De part et d’autre du front d'Argonne, Allemands et Français vont implanter sous ce couvert protecteur les très nombreux aménagements logistiques nécessaires à alimenter la ligne de front. Après 4 années de combats qui vont générer une déforestation sensible, les troupes américaines reprennent ce secteur en octobre 1918. Dès la fin des combats, la forêt va peu à peu reconquérir ses droits sur ces terrains et ainsi protéger les multiples traces laissées par les combattants de la Grande Guerre (tranchées, camps, voies ferrées, etc.). Près d’un siècle plus tard, le massif forestier de l’Argonne est devenu un conservatoire idéal d’une zone de front, préservée par la présence de la forêt.
2014 © Ministère de la Culture. La Forme
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Ils sont implantés dans les versants des vallées orientés au sud, car à l’abri des tirs de l’artillerie allemande. Ainsi, le long de la vallée de la Biesme et à moins de 2 km au sud de la ligne de front, on peut observer l’organisation en paliers successifs des emplacements des baraquements qui ont servi de cantonnements aux poilus. Pour l’instant, ces cantonnements de première ligne n’ont pas encore fait l’objet de fouilles archéologiques. De ces camps partent les boyaux qui vont permettre aux combattants français d’accéder de manière relativement protégée à la zone des tranchées. Le long de ces boyaux on peut observer la présence de nombreux dépôts de munitions.
La ligne de front, qui s’est stabilisée à la fin de 1915 et ne bougera presque plus jusqu’en 1918, est constituée par un réseau très dense de tranchées. Côté allemand comme côté français, la profondeur de ce système défensif peut atteindre près de 500 m. Tranchées de première ligne, intermédiaires et de soutien, parallèles les unes aux autres et reliées par de multiples boyaux de communication, forment une gigantesque toile d’araignée encore perceptible en forêt sur des dizaines d’hectares. Cette première ligne de défense, tentaculaire et quasi inexpugnable, est cependant renforcée de part et d’autre par d’autres lignes de défense. Ainsi, côté français et 1 500 m plus au sud, on observe les vestiges de la seconde ligne de défense française sur le versant de la vallée de la Biesme opposé aux camps français.
À partir d’octobre 1914 et durant l’année 1915, la forêt d’Argonne sera le cadre de furieux combats (Four de Paris, Bois de la Gruerie). Si la progression sur le terrain n’est que de l’ordre de quelques centaines de mètres, elle permet le plus souvent de conquérir une position défensive topographiquement plus avantageuse, mais au prix de lourdes pertes. 500 m au nord de la ligne de front de 1915, on peut ainsi observer les vestiges des tranchées occupées fin 1914 par les Français, puis conquises par les Allemands qui pour ce faire vont pulvériser la première ligne adverse à l’aide de multiples mines souterraines. Près d’une vingtaine de cratères de mines sont encore observables sur le terrain, qui va devenir la seconde ligne allemande (Rückhalt Linie).
Immédiatement en deçà de cette seconde ligne de défense, et même parfois en avant, les vestiges de quelques camps allemands sont visibles. Matérialisés par de multiples emplacements de baraquements, ces camps sont implantés dans les versants des vallées orientés au nord, à l’abri des tirs de l’artillerie française. Ils permettent aux troupes de première ligne de cantonner dans des conditions de confort et de protection relativement bonnes.
Approvisionner un front toujours plus vorace en hommes et en matériel nécessite de relier le front aux zones arrière par de multiples chemins. En Argonne, la topographie abrupte des terrains mais aussi la relative rareté des chemins forestiers vont conduire à créer de très nombreux chemins de fer à voie étroite (60 cm). Ce maillage serré du réseau ferroviaire permet de relier la quasi-totalité des camps et des dépôts logistique à la zone de front. Si les rails ont aujourd’hui disparu, nombre de cheminements de ce type sont encore perceptibles.
Encore plus en arrière du front, les cantonnements se multiplient et beaucoup de versants abrités des tirs d’artillerie sont densément occupés par des emplacements de baraquements parfaitement visibles sous le couvert forestier. Dans ces camps de seconde ligne stationnent les troupes qui ravitaillent et entretiennent la ligne de front et peuvent éventuellement apporter un soutien rapide aux troupes de premières lignes, si ces dernières font l’objet d’une attaque.
Lors de l’offensive Meuse-Argonne, un bataillon du 308e régiment d’infanterie de l’Armée américaine, qui s’est avancé trop rapidement dans la forêt d’Argonne, va se retrouver encerclé par les troupes allemandes au fond des ravins de Charlevaux, 8 km en arrière de la ligne de front. Dégagée par l’avancée générale des troupes alliées, cette unité a perdu entre le 2 et le 7 octobre 1918 près des deux tiers de ses effectifs (107 morts, 63 disparus et 190 blessés). Ce fait d’armes, héroïsé et largement médiatisé dans l’immédiat après-guerre, restait assez mal connu dans ses détails. Une prospection menée depuis 4 ans par Brad Posey dans ces bois qui n’ont connu que quelques jours de combats permet, par la détection et le relevé très précis des très nombreux objets encore présents à même le sol (munitions, éléments d’équipement militaire allemand ou américain), de mieux localiser les emplacements exacts des principaux affrontements et de préciser la progression des soldats américains vers la poche où ils ont été encerclés, puis harcelés et anéantis.
Encore plus en arrière de la ligne de front et dans une zone que l’artillerie française ne peut atteindre, on remarque la présence de grands cantonnements. Ils accueillent les troupes au repos mais aussi les unités qui apportent leur soutien logistique aux unités combattantes. Très organisés, ce sont presque de véritables villes, avec leurs aménagements collectifs comme des douches, des étuves, mais aussi des écuries, leur service de collecte des ordures ou leur « tramway ». Certains de ces cantonnements peuvent héberger plus de 2 000 soldats. L’un d’entre eux, le Borrieswalde, fait l’objet de sondages et de fouilles programmées depuis plusieurs années.