Jibal al-Khashabiyeh
Dans le secteur désertique de Khashabiyeh, la Mission Archéologique du Sud-Est Jordanien (MASEJ) révèle une trajectoire de néolithisation insoupçonnée. Hors des foyers agricoles du couloir levantin et du « Croissant fertile », les Ghassaniens pratiquent la chasse intensive de la gazelle à l’aide de pièges de chasse appelés « Desert kites ».
Depuis 2013, les recherches menées à Jibal al-Khashabiyeh ont dévoilé un complexe exceptionnel : des pièges de chasse monumentaux datés de 7 000 av. J.‑C. et les campements des chasseurs qui les utilisaient. L’habitat de populations associées aux kites n’avait jusqu’ici jamais pu être identifié ailleurs au Proche-Orient. Des structures rituelles uniques, comprenant de spectaculaires stèles anthropomorphes, témoignent de l’importance de la chasse et de l’utilisation des kites dans les pratiques rituelles et la spiritualité de ces populations néolithiques.
Des stratégies de chasses collectives au Néolithique
La Mission Archéologique du Sud-Est Jordanien (MASEJ) explore depuis plus de dix ans les régions désertiques situées à l’est du bassin d’al-Jafr, dans un secteur où des vestiges spectaculaires de la Préhistoire récente ont été identifiés. Elle s’attache à comprendre le développement de l’occupation humaine, et les trajectoires de néolithisation dans ces régions actuellement désertique du Proche-Orient, hors du traditionnel « Croissant fertile ». Dès 2013, les travaux se sont concentrés sur les desert kites, immenses pièges de chasse formés de longs murs convergeant vers un enclos. Les fouilles ont révélé que ces structures, parfois alignées en chaînes sur plusieurs kilomètres, remontent au Néolithique précéramique B récent, autour de 7 000 av. J.‑C. Il s’agit des plus anciens kites actuellement connus, témoignant de stratégies collectives de chasse à grande échelle bien antérieures à ce que les chercheurs imaginaient.
Des communautés de chasseurs spécialisés
La deuxième étape des recherches a conduit à l’identification de plusieurs établissements d’habitat directement liés à l’usage des kites. Ces sites d’occupation, semi-enterrés et organisés autour de petites unités architecturales, ont livré un mobilier abondant — notamment une industrie lithique caractéristique et de très grandes quantités d’ossements de gazelles — qui témoigne d’activités de boucherie spécialisées. L’ensemble de ces données a permis de définir un nouveau faciès chrono-culturel inédit, dit « Ghassanien », associé à des groupes de chasseurs spécialisés. Contrairement aux communautés néolithiques villageoises du « Croissant fertile », ces populations développent une économie fondée sur la chasse collective intensive, vraisemblablement intégrée dans des réseaux d’échanges régionaux.
Des structures rituelles uniques
Les campagnes les plus récentes ont révélé un aspect spectaculaire de cette culture. En 2021 puis en 2023, deux complexes rituels remarquablement préservés ont été mis au jour au centre des campements. Ils associent des stèles anthropomorphes dressées, des dépôts soigneusement organisés de fossiles marins et de pierres naturelles, des figurines animales et une pierre d’autel. L’ensemble est disposé sous la forme d’un modèle réduit de kite, soulignant le rôle central de la chasse dans la sphère symbolique de ces communautés. Ces installations, uniques pour le Néolithique proche-oriental, témoignent de formes d’expression artistique et rituelle propres à ces populations de chasseurs spécialisés. Elles mettent en lumière l’importance de ces chasses de masse et l’usage des kites dans le symbolisme et la culture spirituelle des Ghassaniens.
Restauration et valorisation des découvertes archéologiques
Les découvertes dans le secteur de Khashabiyeh ont conduit la mission à engager un ambitieux programme de valorisation, soutenu par le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères. Celui-ci comprend la restauration d’un ensemble exceptionnel d’objets, menée avec l’Institut national du Patrimoine et le Centre Régional de Conservation et de Restauration de Jérash, la documentation numérique du mobilier grâce à la modélisation 3D, ainsi qu’une étude de faisabilité muséographique destinée à envisager la présentation de ces vestiges au public. Ce projet associe étroitement institutions françaises et jordaniennes et contribue à renforcer les compétences locales dans les domaines de la conservation, de la recherche et de la médiation. Ensemble, ces actions entendent inscrire durablement les découvertes de la MASEJ dans le paysage patrimonial jordanien et international.
Dans son ensemble cette coopération franco-jordanienne est soutenue par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, l’Ambassade de France en Jordanie, le CNRS, l’Ifpo, et les universités Lumière Lyon 2 et al Hussein Bin Talal.
Liens utiles
- Université Lumière Lyon 2, UFR Temps et Territoires
- Laboratoire Archéorient (UMR 5133)
- Université al-Hussein Bin Talal
- Institut français du Proche-Orient
En savoir plus
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