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- Le Tombeau de Nagada
- Le tombeau de Nagada
En ce mois de mars 1897, Jacques de Morgan poursuit inlassablement ses recherches en Haute-Égypte : pour cette nouvelle campagne, il a invité le professeur Wiedermann, de l’université de Bonn, à prendre part aux fouilles de Nagada. Alors que les ouvriers achèvent l’exploration de la nécropole prédynastique, il découvre, sur un tell voisin, les vestiges d’un édifice en briques crues qui, par la technique de sa construction, semble remonter à la période préhistorique.
Un complexe funéraire monumental
D’orientation nord-sud, le monument mesure 54 m de longueur sur 27 m de largeur. Partiellement détruit par des sépultures postérieures, il a été incendié dès la très haute Antiquité : il n’en subsiste que les infrastructures qui révèlent toutefois au fouilleur une organisation complexe. Son plan centré est articulé autour d’une chambre principale, de quatre salles latérales placées en enfilade et de seize compartiments annexes ne présentant aucune communication entre eux mais qui constituaient à l’ori-gine, selon les interprétations de Morgan, un seul et même couloir périphérique. L’architecture extérieure est par ailleurs rythmée d’un décor de niches et de redans, caractéristique des grands mastabas de l’époque thinite (3300-2700 av. n.-è.).
La fouille dure quinze jours, car le travail ne [peut] être mené rapidement. Le mobilier de chaque chambre, fragilisé par son exposition au feu, est collecté avec soin et les sédiments méthodiquement tamisés. En dépit de cette attention, les magasins formant le groupe extérieur ne livrent aucun objet, à l’exception de l’un d’entre eux, dans le secteur oriental. Ces espaces renfermaient sans doute des offrandes périssables qui furent presque entièrement consumées dans l’incendie, pense Morgan. Le viatique funéraire contenu dans les cinq chambres centrales est au contraire extrêmement riche : il s'agit principalement de vases en terre cuite et de vaisselles en pierre, mais également d’objets plus exceptionnels en ivoire, en bois, en métal ou en silex.
Neith-Hotep, la reine inconnue
Mais une découverte de taille attend Morgan. Sur des étiquettes en ivoire ou des bouchons de jarres en argile, plusieurs inscriptions produisent une série de mentions relatives aux souverains de la Ière Dynastie ou à leur parentèle : Narmer, Aha, Neith-Hotep, Rechit, Het et Meri-Iti. À l’issue de la fouille, le savant propose d’associer le tombeau au Prince Rechit, personnalité la plus référencée dans les sources épigraphiques, avant de rattacher le monument au premier souverain connu, Narmer, dont Rechit n’aurait constitué que l’une des titulatures secondaires.
Dès 1901 cependant, Petrie attribue cette structure funéraire à l’énigmatique reine Neith-Hotep, suivi en cela par de nombreux égyptologues. Pourtant, les origines et la position de son occupante restent longtemps mystérieuses : la présence du serekh du roi Aha indique que la tombe n’est pas antérieure à son règne. Or, sa sépulture été mise au jour par Émile Amélineau à Oumm el-Qaab, près d’Abydos, à proximité de celle du fondateur de la dynastie, Narmer. Dans ce contexte, seuls Rechit et Neith-Hotep, dont les noms sont retranscrits 15 et 10 fois, peuvent être légitimement considérés comme des candidats sérieux au titre de détenteur du monument. Mais le nom de Rechit, fils du roi Narmer et frère de Aha, se retrouve fréquemment sur des scellements de jarres et des éléments de vaisselle ; autant d’objets laissés en offrandes dont on connaît par-là le dédicataire, alors même que le nom de Neith-Hotep est préférentiellement porté sur des étiquettes en ivoire. Dans ce contexte, il apparaît hautement probable que la personnalité inhumée dans la tombe royale de Nagada était la reine de la Ière Dynastie, sans doute originaire de la région.
Reste à préciser sa place dans la généalogie royale et le pouvoir qu’elle a réellement détenu. Longtemps présentée comme l’épouse de Narmer et la mère de Aha, elle est désormais considérée comme la demi-sœur et, peut-être, l’épouse de ce dernier. La découverte, en 2012, d’une inscription gravée à la fin du IVe millénaire sur un bloc du Wadi Ameyra, dans le désert du Sinaï, a par ailleurs permis de mettre en lumière le statut particulier de la souveraine qui fut sans doute régente du royaume unifié à la mort de Aha au côté de son successeur, Djer.