Villages antiques de Syrie du Nord
Les villages antiques de Syrie du Nord, dans la région d’Alep, sont un des fleurons du patrimoine archéologique syrien et correspondent à 700 villlages, répartis sur une zone montagneuse qui s’étale entre l’Oronte et l’Afrin, sur 140 km du nord au sud et jusqu’à 40 km de largeur. Construits en pierre de taille, ils sont pour la plupart restés figés dans l’état où ils étaient au moment de leur abandon et forment comme un instantané des paysages de l’Antiquité tardive.
Les travaux de la Mission archéologique syro-française de la Syrie du Nord portent sur un ensemble géographique et historique cohérent, un territoire rural où subsistaient jusqu'à une époque très récente, non seulement les habitats, villages et écarts, mais aussi les parcellaires associés à ces établissements. Une cinquantaine de villages presque parfaitement conservés au moment de leur étude ont fait l’objet d’enquêtes plus ou moins détaillées.
Depuis les années 1980, plusieurs villages ont fait l’objet de fouilles (Sergilla, Déhès, al-Bâra et Ruweiha). De taille variée, ils sont représentatifs des différents chaînons du Massif calcaire et des différentes provinces administratives et politiques antiques. Pour chacun de ces sites, notre but est d’en déterminer la chronologie, afin de mieux cerner les rythmes de formation, de croissance puis d’abandon des espaces, et de caractériser avec précision les systèmes de production et leur évolution.
La mise en valeur du Massif calcaire
Les résultats antérieurs ont montré que le Massif calcaire, un ensemble de chaînons formant une zone marginale à la fin du Ier siècle av. J.-C., est mis progressivement en valeur à partir de la fin du Ier siècle apr. J.-C. par des paysans qui aménagent les terroirs en les épierrant. C’est probablement à cette époque, pour contrôler ce mouvement de mise en valeur, que sont implantés des cadastres. Au IIIe siècle, cette expansion s’interrompt pour peu de temps, puis reprend de plus belle vers 330. Il s’agit d’une expansion quantitative par augmentation du nombre des hommes et élargissement des terroirs mais aussi, dès le Ve siècle, d’une expansion qualitative qui reflète l’enrichissement d’une petite et moyenne paysannerie grâce à une spécialisation et à une intensification des cultures, parallèlement à une diversification des activités économiques et à une ouverture sur les marchés urbains.
Le ralentissement du VIe siècle
Cette expansion cesse vers 540-550, sans doute dans le contexte d’une crise de type malthusien. L’autre résultat significatif auquel ont abouti les recherches et dont rendent compte les publications de Déhès (1982 et 2017), de Sergilla (2014), et les articles qui concernent la fouille d’al-Baâra est qu’après cette crise de 540-550 et après la conquête islamique, le Massif calcaire continue à être occupé, même si sa population demeure en deçà des limites atteintes avant 550. Au début de l’époque islamique, la production de vin s’intensifie même, comme l’a montré Olivier Callot dans son étude des pressoirs de Déhès. La diminution du nombre de villages occupés ne commence pas avant le VIIIe siècle et les plus grands d’entre eux sont encore attestés au moment des Croisades et à l’époque médiévale.
Un patrimoine en péril
En 2011, les villages antiques de Syrie du Nord ont été inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Le conflit violent en Syrie, qui éclate la même année, a conduit à inscrire la zone sur la liste du patrimoine mondial en péril, en 2013. De fait, de nombreuses destructions ont eu lieu, conséquences de l’arrivée de nombreux réfugiés dans la région d’Idlib, de l'absence de régulation des constructions, des bombardements et du tremblement de terre de 2023 qui a durement affecté la Syrie du Nord.
Soutenue par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères sur l’avis de la Commission consultative des recherches archéologiques à l’étranger, la Mission archéologique syro-française de la Syrie du Nord a mené ses fouilles en collaboration avec la Direction des Antiquités et des Musées de Syrie, l’Institut français du Proche-Orient, la Maison de l’Orient et de la Méditerranée et l’Université de Strasbourg. Elle n’a plus d’opérations de terrain depuis 2011, mais poursuit le travail dans différentes directions : archives, SIG, valorisation et publications. Issus de la documentation et du travail de terrain dans les villages de Syrie du Nord, plusieurs projets d’ouvrages sont en cours de réalisation.
En savoir plus
- O. Callot 2017, DÉHÈS II. Les pressoirs, BAH 210, Presses de l'IFPO, Beyrouth.
- O. Callot 1984, Huileries antiques de Syrie du Nord, BAH 118, Paris.
- G. Charpentier et V. Puech (dir.) 2013, Villes et campagnes aux rives de la Méditerranée ancienne. Hommages à Georges Tate, Topoï, supplément 12, Lyon, Maison de l’Orient et de la Méditerranée. [En ligne]
- A. Naccache 1992, Le décor des églises de village d’Antiochène du IVe au VIIe siècle, 2 vol., BAH 144, Paris.
- J.-P. Sodini, G. Tate, B. Bavant, S. Bavant, J.-L. Biscop, D. Orssaud, C. Morrisson, F. Poplin 1980, Déhès (Syrie du nord) Campagnes I-III (1976-1978) recherches sur l’habitat rural, publication hors-série n°15 (Syria 57/1, p. 1‑304), Geuthner, IFPO. [En ligne]
- G. Tate 1992, Les campagnes de la Syrie du Nord du IIe au VIIe siècle, BAH 133, Paris. [En ligne]
- G. Tate, M. Abdulkarim, G. Charpentier, C. Duvette, Cl. Piaton, 2013, SERGILLA, village d’Apamène. Tome 1 : Une architecture de pierre, BAH 203, Monographie en 3 vol., Presses de l'IFPO, Beyrouth (Cet ouvrage a obtenu en 2014 le prix Gustave Schlumberger de l’Académie des inscriptions et belles-lettres).