumure portée à saturation était versée ensuite dans des bassines en terre cuite, que l’on mettait à chauffer dans des fourneaux. C’est alors que le sel se précipitait sous forme de cristaux, qui étaient récoltés.

Le Briquetage de la Seille

Ces cristaux de sel pouvaient ensuite être conditionnés sous forme de pains de sel. La pâte de sel que l’on venait d’extraire était versée dans des moules poreux en terre cuite, qui étaient mis à chauffer dans d’autres fourneaux. À l’issue de l’opération, les moules étaient brisés pour libérer les pains de sel, et les fragments de moules abandonnés sur place.

Le caractère intensif de la production a créé d’énormes accumulations de déchets de fragments de moules et de grilles de support de chargement des fourneaux. L’accumulation de ces débris a fini par former de véritables terrils, dont certains atteignent encore 12 m de hauteur, comme au bourg de Moyenvic. Leur masse totale est estimée à plusieurs millions de mètres cubes.

Cette première industrie du sel est interrompue par la conquête romaine, dans les premières décennies du Ier s. de notre ère. Lui succèdent des salines romaines, dans lesquelles la saumure est chauffée dans des bacs en métal (généralement en plomb) appelés poêles à sel.

Les premières recherches, de Louis XIV à l’annexion allemande de 1871

Découvertes à la fin du XVIIe siècle lors des travaux de fortification de Marsal commandés par Vauban, les accumulations du Briquetage de la Seille ont d’abord été attribuées aux Romains, par l’ingénieur royal Artézé de la Sauvagère. Elles sont restées mystérieuses tout au long du XIXe siècle, où on les a interprétées comme des vestiges pouvant dater du Paléolithique au haut Moyen Âge.

Ce sont les premières fouilles de 1901, réalisées par le nouveau conservateur allemand du musée de Metz, Johann Baptist Keune, qui ont permis de déterminer que ces éléments de terre cuite appartenaient aux restes d’une activité d’extraction du sel faisant appel au feu et datant du premier âge du Fer (VIIIe-VIe s. av. J.-C.).

C’est à partir de ce moment que le terme « briquetage » en est venu à désigner des vestiges analogues de production préhistorique du sel, que l’on a découverts en Europe, dans le Nouveau-Monde et en Asie.

Les recherches des années 1970

Une série de sondages, réalisés à partir de 1969 par l’archéologue Jean-Paul Bertaux, ont permis de mettre en évidence la gamme des différents récipients en terre cuite qui étaient utilisés pour chauffer la saumure et mouler les pains de sel. Ces fouilles ont révélé également les premiers fourneaux à saumure, découverts à Marsal.

Cependant, faute de reconnaissances de grande ampleur, la chronologie du Briquetage de la Seille restait mal connue, de même que l’extension et l’organisation des ateliers de sauniers.

Une mission de reconnaissance à l’échelle d’un paysage

À partir de 2001, un programme de recherches pluridisciplinaires a été développé par le musée d’Archéologie nationale, afin d’étudier cet ensemble de sites, exceptionnel au plan international pour sa contribution à l’archéologie du sel. Il s’agissait d’abord de déterminer, par des prospections géophysiques aéroportées, l’emplacement des différentes zones de production, qui peuvent s’étendre sur plusieurs dizaines d’hectares.

D’autres prospections géophysiques, réalisées au sol sur ces concentrations d’ateliers, ont permis de mettre en évidence l’organisation des installations et la répartition des fourneaux, guidant ainsi la réalisation de sondages ou de fouilles ciblées.

Une production industrielle de l’âge du Fer

Des séries de sondages ont permis de fixer la chronologie de cette industrie et la technique de production du sel par le Briquetage de la Seille. On a pu reconstituer ainsi l’évolution générale de la technologie mise en œuvre par les sauniers celtiques et gaulois, qui procède d’une démarche véritablement industrielle.

Enfin, des carottages de sols ont permis de reconstruire l’histoire de cette partie de la vallée de la Seille depuis 10 000 ans. On a pu évaluer ainsi l’impact qu’avait eu cette activité industrielle sur l’environnement naturel et l’occupation humaine dans la longue durée.

Comment vivaient les sauniers celtiques et gaulois ?

Des fouilles ciblées, conduites sur plusieurs ateliers, ont permis d’étudier l’organisation interne des salines celtiques et de reconstituer ainsi la « chaîne opératoire » d’extraction du sel, depuis le puisage de la saumure, jusqu’à l’obtention des pains de sel.

Des reconnaissances conduites à la périphérie des zones d’atelier ont permis de découvrir les probables nécropoles des sauniers, qui sont occupées durant tout l’âge du Fer. Certaines de ces tombes appartiennent à des classes privilégiées des sociétés celtiques et gauloises.

Un impact à long terme sur le milieu naturel et humain

Enfin, des prospections de surface, entreprises à l’échelle de la vallée, ont permis de reconstituer les transformations de l’occupation humaine, de la Préhistoire à la période contemporaine. Elles ont permis d’observer comment les accumulations de déchets industriels du Briquetage de la Seille ont, en modifiant la topographie et l’environnement, contraint les occupations des périodes ultérieures à s’adapter à ce milieu progressivement transformé en un vaste marécage.

Les collections archéologiques

Les collections des fouilles de 1901 conduites par Johann Baptist Keune sont conservées au Musée de Metz (Moselle).

Le mobilier des fouilles conduites par Jean-Paul Bertaux est conservé pour partie au musée du Sel de Marsal (Moselle).

Les collections produites par les recherches du MAN sont destinées au musée d’Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye.

Les partenaires scientifiques du projet

Une vingtaine de partenaires scientifiques, principalement européens, se sont associés pour apporter leur concours au projet de recherche du Briquetage de la Seille :

En France :

  • Le Bureau de Recherches géologiques et minières (Orléans)
  • Le Centre archéologique européen de Bliesbruck-Reinheim (Moselle)
  • Le Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France (Paris)
  • Le Groupe Géoarchéon (Vieville-sous-les-Côtes)
  • L’Institut de Recherches sur les Archéo-matériaux (Orléans)
  • L’Institut de Physique du Globe (Paris)
  • Le Laboratoire d’Anthropologie moléculaire Archéogène (Strasbourg)
  • Le Laboratoire d’Archéozoologie de Compiègne
  • Le Laboratoire ARC-Nucléart (Grenoble)
  • Le Laboratoire Visual Forensic (Strasbourg)

À l'étranger :

  • Le Service Géologique d’Allemagne fédérale BGR (Hanovre, Allemagne)
  • Le Curt Engelhorn Zentrum (Mannheim, Allemagne)
  • Le Groupe ArchaeoScape (Université de Londres, Grande-Bretagne)
  • Le Groupe Osteoarchaeology (Mayence, Allemagne)
  • Le Groupe Posselt und Zickgraf Prospektionen (Marburg, Allemagne)
  • Le Laboratoire Beta Analytic (Miami, USA)
  • Le Laboratoire Dendronet (Bohlingen, Allemagne)
  • Le Max Planck Institute (Leipzig, Allemagne)
  • L’université de Louvain-la-Neuve (Belgique)
  • L’université de Pékin (Chine)
  • L’université du Wisconsin (USA)

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