Yémen - Depuis 100 000 ans

Yémen, pays de la reine de Saba’

Le passé du Yémen lui vaut bien des appellations : pays de l’encens, de la Reine de Saba’, Arabie heureuse. Loin de l’image d’un pays enclavé au sud de la péninsule Arabique, c’est celle d’un carrefour de peuplement et de civilisations qui se dessine.

Shibam, Hadramawt. Photo aérienne par cerf-volant. 2005 © Thomas Sagory - www.du-ciel.com

Le climat de mousson de la montagne yéménite et de précieuses ressources — encens, myrrhe, café — ont fait du Yémen une terre agricole et l’ont très tôt inscrit sur la carte du commerce caravanier et maritime. Ces richesses ont favorisé l’essor de royaumes antiques et islamiques, à l’architecture sans nulle autre pareille.

Yémen, une terre de contraste

Le Yémen offre un environnement naturel contrasté, aux confins méridionaux de la péninsule Arabique, il se présente comme un havre verdoyant, cerné par des solitudes torrides, de hautes montagnes et des mers difficilement navigables. Bien que situé dans l’une des régions les plus arides du globe, le Yémen bénéficie d’un atout : le climat de mousson qui en arrose la montagne. L’homme s’est approprié ce milieu et en a tiré des ressources minérales et agricoles variées. La maîtrise de l’eau a permis de nourrir une population importante, organisée en tribus sédentaires. Les terrasses agricoles qui dessinent les lignes de contour des plateaux et montagnes yéménites sont le résultat d’un aménagement du paysage long de plusieurs millénaires. Elles préviennent l’érosion des sols et ont offert un espace pour la culture de la vigne, du café et, plus récemment, du qât. Mais les ressources les plus emblématiques demeurent la myrrhe et l'encens, des résines exsudées par des arbres, Commiphora et Boswellia, qui étaient exportées dans le Proche-Orient ancien et en Méditerranée.

Un couloir de peuplement préhistorique

La découverte au Yémen d’outils en pierre taillée proches de ceux connus dans de nombreuses régions du monde au Paléolithique font de cette région un lieu de passage durant la Préhistoire, entre l’Afrique, berceau de l’Homme moderne (Homo sapiens), le Levant et le reste de l’Asie. Cette particularité suscite de nombreux débats.

Le Néolithique est marqué par de profondes mutations : passage de la chasse à l’élevage, de la cueillette à l’agriculture et du nomadisme à la sédentarisation. Alors qu’il débute au Proche-Orient vers 9 000 ans av. J.-C., le début du Néolithique au Yémen est daté vers 7000 ans av. J.-C. et se prolonge jusque 3000 av. J.-C. Le phénomène y est progressif et inachevé puisqu’au Yémen, la domestication animale ne remplace pas totalement la pratique régulière de la chasse. La sédentarisation, l’agriculture, la production céramique n’apparaissent qu’à l’âge du Bronze, vers 3000 av. J.-C.

Royaumes antiques et terre des sultans

Du VIIIe siècle avant J.-C. au VIe siècle de l’ère chrétienne, nous voyons croître puis disparaître des royaumes qui partagent une culture commune : une même écriture, des techniques d’irrigation similaires, des pratiques architecturales et religieuses identiques ; un système politique et social commun. Cet ensemble constitue la civilisation sudarabique. Le plus emblématique de ses royaumes fut celui de Saba’.

Cette civilisation doit son essor à une maîtrise de l’agriculture irriguée et au développement du commerce de résines aromatiques. Elle illustre à quel point l’Arabie préislamique ne fut pas seulement le vaste désert parcouru de nomades.

L’islam s’imposa au Yémen sans rencontrer de grande résistance vers 632 de notre ère. L’ornementation des mosquées n’a rien à envier aux monuments antiques et la tradition millénaire de bâtir des maisons-tours fut entretenue.

Émancipées du contrôle successif des califes de Damas et Bagdad, des dynasties de princes locaux se succédèrent ou rivalisèrent entre elles. La plus emblématique fut celle des sultans rasûlides qui unifièrent une large partie du territoire, développèrent une administration centralisée et firent du Yémen l’un des acteurs majeurs du commerce dans l’océan Indien.

À l’épreuve du désert et de la mer

Le Yémen est géographiquement enclavé. C’est un pays de montagnes et de sable, où la roue est demeurée absente jusqu’au XXe siècle. Le transport des marchandises se fit donc d’abord à dos d’âne puis de dromadaire. Avec la domestication de ce dernier, à la fin du IIe millénaire av. J.-C., la perspective d’échanges caravaniers à longue distance et réguliers devint réalité et des réseaux commerciaux avec la Mésopotamie, le Levant et l’Égypte se tissèrent.

Le pays possède également deux mille kilomètres de côtes, que bordent la mer Rouge et le golfe d’Aden. La maîtrise des courants marins favorisa l’essor de la navigation hauturière au tournant de l’ère chrétienne, plaçant le Yémen au centre des voies de navigation qui liaient l’Inde, le Golfe Persique et la Méditerranée. Au Moyen Âge, Aden se hissa au rang de port le plus important du sud de l’Arabie et devint une plaque tournante des échanges entre mer Rouge et océan Indien.


 

Une culture de l’écrit

De son apparition, vers le VIIIe siècle avant l’ère chrétienne, jusqu’à son déclin, à la fin du VIe siècle de l’ère chrétienne, la civilisation sudarabique fut une civilisation de l’écrit. Plus de 10 000 inscriptions monumentales nous sont parvenues, dont un millier de longs textes significatifs. Des milliers de graffiti et d’inscriptions cursives sur bâtonnets complètent ce corpus de textes.

Appelée sudarabique en raison de son aire de diffusion, cette écriture servait à retranscrire les langues sémitiques parlées dans le sud de la Péninsule au cours de la période antique : sabéen, minéen, qatabânite et hadramawtique.

L’usage de cette écriture décline rapidement dans la seconde moitié du VIe siècle è. chr. Elle ne semble plus employée au moment où l’arabe est introduit dans la région, au début du VIIe siècle.

Les manuscrits yéménites de langue et d’écriture arabe sont conservés en grand nombre, en particulier à Sanaa, d’où proviennent les plus anciens feuillets conservés de Coran, et à Zabîd où l’enseignement donné par des familles de lettrés remonte au XIe siècle et persiste jusqu’aujourd’hui. Les bibliothèques de lettrés abritent des ouvrages religieux mais aussi d’histoire et de biographies, de littérature et de science.

Lien utile :

La redécouverte du passé yéménite

À partir de la fin du XVIIIe siècle, le Yémen entra pleinement dans le jeu des rivalités entre les grandes puissances coloniales. La recherche scientifique fut alors au cœur de cette compétition internationale avec l’organisation de premières expéditions. Après la Première Guerre Mondiale, dans le contexte troublé de conflits persistants, des premières fouilles archéologiques furent entreprises près de Sanaa, à al-Huqqa en 1928, par une équipe allemande. Il faut toutefois attendre les années 1970 pour voir les recherches internationales s’accélérer. Ces recherches furent interrompues en 2010, à la suite d’une menace terroriste croissante puis de l’éclatement de la guerre en 2015.

Le saviez-vous

Alors que le Yémen est fréquemment qualifié de Pays de la reine de Sabaʾ, celle-ci reste inconnue dans la documentation archéologique et épigraphique antique. Aucun des milliers de textes royaux n’a pour auteur une reine. Elle demeure à ce jour un personnage mythique.

Visitez le site : archeologie.culture.gouv.fr/yemen

Ressources en ligne

Ouvrages en accès libre

Émission Carbone 14 / France Culture

Réécoutez l'émission Le Yémen et les royaumes sudarabiques par Jérémie Schiettecatte du 28/05/2016