Khirbat al-Dusaq, une étape sur la route Damas-La Mecque
Le pèlerinage annuel vers La Mecque était crucial pour la vie religieuse, politique et économique du Proche-Orient médiéval. La route Damas-La Mecque, longue de 1700 km, était dotée de stations souvent aménagées par le pouvoir, permettant à la caravane de s’arrêter pour permettre aux pèlerins de se reposer et se ravitailler. Le site connu aujourd’hui sous le nom de Khirbat al-Dusaq, près de Shawbak, dans le Sud de la Jordanie, était l’un de ces équipements, fondé par un sultan de Damas en 1223. Il était destiné à accueillir des voyageurs de haut rang.

Le site a été redécouvert en 1864, mais les premières fouilles n’y ont été entreprises qu’en 2009, dans le but de confirmer la présence d’un bain sur le site. Le complexe architectural comprend en effet un hammam luxueux au sommet d’une colline, dans une région aujourd’hui semi-aride.
Le site de Khirbat al-Dusaq se compose de trois bâtiments visibles entourés d’une enceinte arasée : un espace de réception ouvert sur un profond bassin (A), un fortin permettant de surveiller les environs sur plusieurs kilomètres (B) et un hammam doté de tout le confort (C). Ce bain est un modèle réduit de ceux de Damas, bâtis aux XIIe-XIIIe siècles et dont certains sont encore en activité aujourd’hui.
Parcours du baigneur
Le bain s’organise en une succession de pièces aux atmosphères et aux fonctions différentes, couvertes de coupoles ajourées. Le baigneur pénétrait dans le bâtiment par un escalier (n°1) et parvenait dans une pièce (n°2) de plan carré (mashlah), dotée d’une banquette en « U » entourant une fontaine quadrangulaire. Il ôtait ses vêtements et s’enroulait dans une pièce d’étoffe, la futa. Il pénétrait ensuite dans une seconde pièce (n°3), le wastani, dotée de robinet d’eau chaude et froide logé dans le mur. Dans cette pièce, il se lavait, se faisait masser ou épiler avant de pénétrer dans le dernier espace (n°4), le juwwani, chauffé par le sol par un système d’hypocauste (n°5), dans laquelle régnait une épaisse vapeur générée par l’écoulement sur le dallage de marbre d’une eau bouillante provenant d’une cuve (n°6) placée en surplomb d’une fournaise (n°7). Une fois ses ablutions achevées, le baigneur regagnait la première pièce pour s’y reposer et s’y restaurer.
Commanditaire
Ce bain, d’une capacité limitée à une dizaine d’individus, s’adressait aux pèlerins et aux voyageurs de marque ayant emprunté la route du pèlerinage, reliant Damas à La Mecque. Il avait été fondé par le sultan ayyoubide de Damas al-Muʿazzam ‘Isa en 1223, comme l’atteste l’inscription mise au jour sur le site. Ce souverain était particulièrement soucieux du confort des pèlerins et des conditions de voyage sur cet axe. Il cherchait de plus à mettre en valeur la région de Shawbak de laquelle son oncle, Saladin, avait chassé les croisés en 1189.
Devenir
Le site perdit sa vocation quand la caravane du pèlerinage adopta un itinéraire différent. Il retrouva tout son intérêt, de par sa position stratégique, lors de la Révolte Arabe en 1916, quand il fut occupé par les troupes arabes et turques surveillant la voie ferrée située en contrebas de la colline.
En vue de sa préservation, le site Khirbat al-Dusaq fait depuis 2018 l’objet d’un projet de consolidation, mettant en œuvre les techniques traditionnelles, conduit grâce à l’intervention d’un spécialiste, Florent Perier, qui forme des ouvriers jordaniens aux techniques de taille de pierre.
Projet en cours
Le projet d’étude historique et archéologique comprend actuellement une partie consacrée à la fouille archéologique qui se concentre désormais sur les parties résidentielles et sur les structures liées à l’adduction d’eau. Une autre partie du projet est consacrée à l’archéologie du paysage, cherchant à mettre en lumière l’environnement du site, ses ressources et les routes qui y menaient. Elle donne lieu à des prospections archéologiques et géomorphologiques.
L’étude historique et archéologique de ce complexe médiéval fut co-dirigée de 2015 à 2018 par Elodie Vigouroux et René Elter (Université Lumière Lyon 2), puis dirigée par Elodie Vigouroux. Elle est soutenue par le Department of Antiquities of Jordan et l’Institut français du Proche-Orient. Avant 2018, ce projet était financé par le CNRS et par l’Ambassade de France en Jordanie, et ponctuellement par l’Agence Universitaire de la Francophonie (2018) et la fondation suisse Max van Berchem (2016). Depuis 2018, ce projet reçoit le soutien de la commission consultative des fouilles du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Depuis 2022, il s’inscrit au sein du programme HARMHAJJ (Histoire et archéologie de la route médiévale du hajj) développé à l’université Lumière-Lyon 2 et au Ciham (UMR 5648) dont les travaux sont financés par l’Agence nationale de la recherche et la fondation suisse Max van Berchem (2024, 2025).
Liens utiles
En savoir plus
- Le complexe médiéval de Khirbat al-Dūsaq (Shawbak). Résultats de la première campagne (2009) (É. Vigouroux, R. Elter, J.-P. Pascual et C. March)
- The Medieval Ḥammām of Khirbat ad-Dawsaq: An Archaeological and Historical Investigation (É. Vigouroux, R. Elter)
- Les inscriptions ayyoubides de Khirbat al‑Dūsaq : histoire d’un puzzle épigraphique (F. Imbert, É. Vigouroux)
- Enigmatic Bones: A Few Archaeological, Bioanthropological, and Historical Considerations Regarding an Atypical Deposit of Skeletonized Human Remains Unearthed in Khirbat al-Dusaq (Southern Jordan) (T. Hofstetter, É. Vigouroux et R. Elter)