Kenya - Il y a 1 000 000 ans

Le sud-ouest du Bassin Turkana, un berceau pour des humanités

L’apparition de notre espèce il y a 200 000 ans en Afrique n’est qu’une des multiples étapes de processus évolutifs longs et complexes qui ont donné naissances à de nombreuses espèces d’hominines. Le bassin Turkana, de par sa position dans le rift est-africain, recèle de très nombreux indices archéologiques et paléontologiques qui illustrent ces étapes évolutives.

Vue des collines surplombant Kanyimangin dans le sud-ouest du bassin Turkana. © CNRS/Aurélien Mounier.

A Kanyimangin, le projet Trans-Evol documente une période clé de notre histoire évolutive : la transition entre le Pléistocène inférieure et moyen entre 1 250 000 et 750 000 ans. Caractérisée par des bouleversements climatiques très important qui impactent l’ensemble des écosystèmes, dont les populations humaines de l’époque, cette période n’a pour l’instant livrée que trois fossiles humains bien conservés. Les fouilles archéologiques menées à Kanyimangin doivent nous permettre d’étoffer cet échantillon afin d’approfondir nos connaissances sur ces lointains cousins d’Homo sapiens.

Le sud-ouest du bassin Turkana

Kanyimangin est situé dans le sud-ouest du Bassin Turkana, et est entouré de plusieurs sites archéologiques emblématiques. À 40 kilomètre au nord, se trouve Lothagam, site connu pour ces occupations humaines datant du début de l’Holocène, dont le célèbre site mégalithique de Lothagam North. À une trentaine de kilomètre au sud-ouest s’étendent les formations géologiques du Pliocène de Kanapoi où les plus anciens fossiles d’australopithèque ont été mis au jour. Enfin, à 15 kilomètres au nord, se situe le site de Nataruk dont les restes humains mutilés témoignent des plus anciens conflits inter-groupes connus dans l’histoire de l’humanité.

Kanyimangin

Le site principal du projet Trans-Evol a été découvert en 2010 par Robert Moru (National Museums of Kenya). Cette découverte n’a pas été suivie de travaux archéologiques immédiats et ce n’est qu’en août 2017 qu’une prospection menée par Marta Mirazón Lahr, Robert Foley, Frances Rivera de l’Université de Cambridge, Justus Erus Edung des National Museums of Kenya, James Lokoruka du Turkana Bains Institute et Aurélien Mounier du CNRS a mis en évidence le potentiel archéologique du site. Depuis, deux courtes campagnes de fouilles ont été menées en 2018 et 2019 sous la direction d’Aurélien Mounier et une campagne de fouille complète est prévue à l’automne 2021. Les campagnes précédentes ont permis la mise au jour de restes de faunes et d’artefacts lithiques dont l’analyse préliminaire indique une ou plusieurs occupations humaines du site. Les caractéristiques de ces découvertes ainsi que les analyses de géochronologie en cours indiquent que ces occupations ont pu avoir lieu entre 1 700 000 et 790 000 ans.

Géochronologie

Du point de vue géochronologique, les prélèvements sédimentaires effectués en 2018 pour analyses magnéto-stratigraphiques (i.e. paléomagnétisme) apportent des précisions importantes quant à l’âge de Kanyimangin. Le paléomagnétisme étudie les enregistrements du champ magnétique passé de la Terre. Les minéraux magnétiques contenus dans les roches magmatiques et sédimentaires sont capables de fossiliser l’intensité et les directions du champ magnétique à un temps donné. La direction du champ magnétique terrestre pointe actuellement vers le nord géographique de notre planète, c’est ce que nous appelons une magnétozone de polarité normale. Cette direction n’est néanmoins pas stable au cours du temps géologique et à de nombreuses reprises l’azimut du champ magnétique terrestre indiquait le sud géographique de la Terre, c’est-à-dire une magnétozone de polarité inverse. C’est ce qu’indiquent les résultats des analyses menées par C. Chapon-Sao (CNRS) sur les échantillons de Kanyimangin : les sédiments se sont formés à une période où l’azimut du champ magnétique terrestre indiquait le sud géographique. Ce résultat donne un âge minimum pour le site de 790 000 ans, date à laquelle nous entrons dans la période actuelle de magnétozone normale.

Découvertes fossiles

La description (J. Marín Hernando, MNHN) des fossiles présents à Kanyimangin montre que ceux-ci appartenaient à des espèces de faune aujourd’hui disparues. Par exemple, près de 40% des restes de faune découverts sur place appartiennent à l’espèce Euthecodon brumpti (voir KY.12983). Ce crocodile, dont la forme du rostre (partie antérieure du crâne) très allongée est caractéristique d’un régime alimentaire composé principalement de poissons, aurait disparu il y a environ 1 million d’années (Storrs, 2003). De même, le morceau de mâchoire supérieure KY.12985a représente un jeune individu d’une espèce d’éléphant (Loxodonta adaurora) qui aurait disparu il y a environ 500 000 ans. Enfin, de nombreux fossiles de suidé sont présents sur le site dont la molaire KY.12984 qui aurait appartenu au genre Notochoerus dont la présence dans le bassin Turkana est attestée jusqu’à environ 1 700 000 ans. Ces données paléontologiques sont cohérentes avec la détermination géochronologique préliminaire de l’âge du site.

Découvertes archéologiques

L’analyse préliminaire (S. Sánchez‐Dehesa Galán, Université Paris Nanterre, Università della Sapienza) de la forme des artefacts lithiques (outils en roche taillé) découverts à Kanyimangin, laissent penser qu’ils pourraient appartenir à l’Acheuléen, une industrie lithique caractérisée notamment par deux types d’outils particuliers : les bifaces (grands outils façonnés sur les deux faces, voir KY.11052) et les hacheraux (outils sur éclats retouchés, voir KY.12966).

L’acheuléen apparaît en Afrique il y a 1,75 millions d’années où il est progressivement remplacé par le Middle Stone Age entre 500 000 et 200 000 ans. Les populations humaines datant de la transition entre le Pléistocène inférieur et moyen utilisaient ce type d’outils dans leur vie de tous les jours. Au cours de la transition entre le Pléistocène inférieur et moyen, l’Acheuléen évolue : il se complexifie avec la mise en place de nouvelles techniques de percussion telle que l’utilisation de gourdins de bois pour façonner les pièces bifaciales et il se répand en Eurasie. Accompagnant ce développement technologique, des innovations culturelles appréciables peuvent être identifiées sous la forme de l’apparition de nouvelles méthodes de chasse, comme le montrent les indices de la maîtrise de l’affût par les hominines à Olorgesailie dans la vallée du Rift au Kenya.

Ces changements technologiques pourraient être liés à l’apparition d’une nouvelle espèce d’Homme : Homo heidelbergensis. En effet, les représentants du genre Homo subissent de nombreux changements biologiques à cette période : une augmentation sans précédent de la taille du cerveau mais aussi des modifications profondes de la morphologie de la face et de la voûte crânienne. Le nombre extrêmement réduit de fossiles humains datant de cette période ne permet malheureusement pas de définir de façon précise la morphologie de ces populations ni leur appartenance spécifique.

Futurs des recherches à Kanyimangin

Les fouilles archéologiques vont reprendre à l’automne 2021 dans le cadre du projet Trans-Evol. Il s’agira de terminer la caractérisation géochronologique du site, d’améliorer notre compréhension de l’assemblage lithique présent à Kanyimangin, et de compléter la description des restes fossiles en espérant découvrir des restes fossiles des humains qui ont occupé ce site il y a 1 000 000 d’années.

Projet soutenu par le ministère de l'Europe et des Affaires Étrangères sur l’avis de la Commission des fouilles. 

Liens utiles

Laboratoires partenaires :

Site internet du projet : www.trans-evol.org