Bam
Localisée dans les marges méridionales du Désert du Lut, l’un des points les plus chauds du globe, l’oasis de Bam est célèbre pour sa ville médiévale, l’Arg-e Bam, au carrefour des routes marchandes. Moins bien connu est le peuplement ancien de cette région, aux vestiges pourtant abondants, en particulier ses premiers villages agricoles dont les plus anciens remontent à il y a plus de 7000 ans.
La Mission Archéologique Franco-Iranienne en Iran du Sud-Est (MAFISE) étudie le peuplement de cette région du Néolithique à l’âge du Bronze, une période allant de l’apparition des villages agricoles à celle des villes. Elle y réalise des prospections et des fouilles. Cette recherche s’inscrit dans la continuité des travaux du regretté Chahryar Adle, lequel a mis en place le premier programme archéologique dans ce secteur en 2003.
Une approche pluridisciplinaire et multiscalaire
L’approche de la MAFISE est pluridisciplinaire. Combinant notamment méthodes et données archéologiques, bioarchéologiques, géomorphologiques et paléoclimatiques, elle s’attache à analyser et comprendre les modalités de coévolution du peuplement et du climat anciens de la région de Bam-Narmâshir. Au-delà de l’étude détaillée de sites archéologiques et du peuplement régional de ce secteur, elle cherche aussi à définir la place et les relations des communautés anciennes de cette région dans le concert des cultures archéologiques identifiées ailleurs au Moyen Orient, en Asie centrale et en Asie du Sud, et en particulier celles mises au jour sur le Plateau iranien et au Pakistan. La MAFISE contribue en cela aussi à répondre aux questions liées aux grandes dynamiques culturelles et migratoires observées dans ces territoires entre le Néolithique et l’âge du Bronze.
Climat ancien, climat récent
L’oasis de Bam est caractérisée par un climat désertique. Les précipitations y sont extrêmement rares, ses températures sont élevées et elle est en outre balayée par des vents violents. Pour y vivre et y faire pousser notamment leurs célèbres dattes, les communautés de cette région s’appuient depuis le Ier millénaire av. J.-C. sur son réseau d’irrigation souterrain, les qanats. Son climat n’a toutefois pas toujours été le même qu’aujourd’hui. Ainsi, il y a environ 7000 ans, il était apparemment plus humide. Les précipitations alors plus abondantes y ont facilité l’implantation des premiers villages agricoles. C’est en effet ce que les données paléoclimatiques et bioarchéologiques collectées dans le Sud-Est de l’Iran et au-delà au Moyen Orient semblent indiquer, ainsi que les données archéologiques de la région de Bam-Narmâshir, lesquelles attestent d’un fort peuplement à cette période et jusqu’au IVe millénaire av. J.-C.
Les prospections archéologiques
Les prospections archéologiques réalisées dans la région de Bam-Narmâshir, notamment à l’ouest jusqu’à Dârzin et à l’est dans le Dârestan, ont en effet mis en évidence de nombreux sites néolithiques et chalcolithiques datés d’entre la fin du VIe et le IVe millénaires av. J.-C. Les premiers comprennent des sites en monticule (tell ou tepe), ainsi que des sites plats, constitués de pierres et d’objets archéologiques épandus sur la surface actuelle de la région. Une partie de ces sites est sans poterie, tandis qu’une autre partie a livré une poterie sans décor et dégraissée à la paille. Ce type de poterie est caractéristique du Néolithique et du Chalcolithique ancien dans le Sud-Est de l’Iran, ainsi que du Néolithique au Pakistan. Les sites chalcolithiques, aux Ve et IVe millénaires av. J.-C., sont le plus souvent caractérisés ensuite par des quantités beaucoup plus importantes de poterie. Celle-ci est aussi plus fine, dorénavant peinte et mieux cuite. Des fours de potier ont d’ailleurs été identifiés sur plusieurs sites de cette période. Au IVe millénaire av. J.-C. apparaît un nouveau style, lequel inclut des vases bichromes, peints en rouge et noir. C’est de également de cette période que sont datés les premiers sceaux métalliques, en cuivre, de la région. Au-delà de Bam-Narmâshir, le mobilier de prospection échantillonné en surface des sites archéologiques de cette région montre des similitudes avec les assemblages d’autres secteurs du Sud-Est de l’Iran au Néolithique et au Chalcolithique, en tout cas avec ceux d’autres sites du Kermân pour ce qui concerne le Néolithique et avec ceux de sites du Kermân et du Balochistan, voire même du Sud-Ouest du Pakistan, en ce qui concerne le Chalcolithique.
La fouille du site néolithique de Tell-e Atashi
Tell-e Atashi, dans le Dârestan, est un site néolithique en monticule daté d’entre la fin du VIe et le milieu du Ve millénaires av. J.-C. C’est le plus grand des sites néolithiques identifiés à ce jour dans la région de Bam-Narmâshir. La MAFISE fouille ce site depuis 2017 avec, pour objectif, de caractériser pour la première fois précisément les modes de vie des toutes premières communautés agricoles des marges méridionales du Désert du Lut. Ces fouilles ont mis au jour des habitations en brique crue extrêmement bien conservées, comprenant notamment des pièces avec foyer et cheminée d’angle. Les communautés installées sur ce site étaient des agriculteurs. Elles produisaient un outillage lithique, des meules, de la vannerie, des objets de parure en pierre et surtout des objets en argile crue, lesquels incluent des jetons, des cônes, des vaisselles miniatures et des figurines. Tell-e Atashi, comme beaucoup d’autres sites néolithiques du Dârestan, n’a livré aucune poterie. Ce site diffère en cela des autres établissements du Sud de l’Iran datés des VIe et Ve millénaires av. J.-C., tous localisés à l’ouest, comme Tepe Yahya situé à environ 200 km. Ce trait est en effet relativement inattendu dans la mesure où l’artisanat de la poterie est apparu et s’est répandu rapidement en Iran entre le VIIe et le Ve millénaires av. J.-C. Il rappelle en revanche le site de Mehrgarh au Pakistan, situé à environ 870 km à l’est de Tell-e Atashi, où des niveaux néolithiques sans poterie ont également été fouillés. Certaines des figurines en argile crue trouvées à Tell-e Atashi rappellent d’ailleurs celles de Mehrgarh.
C’est bien là aussi l’un des intérêts majeurs d’étudier les vestiges archéologiques du Sud du Désert du Lut. En effet, étant localisées à mi-chemin du Levant et de l’Inde, les recherches de la MAFISE dans ce secteur contribuent à l’analyse de phénomènes observés sur de très longues distances. En ce sens, pour ce qui concerne le Néolithique, les travaux archéologiques conduits à Tell-e Atashi et dans le Dârestan semblent déjà avoir mis en évidence un chaînon jusqu’à présent manquant entre les communautés néolithiques du Plateau iranien et celles des marges nord-occidentales de l’Asie du Sud, contribuant en cela à une meilleure compréhension du développement de l’agriculture depuis le Croissant fertile, où elle est apparue il y a environ 11500 ans, jusqu’au sous-continent indien.
Projet soutenu par le ministère de l'Europe et des Affaires Étrangères sur l’avis de la Commission des fouilles.
Liens utiles
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