Édifices chrétiens de la plaine de Ninive
La tradition fait remonter la pénétration du christianisme dans la plaine de Ninive et notamment dans la cité de Bakhdida (Qaraqosh) dès la fin du IVe siècle ou au début du Ve siècle. Ancien siège épiscopal syriaque-orthodoxe, c’est vers la fin du XVIIIe siècle que le village devint catholique.
Au cœur de la plaine des Syriaques, à 30 km au sud-est de Mossoul et 80 km à l’ouest d’Erbil, Bakhdida est la plus grande ville chrétienne de la plaine de Ninive. 40 000 à 50 000 personnes y vivaient avant l’offensive de Daesh. Toutes les églises y ont été profanées, souillées, saccagées, voire incendiées, tout au long des 26 mois que dura l’occupation de la ville, d’août 2014 à octobre 2016. Depuis la libération, Bakhdida incarne un possible renouveau syriaque dans la plaine de Ninive et la Mésopotamie.
Rebâtir dans la plaine de ninive, sur des sables mouvants
Depuis l’exode des Chrétiens de Mossoul, la plaine de Ninive est devenue un des derniers sanctuaires chrétiens en Mésopotamie. Un sanctuaire humain, spirituel et bien sûr patrimonial. Depuis avril 2017, les Chrétiens reviennent progressivement dans les villes et villages de la plaine de Ninive. À Bakhdida (Qaraqosh) ce renouveau est impressionnant alors que l’avenir demeure incertain. Des organisations et institutions internationales soutiennent ce retour. Elles participent au développement économique et social et simultanément et interviennent sur le patrimoine (Œuvre d’Orient, Fraternité en Irak, Solidarité Orient, Fondation Aliph, Fondation Saint-Irénée, Mesopotamia, Fondation Mérieux,...). Cette simultanéité est capitale. Il n’y a de patrimoine sans communauté. Il n’y a pas de communauté sans patrimoine.
La reconstruction du mausolée de Mar Behnam qui avait été dynamité par Daesh est à cet égard remarquable. L’architecte français Guillaume de Beaurepaire, sollicité par l’association Fraternité en Irak, a dirigé ce chantier patrimonial avec Abdel Salam Alkhodedy, archéologue irakien de Bakhdida.
L’église Al-Tāhirā de Bakhdida (Qaraqosh)
L’église Al-Tāhirā (La Toute Pure, la Vierge Marie) est l’édifice chrétien le plus emblématique de Bakhdida, avec ses deux églises, « l’ancienne » que l’on pense être du XIIIe siècle, et la « nouvelle », construite dans la première moitié du XXe siècle. Ses proportions sont impressionnantes. Longue de 54 mètres et large de 24, la « nouvelle » Al-Tāhirā est la plus grande église syriaque‑catholique du Moyen-Orient. Elle fait la fierté des gens de Bakhdida, non seulement par sa stature, mais aussi par la mobilisation de tous les habitants au cours des 16 années que dura sa construction entre 1932 et 1948. L’intérieur de l’édifice était d’une éclatante blancheur avant que les murs et la voûte ne soient totalement noircis par la suie de l’incendie criminel provoqué par les profanateurs islamistes. Daesh utilisa également la cour de l’église comme centre d’instruction et de maniement des armes. Depuis la libération de la ville en octobre 2016, l’église Al-Tāhirā, en cours de restauration, est redevenue un très haut lieu spirituel et communautaire.
Le couvent de Mar Behnām et Sārah de Khidhr Ilyas
Le couvent de Mar Behnām et Sārah se trouve relativement isolé, à 35 km au sud-est de Mossoul, dans le village de Khidhr Ilyas.
Histoire d’une tradition : La justification de sa fondation est toute entière contenue dans le récit du martyre de Behnām et de sa soeur Sārah, dans la deuxième moitié du IVe siècle (372). La fosse où ils vécurent le martyre constitue à cet égard le centre de gravité d’une intense dévotion populaire.
La tradition de Mar Behnām repose sur une source hagiographique probablement composée au XIIe siècle; les Actes de Mar Behnām. Sa substance prodigieuse rapporte que Sārah, la soeur de Behnām, fut guérie de la lèpre par le moine Mar Matta que le prince lui présenta. La scène se déroula au lieu-dit d’une source miraculeuse, qui outre la guérison de la chair d’une princesse malade, fut aussi la source d’une guérison spirituelle, c’est-à-dire la conversion au christianisme et le baptême des enfants du roi d'Assur, Sennachérib. Ce dernier, rendu fou de rage par cette conversion, se résolut à liquider ses propres enfants, qui devinrent martyrs de la foi, ainsi que les 40 compagnons qui composaient la suite princière de Behnām et Sārah. La conversion du roi Sennachérib n’aurait pas eu lieu sans l’intervention de la reine Shirin, qui, « pour pouvoir pleurer plus à son aise au tombeau de ses enfants fit creuser un tunnel, de 7 km de long, entre son palais et le martyrion élevé sur la " fosse " du martyre. Enfin, elle convertit son mari, exorcisé par Mār Matta, afin que tous soient réunis dans la gloire. » Aujourd’hui encore « tout le monde, tant les Chrétiens qui vivent dans la mouvance du monastère, que les Arabes des environs de Nimrūd, croit dur comme fer à l’existence de ce tunnel, et la trouvaille du moindre trou est saluée comme la découverte de l’entrée du tunnel (...) » (source Jean-Maurice Fiey). Ainsi fut instituée et transmise, de siècle en siècle et jusqu’à nos jours, la fabuleuse épopée de la conversion de « l’Assyrie » au christianisme et l’édification des célèbres monastères qui s’ensuivit.
Plus qu’un couvent, le sanctuaire de Mar Behnām fut plus justement un martyrion, doublé d’une hôtellerie pour les pèlerins de passage. Dans la tradition locale, la tombe de Mar Behnām est également visitée par nombre de musulmans et de Yézidis, et particulièrement les femmes, qui viennent demander l’intercession du saint pour tout ce qui relève de l’abondance et de la fécondité (récolte, bétail, enfants).
Un patrimoine exceptionnel dévasté par Daesh. Magnifié pour la richesse de sa décoration, le couvent de Mar Behnām porte encore de nos jours les traces de la grande rénovation et de l’embellissement de 1164. Sur les murs, les portes, les chambranles et les linteaux sont inscrits les noms des donateurs et des artistes de l’époque. La « pièce maîtresse » emblématique du couvent est le grand haut-relief finement ciselé représentant Mar Behnām à cheval terrassant le diable. Cette oeuvre en stuc, incrustée dans le mur, probablement sculptée au XIIIe siècle (source Amir Harrak), a été complètement ravagée par Daesh, tout comme le bas-relief de Mart Sārah sur le pilier qui lui fait face.
Plus grave encore fut la destruction à l’explosif, en mars 2015, du mausolée (martyrion) de Mar Behnām, dont le tombeau, orné d'inscriptions en syriaque, en arabe et en ouïgour, datées de l’an 1300, pourrait avoir été construit dès le VIe siècle (source amir Harrak).
Reconstruction du mausolée (martyrion) de Mar Behnām par l’association Fraternité en Irak et le cofinancement de la Fondation ALIPH.
Explications de l’architecte et maître d'œuvre de cette restauration, Guillaume de Beaurepaire : « L’état dans lequel le mausolée de Mar Behnām a été retrouvé fin 2016 au départ des troupes de l’État Islamique était à la fois terrible et rassurant. Alors que tout semblait détruit et irrécupérable, comme la première vue le laissait penser ainsi que les images de l’explosion qui avaient fuité dès mars 2015, le dégagement des gravats donna à voir que la plupart des éléments patrimoniaux importants pouvaient être sauvés.
On peut diviser le complexe en quatre éléments : le bâtiment d’entrée, qui était complètement rasé jusqu’aux fondations, les tunnels d’accès en partie détruits et trop fragilisés pour pouvoir être sauvés, la citerne ou martyrium, dont la coupole s’était effondrée, ainsi que l’arche ouvrant sur les tunnels ; et enfin une petite pièce voûtée donnant sur le martyrium, en partie écroulée mais dont l’essentiel pouvait être sauvé.
Une vingtaine de bidons d’explosifs n’avaient pas fonctionné, laissant sauve une bonne partie des murs de la citerne.
Après une démolition des parties dangereuses, en particulier les tunnels, les premières briques ont été posées à la mi-janvier 2018. Les matériaux utilisés ont été les mêmes que dans le bâtiment ancien : briques récupérées dans des maisons en ruines de Qaraqosh [Bakhdida], et chaux aérienne. La forme du dôme prévue n’est pas la même que celle visible en 2014. Le choix s’est fait sur un retour à la forme constatée dans les années 1920.
Un grand soin a également été apporté à la conservation et au repositionnement des éléments sculptés, refixés dans les différentes niches de la citerne. Ce travail a été accompli par une équipe de restaurateurs français. »
Les travaux de reconstruction du mausolée de Mar Behnām ont été achevés à l’été 2019.
Le monastère de Rabban Hormizd d’Alqosh
Fondé au VIIe siècle, le monastère de Rabban Hormizd est l’un des plus anciens d’Irak. Moine nestorien et thaumaturge, Rabban Hormizd recevait, dans son ermitage, visiteurs et pèlerins en quête de guérison. Il décéda à 90 ans, 25 ans après la fondation de son couvent.
Accroché à flanc de falaise à 815 mètres d’altitude, à 2 km au nord-est du centre-ville d’Alqosh, le monastère jouit d’une position géographique remarquable, à 10 km du Tigre sur sa rive orientale. Au sud, il regarde l’horizon désertique de Ninive. Mossoul n’est qu’à 40 km à vol d’oiseau. Au nord, il est adossé au massif montagneux qui borde l’antique Assyrie et longe aujourd’hui les frontières irakienne, turque, et iranienne. Le monastère semble être une perle posée dans un écrin. La montagne à laquelle il est adossé est couverte de cellules taillées dans le roc. Certaines sont visiblement très difficiles d’accès, d’autres ont été intégrées progressivement au bâtiment monastique. Ce réseau de cellules troglodytiques révèle en ce lieu, comme dans nombre de couvents orientaux, l’importance de l’ascétisme, mais aussi et sans doute les moyens mis en oeuvre pour se protéger.
Au fil de l’histoire, ce monastère devint le plus important siège patriarcal de l’Église de l’Orient avant de devenir celui de l’Église chaldéenne. Le 28 avril 1553, le pape Jules III consacra Yohannan Soulaqa d’Beth Ballo, supérieur du monastère de Rabban Hormizd, premier patriarche de l’Église chaldéenne.