Trois récits de la Vie de Syméon

Thédoret de Cyr, originaire d’Antioche, évêque de Cyrrhus de 423 à 458, dresse dans son Histoire Religieuse, écrite en 444, le portrait des ascètes passés et actuels de Syrie. Il consacre le chapitre 26 à Syméon auquel il rendit plusieurs visites. Il prend soin de montrer l’importance du clergé chargé de veiller à l’absence d’excès dans la vie érémitique (rôle des périodeutes et des chorévêques) et embellit peut-être la qualité de ses rapports avec le stylite et l’importance que lui reconnaît ce dernier, qui lui demande par exemple de bénir les Saracènes rassemblés autour de la colonne. Sévère d’Antioche, un siècle plus tard, parlera d’opposition entre les deux personnages. Le deuxième récit est une Vie rédigée en grec par un certain Antoine, qui se présente comme le disciple proche de Syméon, à une date non précisée mais sans doute ancienne. Le texte est court et semble refléter les milieux monastiques d’Antioche chargés de veiller sur la relique du saint. Enfin, une longue Vie syriaque a été trouvée en plusieurs recensions dont la plus ancienne (un manuscrit du Vatican) date de 473 (24 ans après la mort de Syméon) et paraît issue du milieu monastique entourant le saint, avec accès à des témoins oculaires et aux archives.

La famille

Ces trois textes donnent un aperçu proche de l’enfance du saint né à une date non précisée à Sis, près de Nicopolis en Cilicie, sur la frontière avec la province d’Euphratène, en insistant sur son enfance de berger et sur son endurance. La Vie grecque fait vivre ses parents, du moins sa mère, plus longtemps que ne le fait la vie syriaque : sa mère lui rend visite alors qu’il est déjà sur sa colonne, meurt en enjambant la clôture alors qu’il refusait de lui ouvrir la porte, comme à toute autre femme ou animal de sexe féminin ; elle reçoit une sépulture près de la colonne. La vie syriaque fait mourir ses parents avant même que le saint ne fréquente l’église et mentionne en outre l’existence d’un frère, Shemsi, qui entre dans les ordres comme lui dans le monastère d’Eusebonas à Teleda et y accomplit sa vie de moine, mourant cinq ans après les débuts du saint comme stylite.

Sa vie au monastère

En entrant dans ce monastère, explicitement nommé chez Théodoret et dans la Vie Syriaque, anonyme dans la Vie Grecque, le saint n’a qu’une idée encore vague de sa quête de Dieu. L’étape de Teleda va lui fournir une culture monastique, mais va surtout le convaincre qu’il est fait pour être un ascète solitaire : les exercices qu’il s’inflige (corde enroulée autour du corps qui entame sa chair et provoque une putréfaction malodorante), ses privations (repas une fois par semaine, Carême dans une grotte infestée de bêtes malfaisantes) ne peuvent être pratiqués par les autres moines qui le rejettent. Il quitte le monastère, regretté par l’higoumène, en 410 (selon le manuscrit B de la Vie Syriaque), pour rejoindre Tell Neshe (Telanissos en grec, l’actuel Deir Sem‘an) où il passe le reste de sa vie.

L'anachorète

Il s’établit d’abord dans le village même (étape omise dans la Vie grecque), dans une petite communauté, dans une pièce sous comble, où il resta trois ans selon Théodoret, au moins un an selon la Vie Syriaque. Il s’installe ensuite sur la colline dominant le village, à l’emplacement du site actuel de Qal‘at Sem‘an. Il commence par vivre dans un enclos bâti en pierres sèches où il se tient accroupi ou debout, le pied droit attaché à une chaîne fixée à un rocher. D’après Théodoret, il accepte d’enlever cette entrave sur les instances du chorévêque Mélétios. Ses terribles mortifications, sa capacité de faire abstinence totale de nourriture et de boisson pendant le Carême, ses premiers miracles attirent les fidèles d’horizons de plus en plus lointains. Il a alors l’idée de s’installer sur un pilier de quelques coudées et, très vite, il en souhaite un plus grand. La Vie Syriaque raconte qu’il souhaitait un pilier de 30 m mais qu’une apparition lui en imposa un de 40 coudées (soit une hauteur de 16,80 m). C’est également la hauteur que donne la Vie Grecque. L’envoyé de Dieu lui indique aussi qu’elle doit être composée de trois éléments, en hommage à la Trinité. Sans doute l’idée de monter sur une colonne a-t-elle pu dériver de la perception de la colonne comme symbole du rapprochement vers Dieu et du rôle d’intermédiaire que pouvait acquérir celui qui s’y installait.

La mort du saint

La mort de saint Syméon fait l’objet de récits concordants pour l’essentiel et détaillés dans les deux Vies. Elle est discrète, annoncée par une odeur suave. Sa dépouille est réclamée par les moines de Deir Sem‘an, mais aussi par les bédouins nomades. Les habitants d’Antioche la revendiquent pour eux et refusent même de céder la relique à l’empereur Léon, car, disent-ils, ils n’ont plus de remparts, sans doute endommagés par le tremblement de terre de 458. Le Maître des Milices de l’Orient, le goth Ardabur, dirige en personne l’importante troupe (600 soldats selon la Vie Grecque) chargée de veiller à la sécurité du transport. Portée par les hommes jusqu’à Shih, sans doute le lieu-dit actuel de Shih ed Deir, sur les contreforts du Djebel Sem‘an, dans la plaine d’‘Afrin, elle est à partir de ce village mise sur un chariot et prend la route d’Antioche. En cinq jours, un voyage triomphal mène la dépouille jusqu’à Antioche où, après peut-être une station intermédiaire dans l’église de Kassianos, elle est placée dans la cathédrale bâtie par Constantin, probablement dans un oratoire particulier (Vie Grecque).