Un corpus unique au Proche-Orient

Comme pour beaucoup de leurs voisins, les croyances religieuses des anciens ougaritains sont documentées par de nombreuses sources iconographiques et architecturales. Ce qui rend l’étude de la religion du royaume d’Ougarit particulière par rapport à celles des sites voisins, c’est la chance pour l’historien de pouvoir confronter de telles sources « muettes » avec celles « parlantes », c’est-à-dire, de tenir compte de la mise au jour de véritables textes religieux et mythologiques qui véhiculent ainsi la pensée religieuse de cet ancien peuple, exprimée dans leurs propres mots.

En outre, tandis que les érudits et lettrés d’Ougarit utilisaient le babylonien (et le système d’écriture cunéiforme mésopotamien qui le véhiculait) pour bon nombre des usages et besoins de la chancellerie locale (diplomatie internationale, droit, « belles lettres », etc.), pour l’expression de leur pensée religieuse c’était la langue vernaculaire qui était privilégiée – et non seulement la langue mais aussi un « nouveau » système d’écriture alphabétique cunéiforme local, mis au point au milieu du XIIIe siècle av. J.-C. Ainsi, à Ougarit, nous pouvons lire les plus anciennes expressions écrites connues d’une pensée religieuse levantine autochtone, véhiculée au moyen d’un alphabet et rédigée dans une langue ouest-sémitique : cette « mode » finira par l’emporter dans la région, comme en témoignent plus tard des textes religieux « alphabétiques » importants qui seront rédigés en hébreu (l’Ancien Testament), en phénicien (textes cultuels liés à Baʿal le dieu de l’orage ou à la déesse ʿAstarte, entre autres), en araméen (textes religieux juifs et chrétiens…) et en arabe (le Coran).

L’envergure du corpus religieux d’Ougarit est particulièrement riche, car il est constitué non seulement de nombreux textes qui jettent une lumière sur la vie quotidienne des temples (avec les « rituels » qui prescrivent la façon dont devaient se dérouler les rites et les sacrifices pratiqués dans les temples), mais aussi de beaucoup d’exemples de la piété religieuse telle qu’elle s’exprimait à titre privé, à l’échelle familiale, ne correspondant pas toujours aux dogmes des grands temples et des dirigeants du royaume. Enfin en troisième lieu, on doit également mentionner la mainmise de la classe lettrée sur la religion, où des scribes se sont consacrés à mettre par écrit en caractères alphabétiques des mythes, légendes, épopées et autres récits poétiques — souvent fort émouvants — s’attachant à présenter le monde divin à travers un prisme humain, où les dieux se révèlent furieux ou amusés en fonction de leur caractère ou de leurs émotions. Ce sont ces textes qui ont fait la renommée d’Ougarit, et qui attestent de la nature humaine avec ses caprices, sa colère, ses amours, sa loyauté, etc., projetée au niveau des dieux.

Contributeur(s)